Rechercher
Rechercher

Actualités - COMMUNIQUES ET DECLARATIONS

Témoignage - Un certain 22 avril 1979 Samir el-Kantar, le Libanais oublié dans les prisons israéliennes

La nuit est déjà tombée, ce 22 avril 1979. Le minuscule canot pneumatique a réussi à déjouer les radars israéliens et accoste sur la plage de Nahariya. Les quatre jeunes gens, presque adolescents, à son bord retiennent leur souffle. Avec des précautions de Sioux, ils descendent à terre et se dirigent au hasard vers les habitations aux lumières douces. Une villa attire leur attention. Elle a l’air paisible, assez retirée et tout près de la mer. Ils y pénètrent sans état d’âme, tout à leur mission et capturent un homme et sa fille. L’épouse s’est cachée dans une armoire avec sa seconde fille et elle est si effrayée qu’elle étouffe son enfant qui meurt sans un cri. Le père et la fille sont entraînés vers la plage…La suite, ceux qui s’en souviennent la connaissent. C’est la fameuse opération Abdel Nasser, réalisée par trois Palestiniens et un Libanais Samir el-Kantar, devenu le doyen des prisonniers arabes en Israël… 22 ans de détention, même pour Samir el-Kantar dont le moral a rarement faibli, c’est trop. Depuis son arrestation, dans la foulée de l’opération dite de Nahariya par les Israéliens et dédiée au leader arabe Gamal Abdel Nasser, à la suite de l’accord de Camp David (1978), ce Libanais a connu toutes les misères…et toutes les promesses. Mais aujourd’hui, pour la première fois, sa famille a le sentiment qu’il pourrait enfin retrouver la liberté. L’espoir, c’est le Hezbollah qui l’a insufflé en capturant quatre militaires israéliens et en liant leur sort à celui des prisonniers libanais en Israël. Les Palestiniens n’ont pas tenu parole… Bassam Kantar avait moins d’un an lorsque son frère – qui en avait 17 – a été capturé par les Israéliens. Depuis, il vit dans son ombre, répertoriant soigneusement les informations le concernant et le vénérant comme une idole. Bassam refuse de se laisser photographier sans la keffieh et adhère totalement aux choix de son frère «qui a fait de la résistance aux côtés des fedayins, parce qu’ils étaient les seuls organisés et structurés à l’époque». Pourtant les Palestiniens n’ont pas vraiment aidé Samir el-Kantar. En dépit de plusieurs promesses d’obtenir sa libération, il continue à être détenu à la prison de Nafha dans le désert du Néguev. Deux de ses compagnons sont morts au cours de l’opération et le troisième, Ahmed Abrass, a été libéré en 1985, dans le cadre d’un échange de prisonniers entre Israéliens et Palestiniens. De même, Samir a passé six ans dans la même cellule que Hicham Abdel Razzak, actuel ministre des Prisonniers au sein de l’Autorité palestinienne, et qui lui a, à plusieurs reprises, promis d’obtenir sa libération dans le cadre de négociations avec Israël. Finalement, Bassam est catégorique, le Hezbollah est le plus sérieux et il tient ses promesses. En août, les familles des détenus libanais en Israël s’étaient rendues chez sayyed Hassan Nasrallah qui leur avait clairement annoncé l’intention du parti d’entreprendre une action visant à pousser les Israéliens à un échange de prisonniers. «Les Israéliens, leur avait-il déclaré, ne libéreront les prisonniers libanais que s’ils reçoivent une contrepartie. Nous ferons en sorte qu’il y en ait une». Le Hezbollah a attendu six mois pour laisser une chance aux efforts du secrétaire général des Nations unies Kofi Annan qui avait pris en charge le dossier des détenus libanais dans les geôles israéliennes. Mais ne voyant rien venir, il s’est décidé à agir, capturant dans le secteur des hameaux de Chebaa trois soldats israéliens. La petite histoire veut d’ailleurs que les soldats israéliens aient été transportés tous nus du lieu de leur enlèvement à leur actuel lieu de détention, les uniformes militaires israéliens cachant un émetteur qui permet à l’aviation de les repérer. C’est d’ailleurs grâce à ce moyen (l’émetteur presque invisible glissé dans sa tenue) que les hélicoptères israéliens auraient réussi à repérer cheikh Abbas Moussawi, ancien secrétaire général du Hezbollah et à le tuer en bombardant sa voiture… Selon certaines sources d’information, M. Annan aurait déclaré aux responsables libanais au cours de sa dernière visite à Beyrouth avoir demandé au Premier ministre israélien de libérer les 19 détenus libanais, en guise de «cadeau personnel. Mais il a refusé et je n’ai rien pu faire au sujet de ce dossier». Pour les familles des prisonniers, l’opération du Hezbollah est donc perçue comme une aubaine, le seul espoir sérieux d’une libération prochaine et, désormais, Samir el-Kantar est sur la liste des 19. Une maîtrise en sciences sociales en prison Comment peut-on survivre à tant d’années de détention dans les pires conditions ? Bassam el-Kantar se redresse avec fierté. Son frère Samir n’est pas n’importe qui. Il s’est enrôlé très jeune dans les rangs de la résistance parce qu’il voulait réagir contre l’injustice faite au Liban et aux pays arabes en général. Très discret, il n’avait informé personne de ses activités. Mais lorsque l’opération Gamal Abdel Nasser a été mise au point et qu’on était passé à la phase de l’exécution, il en a parlé à son père, en sachant qu’il avait de fortes chances de ne pas revenir. Il n’avait que 17 ans, mais en raison de sa bravoure, il avait été désigné chef de cette opération audacieuse, qui devait se dérouler en Israël même, à Nahariya, à quelques kilomètres de la frontière libanaise. Selon les estimations, l’opération avait peu de chances de réussir, tant les Israéliens avaient installé de radars et de forces militaires dans la région. Malgré tout, les quatre jeunes gens ont pu accoster sur la plage vers 2h du matin. Leur objectif était de s’emparer d’Israéliens pour qu’ils puissent être échangés contre des détenus arabes. Un premier affrontement les oppose à la police israélienne, mais celle-ci ne pouvant imaginer une telle opération a d’abord cru avoir affaire à de simples cambrioleurs. Les jeunes gens neutralisent les policiers et s’introduisent dans la villa n°61, s’emparent d’un homme Dany Haran et de sa fille, qui s’avère être un chercheur atomique, responsable de la sécurité dans la centrale de Dimona. Les deux otages sont emmenés vers la plage, mais les renforts israéliens sont entre-temps arrivés. Les affrontements durent jusqu’à 5h du matin et un général israélien Youssef Tsahor est grièvement blessé. Deux des résistants meurent et Ahmad Abrass et Samir el-Kantar sont à leur tour blessés. L’opération crée un véritable traumatisme en Israël, et comme la peine de mort n’est pas admise dans ce pays (une seule exception pour un criminel nazi), el-Kantar est condamné à 542 années de détention. En 22 ans, il a connu les pires tortures, puisque même les 5 balles qu’il avait dans le corps ont été extraites sans anesthésie, alors que le médecin qui s’occupait de lui enfonçait le doigt dans la plaie «pour connaître le calibre des armes utilisées». Électrochocs, coups, mauvaises conditions, rien ne lui a été épargné, même pas les déplacements constants d’une prison à l’autre. Mais depuis 1987, il est à Nafha dans le désert du Néguev. Samir a entrepris plusieurs grèves de la faim qui l’ont mené au bord de la mort pour obtenir une amélioration de ses conditions de détention, mais le plus dur, pour lui, était de se sentir oublié dans son propre pays. Ce n’est en effet que récemment que le Liban réclame sa libération et le considère comme l’un des siens. Entre-temps, le jeune homme a lutté contre la folie en poursuivant des études universitaires par correspondance. Ce ne fut d’ailleurs pas facile, le gouvernement refusant d’abord de le laisser étudier. Mais ses avocats, tous des volontaires militant pour les droits des prisonniers, ont finalement réussi à obtenir une autorisation spéciale. Mais el-Kantar a dû apprendre l’hébreu pour pouvoir poursuivre ses études. Et finalement, il a obtenu une maîtrise en sciences sociales et humaines et devenu le doyen des détenus arabes en Israël, il affirme à qui veut l’entendre : «Si les Israéliens ne veulent pas me libérer, je ferai un doctorat». En 22 ans d’emprisonnement, Samir a acquis une grande force de caractère au point de devenir de facto le porte-parole des prisonniers, véritable meneur aux convictions inébranlables, en dépit des déceptions, de l’abandon et des années perdues. C’est cet homme qui pourrait retrouver sa mère bientôt, si les négociations menées discrètement entre autres par les Allemands aboutissent à un échange. Bassam, lui, est optimiste. «Je vais enfin voir mon frère. J’espère seulement faire bonne figure devant lui. Quant à ma mère, elle n’en peut plus d’attendre…» Scarlett HADDAD
La nuit est déjà tombée, ce 22 avril 1979. Le minuscule canot pneumatique a réussi à déjouer les radars israéliens et accoste sur la plage de Nahariya. Les quatre jeunes gens, presque adolescents, à son bord retiennent leur souffle. Avec des précautions de Sioux, ils descendent à terre et se dirigent au hasard vers les habitations aux lumières douces. Une villa attire leur...