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Actualités - BIOGRAPHIE

PORTRAIT - Nouveau député arménien de Beyrouth, il se dévoile Le voisin d’à-côté s’appelle Serge TerSarkissian

Il a tout juste 35 ans, un grand sourire, yeux bleus, cheveux noirs, Marguerite Duras (l’)aurait adoré, et au bout de cinq minutes passées avec lui – magnétophone ou pas magnétophone – c’est à peine si on n’aurait pas envie de lui taper dans le dos. De l’inviter à venir boire une bière au comptoir du coin, à Serge Ter Sarkissian... Le tout nouveau député arménien-catholique de Beyrouth ressemble étrangement à ce que les Anglo-Saxons appellent «the guy next-door», ce voisin d’à-côté, tranquille et sans histoires, particulièrement sympa, particulièrement normal, et «hyper gentil», que tout un chacun aimerait avoir dans son immeuble. Ou à sa table. Un archétype du Libanais attachant – attachant avec ses excès, sa fierté, son espèce d’intuition rapide, d’intelligence pratique. Serge TerSarkissian n’a pour l’instant aucune expérience politique, mais il est jeune, vif, plein d’humour – et le bureau autour duquel il nous reçoit dans son cabinet d’avocat est à sa stricte image, fourmillant d’objets et de dossiers, désordonné et plein de vie – en un mot, sympa. Et sincère. Le courant haririen et lui «C’est incroyable, j’ai l’impression que vous voulez que je vous parle comme si j’étais Che Guevara...» Serge TerSarkissian ne semble pas avoir tellement envie de s’arrêter, de s’apesantir sur l’actualité, de la commenter. «Gloser sur la politique», ce sport national par excellence, n’est apparemment pas trop son truc – même s’il est, depuis quelques jours, un des trois rapporteurs de la nouvelle Chambre. Soit. Commençons alors par les rumeurs, ces inévitables cancans qui entourent chaque candidature à chaque élection. Il paraît que Rafic Hariri vous a appelé à quelques mois de l’échéance, vous assurant qu’il s’occuperait de toute votre campagne jusque dans ses moindres détails en contrepartie de votre nom sur sa liste de la Dignité. C’est vrai ? «Je vais vous dire ce qui s’est passé... Deux semaines avant l’annonce des listes, on m’appelle de Koraytem, me disant que le palais est en pleines concertations avec le Tachnag, et qu’au cas où ces tractations n’aboutiraient pas, je serais leur candidat pour le siège arménien-catholique de Beyrouth III. Aussi simple que cela». Mais pourquoi vous ? Ils vous connaissaient déjà ? «Pourquoi moi ? Parce que j’ai plusieurs atouts : je n’appartiens à aucun parti, je suis avocat, j’ai un arabe parfait et, enfin, j’ai de très bonnes relations avec le patriarcat arménien-catholique, je suis responsable du waqf. C’est grâce à cette fonction que j’ai fini par avoir des contacts avec tous les courants politiques, dont celui de M. Hariri, évidemment». Mais on vous a quand même demandé votre avis avant de vous parachuter candidat ? Serge TerSarkissian éclate de rire, «mais évidemment, on n’impose pas ce genre de choses à quelqu’un. On m’a même dit qu’il y avait d’autres personnes sur les rangs...». Encore heureux. C’était une occasion en or, non ? «Ca, c’est clair !» Et vous allez avoir la possibilité de donner votre avis, de vous exprimer, vous n’allez pas être une des vingt marionnettes de Rafic Hariri, n’est-ce pas ? À cette sempiternelle question – il est improbable de ne pas la poser lorsque l’on se trouve face à un député haririen – il éclate d’un nouveau rire, plein et franc : «Nous appartenons à un bloc, donc, avec la plus grande transparence, nous suivrons le courant haririen, et la vision de M. Hariri en ce qui concerne l’avenir du pays est la nôtre. Et puis c’est une question de personnalité aussi... C’est moi qui n’accepterai pas d’avoir un avis différent». Il n’empêche, il insiste, répète qu’en ce qui concerne ses projets personnels, il a entière carte blanche, «je foncerai sans voir, vous savez...». Redynamiser la communauté arménienne C’est quoi, ses projets personnels ? «J’entreprendrai une guerre s’il le faut pour la réduction à 18 ans de la majorité électorale, je voudrais amender à tout prix cet article 21 de la Constitution. Et ce à quoi je tiens le plus, ne serait-ce qu’en tant qu’avocat, c’est la réforme administrative : il faut changer la mentalité des gens, des fonctionnaires surtout». Programme ambitieux, il vous faudra une marge de manœuvre certaine, vous l’aurez ? «Oui, j’aurai toute la liberté dont j’ai besoin, et si j’avais appartenu à un autre bloc, soyez sûr que je n’en aurai pas eu le quart...» Quel bloc ? Le Tachnag ? Pas de réponse, et nouvel éclat de rire. Il est décidément sympathique, Serge TerSarkissian... Il va même accepter de revenir sur l’actualité, de dire que le communiqué des évêques maronites qui a fait couler tellement d’encre et entraîné des réactions en chaîne n’est rien d’autre que le récapitulatif de tous les sermons dominicaux du patriarche Sfeir, «le cri d’une grande partie de la population qui s’estime être totalement en dehors du jeu». Vous partagez ce cri ? «Je crois qu’un grand nombre de personnes peut prétendre au leadership chrétien, mais pourquoi cette intensité, pourquoi ce timing ? Ce qu’ils veulent, c’est l’introduction d’une fraction chrétienne dans le jeu politique». Pas la peine d’insister... Parlons de l’abolition du confessionnalisme politique. Vous êtes pour ? «Moi j’aime bien comme c’est, maintenant, cette organisation me convient, chaque confession a sa propre identité, ses propres particularités. Et puis, c’est la richesse du pays... Mais si on veut l’abolir, il faut commencer par les mentalités. C’est beaucoup plus important que sur les registres». Vous signerez une pétition allant dans le sens de cette abolition ? «Si le bloc signe, je signe». Bien... Le moins que l’on puisse dire à propos de la crise socio-économique est qu’elle est particulièrement aiguë. Quelles solutions ? «Il n’y a qu’une solution et une seule : il faut que le chef du gouvernement inspire grandement confiance, qu’il soit dynamique, jeune, qu’il ait de très bonnes relations avec l’étranger... Tout ça encouragera l’investisseur et l’argent, la stabilité monétaire et fiscale est une urgence aujourd’hui». Et si l’on parlait de votre second cheval de bataille, à savoir la justice... «Elle est en pleine forme, sauf qu’il faut redynamiser le pouvoir judiciaire en augmentant le nombre de juges. Ce nombre oscille actuellement entre 300 et 350, il est impératif qu’il double. Il faut augmenter le nombre de leurs assistants. Il faut surtout donner à chaque juge un bureau, c’est la moindre des choses. Cela permettra de réduire de moitié le temps de toutes les démarches judiciaires, autant pour les citoyens que pour les investisseurs. Les procès qui durent cinq ans, on en a marre ! Il faut séparer la justice de l’État, il faut aussi, par exemple, que le ministère de tutelle des prisons soit la Justice...». Arménien ou Libanais, Serge TerSarkissian ? «Libanais d’origine arménienne. Bon allez, je vais y répondre à vos questions : la participation du Tachnag sur la liste Hoss par exemple, n’était qu’une alliance électorale. Les Arméniens ne sont pas loyalistes par amour pour l’État ou haine des opposants, mais ils se considèrent simplement plus en sûreté quand ils sont du côté du pouvoir. D’ailleurs, c’est la première fois qu’un Arménien va à la rencontre de ses électeurs – d’ailleurs, la majorité des Arméniens sont à Beyrouth – qu’il bouffe avec eux, etc. Le ghetto arménien a disparu, il y a une ouverture de la part des Arméniens, du sang nouveau, et je veux redynamiser cette communauté». «J’aime que les gens m’aiment...» «Le rôle du député ? Légiférer, contrôler le gouvernement, rendre service». Rendre service ? «Mais oui, vu le délabrement de l’Administration, c’est indispensable...» Qu’est-ce qui différencie un bon député d’un mauvais ? Serge TerSarkissian n’hésite pas une seconde, lance «le dynamisme», ajoute «les contacts qu’il doit avoir», enchaîne sur ce qu’il a ressenti la première fois en entrant au Parlement, «c’est très bien, sauf que ça manque un peu de vie», nie avoir eu le moindre trac, avoue sa joie, sa fierté, et avec la simplicité la plus touchante : «c’est comme appartenir à une famille de 128 personnes, la grande famille des députés...». Être député, ça le fait vraiment rire, Serge TerSarkissian, et puis ça le rend heureux, c’est visible. Qu’est-ce qu’elle a changé, cette victoire aux élections, dans sa façon de voir et de concevoir la vie et ses choses ? «Je ne penserai pas que tout m’est dû, non, je resterai aussi proche des gens que je le suis aujourd’hui. D’ailleurs, mes proches m’ont dit “ne change pas”, «ne te prends pas au sérieux» : je ne changerai pas, j’aime que les gens m’aiment...» Franchise et fraîcheur... Il a changé votre vie, Rafic Hariri, hein ? «S’il ne m’avait pas appelé, je n’aurais jamais présenté ma candidature, il est clair que si je m’étais présenté tout seul, j’aurais échoué». Ils sont bien, tous vos collègues haririens ? «Je sens que je fais partie d’une même famille, une vraie cette fois». C’est qui la mère ? «C’est une famille sans mère. Non, sérieusement, je me suis senti immédiatement à l’aise, et surtout avec mes six compagnons de Beyrouth III». Et avec Ghounwa Jalloul, tout se passait bien ? «C’est elle qui a donné la touche de charme, c’était une rose parmi les épines...» Tout un programme... Serge TerSarkissian a choisi le 121 comme numéro de plaque bleue, le 302 comme bureau au Parlement, et il s’assoiera probablement aux côtés d’Adnane Arakji, «lui, c’est le cheikh el-chabéb...» . Juste avant de partir, Serge TerSarkissian, ce fils unique qui ne s’ennuie jamais, vous retiendra par le bras et vous demandera de ne surtout pas oublier de dire qu’il est un grand fan de Ralph Schumacher, du footballeur argentin Battistuta et de... Naomi Campbell. «N’oubliez pas de dire ça...». Promis. Ziyad MAKHOUL
Il a tout juste 35 ans, un grand sourire, yeux bleus, cheveux noirs, Marguerite Duras (l’)aurait adoré, et au bout de cinq minutes passées avec lui – magnétophone ou pas magnétophone – c’est à peine si on n’aurait pas envie de lui taper dans le dos. De l’inviter à venir boire une bière au comptoir du coin, à Serge Ter Sarkissian... Le tout nouveau député...