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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - « Le non-envoi de l’armée au Sud, un moyen de pression sur Israël » L’implantation palestinienne remise en question, selon Pakradouni

L’armée libanaise, depuis quelques jours, interdit catégoriquement toute manifestation des réfugiés palestiniens du Liban le long de la frontière avec Israël. Et malgré des manifestations ponctuelles au cours du week-end dernier, l’effervescence a relativement baissé dans les camps de réfugiés au Liban. Dans le même temps, la tension reste très vive dans les Territoires, où samedi, cinq Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ces cinq décès ont porté à 128 le nombre de morts depuis le début de l’intifada anti-israélienne, qui a commencé le 28 septembre dernier après la visite d’Ariel Sharon à l’Esplanade des mosquées à Jérusalem. Le Premier ministre israélien Ehud Barak a affirmé vendredi qu’il annoncerait une «pause» dans le processus de paix, «immédiatement après le sommet arabe du Caire». Pour sa part, Yasser Arafat a déclaré samedi à la télévision égyptienne que «l’Intifada d’al-Aqsa se poursuivra et qu’elle vaincra». Karim Pakradouni, le deuxième vice-président du parti Kataëb et le spécialiste, entre autres, de la question palestinienne, a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour, analysant et l’avenir des réfugiés palestiniens et l’actualité brûlante des Territoires, s’arrêtant autant sur Jérusalem et ses lieux saints, que sur le dossier des frontières ou celui de l’État palestinien. « Jérusalem unifiée, c’est fini » Impossible de ne pas commencer par ce qui a, du moins «officiellement», mis le feu à toutes les poudres dans les territoires palestiniens. La visite d’Ariel Sharon le 28 septembre dernier sur l’Esplanade des mosquées à Jérusalem n’est certainement pas un hasard, était-elle programmée, n’aurait-elle pas pu passer beaucoup plus inaperçue, comment expliquer son timing ? Karim Pakradouni n’a pas besoin de réfléchir longtemps : «Il faut examiner cette visite à la loupe de la lutte interne israélienne. Deux réalités : d’abord, le retour sur la scène politique de Benjamin Netanyahu, ce qui a entraîné deux réactions distinctes. Ariel Sharon a ainsi voulu affermir, ou du moins prouver son leadership sur le Likoud et Ehud Barak sa popularité en Israël : en appuyant le geste de Sharon, en radicalisant sa position, il a décidé de faire face à Netanyahu». C’est ça le vrai visage de Barak ? «Je crois qu’aujourd’hui, c’est le jeu des faucons qui prime en Israël, beaucoup plus que celui des colombes. Il y a un glissement certain à droite de la population». Et la deuxième réalité, c’est Jérusalem, cette «bombe atomique politique» dans la région. Donc la nouvelle intifada n’est ni hasard ni coïncidence ? «Impasse au niveau des négociations, impasse sur Jérusalem, plus la montée des faucons : l’explication est là». La visite de Sharon n’est donc, elle non plus, pas une coïncidence ? «Non, elle entre dans la logique de la violence». On dit qu’elle a été préparée en accord avec les Palestiniens... «Les Palestiniens étaient au courant, mais c’est avec Barak qu’elle a été préparée : on n’envoie pas mille soldats comme ça, d’un coup... Ça a été un jeu Barak-Sharon contre Netanyahu d’une part – voyez le projet de gouvernement d’union nationale, et d’autre part, toutes les négociations ont avorté, notamment celles de Paris». Parlons-en un peu de Jérusalem, cette espèce de clé qui pourrait un jour faire sauter tous les verrous, dans un sens comme dans l’autre, quelles sont les expectatives à court – et même à long terme ? «La perspective d’une Jérusalem unifiée est définitivement terminée, il y aura deux Jérusalem, il y a deux peuples et il y aura deux États. Il y aura donc deux capitales en une même ville, Jérusalem d’une part et al-Qods de l’autre. Sauf qu’il y a les lieux saints, et c’est là que la géographie vient compliquer l’histoire, avec cette proximité incroyable...» Quelle est la solution, à votre avis ? «L’internationalisation de ces lieux saints, selon la formule du Vatican, leur gestion, serait le plus simple. Dans tous les cas, les lieux saints dépendent maintenant du Ciel, et plus de la terre...» Le battement d’ailes du papillon Sommes-nous en train de voir Barak comme Arafat se faire doubler par leur droite ? «Arafat a toujours brillamment manipulé sa droite comme sa gauche, et les contradictions de ces dernières. Il a utilisé sa gauche pour effrayer les Arabes, et particulièrement les monarchies pétrolières, maintenant c’est sa droite – le Hamas, le Jihad islamique, le Tanzim Fateh, par rapport à Israël ou à l’Occident. Barak, lui, commence à utiliser le même jeu, mais il n’en est pas le maître. C’est un jeu qui demande énormément de finesse – et Barak ne l’a pas. Barak s’adresse beaucoup plus aux Américains en ce moment : «Ou vous m’aidez, ou je fais une coalition avec Sharon...» Et les États-Unis ne veulent plus entendre parler de Sharon. En fait, c’est le jeu des faibles. Barak comme Arafat, deux leaders forts, sont maintenant tous deux affaiblis.» Qui les a affaiblis et pourquoi ? Leur population ? «Évidemment. Il y a aujourd’hui un retour au jeu des peuples, et surtout les peuples arabes, qui dorment depuis trente ans». Qu’est-ce qui a réveillé les Arabes ? Le retrait israélien du Liban-Sud ? «Oui, et l’intifada aussi. Ce qui s’est passé au Liban-Sud a été plus et mieux perçu à l’extérieur qu’ici, c’est-à-dire de la part des Libanais. Nous, nous sommes très vite passés de la libération aux élections, puis à la formation du gouvernement, etc, etc. Le déclic Hezbollah a beaucoup joué dans ce réveil de populations, mais je suppose que nous allons y arriver, au Hezbollah, non ?» Si... Comment peut-on analyser aujourd’hui, après les sommets de Charm el-Cheikh et du Caire, cette nouvelle intifada ? Pourquoi ce timing ? «Vous connaissez cette expression, ce battement d’ailes du papillon qui, s’il a lieu à un moment donné, disons en Chine, peut entraîner un tremblement de terre en Australie. Le phénomène est là et il a suffi de ce battement d’ailes pour le déclencher de nouveau. Depuis 10 ans, il n’y a pratiquement eu aucun accord, et même Oslo, qui a été un tournant dans la crise du Moyen-Orient, est resté lettre morte. La première intifada a permis à Yasser Arafat de passer du statut de chef de l’OLP, c’est-à-dire de chef d’une organisation paramilicienne, au statut de chef d’État sans État». Et celle-ci alors ? «Eh bien cette deuxième intifada, dans la pure logique des choses, va permettre à une autonomie de passer à l’indépendance. C’est obligé». Ca va prendre combien de temps, tout ça ? «Ca va prendre du temps, pas mal de temps, vous savez...» D’un sommet à l’autre Passons maintenant, si vous le voulez bien, à l’un des dossiers les plus brûlants de cette actualité, à savoir la présence des réfugiés palestiniens au Liban. Karim Pakradouni est catégorique : «Ils doivent retourner en Palestine. J’ai beaucoup d’espoir concernant le problème palestinien au Liban : ce n’est pas un problème insoluble». Soit. Pourquoi ? Et Karim Pakradouni de remonter jusqu’au dernier sommet de la francophonie de Moncton, en 1999, lorsque le général Lahoud avait lancé son appel, qualifiant l’implantation palestinienne de «bombe à retardement», qui pourrait exploser au Liban et dans tout le Moyen-Orient. «À cette époque, il était clair que l’implantation palestinienne au Liban avait déjà été décidée. Je me souviens de tous ces diplomates qui me conseillaient d’arrêter de perdre mon temps et de réfléchir plutôt aux meilleures conditions pour cette implantation. En résumé, ils me faisaient comprendre qu’elle était définitivement décidée, “voyez comment vous pourrez vivre avec”, me faisaient-ils comprendre...» C’était qui ces diplomates ? «C’étaient des Américains, des Européens et beaucoup, beaucoup d’Arabes. Vous savez, le général Lahoud a tellement insisté, tellement matraqué cette position depuis Moncton, et dans le cadre de tous ses contacts diplomatiques, qu’au niveau arabe, ça a fini par créer une réaction qui a reposé la question de l’implantation». Et puis d’un sommet à l’autre, Karim Pakradouni rappelle qu’au cours du dernier Camp David, en juin 2000, Yasser Arafat avait pour la première fois déclaré qu’il «était prêt à recevoir les Palestiniens du Liban. Vous savez que les plus arafatistes des Palestiniens sont au Liban, et Arafat a besoin de ses hommes qui sont encadrés, payés, endoctrinés, armés, entraînés. Tous ceux-là constituent sa réserve stratégique, naturelle, sa popularité, c’est sur eux qu’Arafat a travaillé». Bill Clinton ensuite, Karim Pakradouni rappelle également que ce dernier avait affirmé devoir poser la question des Palestiniens au Liban, «parce que le président Lahoud ne veut pas déployer son armée avant le règlement de ce problème. La déclaration la plus importante a été celle d’Ehud Barak : «J’accepte le principe (du retour des réfugiés palestiniens du Liban en Palestine), à condition d’en réétudier le nombre». Déja à Camp David, qui avait échoué, l’implantation des Palestiniens au Liban a été remise en question. Et Karim Pakradouni ressort à ce moment un article du Jerusalem Post, publié par nos confrères d’An-Nahar le 28 septembre dernier, et qui estimait en substance que «selon des sources palestiniennes autorisées, Yasser Arafat souhaiterait implanter les réfugiés palestiniens en Israël et dans les Territoires, et ce dans un laps de temps de trois ans, et qu’il désirait donner la priorité aux réfugiés du Liban. Clinton a réagi positivement à cette demande, et Barak s’oppose juste sur le nombre qui s’élève à 360 000». Karim Pakradouni croit en cette remise en question au niveau international, «l’implantation des Palestiniens au Liban n’est pas une fatalité, et l’idée de leur départ, en trois ans, commence à être débattue à la table. C’est un pas énorme». L’option de Lahoud Selon lui, beaucoup contestent, et notamment des chrétiens, la volonté de Lahoud de ne pas envoyer l’armée le long de la frontière israélo-libanaise. Il est d’accord avec cela, Karim Pakradouni ? «Oui, je crois qu’il faut jouer le jeu jusqu’au bout. Ne pas envoyer cette armée – mais une force mixte composée d’un millier d’hommes chargée de veiller à ce que l’ordre règne, est un très bon moyen de pression pour que le dossier de l’implantation reste d’actualité. Tant que l’armée ne se déploie pas, Israël continuera à revendiquer ce déploiement et le Liban répliquera toujours : “oui, mais à condition de régler le problème des Palestiniens du Liban”... Si l’armée se déploie, le problème sera clos». Mais le chef de l’État prend ainsi des risques énormes par rapport à Israël ? «Oui, mais en contrepartie, il y a la possibilité de faire évoluer le dossier palestinien. C’est une option politique – il y en a évidemment d’autres, mais elle se défend, elle a ses objectifs... Elle a réussi en tout cas à poser au niveau international le problème des Palestiniens au Liban et surtout à transformer cette présence en un problème pour Israël et non pas seulement pour le Liban. Tout le monde se soucie comme d’une guigne de savoir que la présence palestinienne est une énorme épine dans le pied du Liban, mais tout le monde bouge dès que cette présence devient problématique pour Israël. C’est comme ça». Mais cette option choisie par Lahoud n’a-t-elle pas permis au Hezbollah de se tailler la part du lion sur l’échiquier politique libanais, et même régional ? «L’équation de Lahoud est claire dans son parcours politique : il préfère affronter Israël avec tous les risques que cela entraîne, plutôt que d’avoir une guerre civile et une nation déchirée. Il l’a dit à ses officiers, et tout de suite après Oslo : “Là où l’armée ne se déploie pas, il est légitime que ce soit le Hezbollah qui lutte contre Israël”. Il a continué dans la même logique, c’est lui qui a permis au Hezbollah de se déployer le long de la frontière. Pensez : le Liban demandait l’évacuation de l’armée israélienne de son territoire, maintenant, tout cela s’est inversé, c’est Israël qui demande que le Hezbollah évacue la frontière. Vous voyez la nuance ?» Donc, une milice s’est substituée à l’État ? «Il faut que le Hezbollah reste à la frontière jusqu’à ce qu’Israël accepte de rouvrir le dossier palestinien». Y aura-t-il un risque d’explosion au sein des camps palestiniens du Liban, pas de conflit avec l’armée, ou même, allons jusqu’au bout, avec le Hezbollah ? «Non, je ne pense pas». Parce qu’Arafat garde le contrôle ? «Oui. D’autant plus qu’il veut ces hommes, et qu’à partir de ces camps, il a des moyens de pressions sur le Liban, sur la Syrie et sur Israël. Et la population des camps est la plus fidèle à Arafat, je vous le répète». Même à Aïn el-Héloué ? «Évidemment, tous appartiennent à un seul et même “parti”, celui d’Arafat...» Un dernier mot sur le sommet arabe du Caire, qui s’est achevé hier, c’est l’échec ? «Évidemment. Pour réussir, il faut sortir du sommet de Charm el-Cheikh, et du diktat américain. Le seul critère, c’est la rupture des relations diplomatiques ou économiques avec Israël. Il faut qu’Israël sente qu’il a quelque chose à perdre. Bien sûr que c’est un échec...» Ziyad MAKHOUL
L’armée libanaise, depuis quelques jours, interdit catégoriquement toute manifestation des réfugiés palestiniens du Liban le long de la frontière avec Israël. Et malgré des manifestations ponctuelles au cours du week-end dernier, l’effervescence a relativement baissé dans les camps de réfugiés au Liban. Dans le même temps, la tension reste très vive dans les...