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Actualités - REPORTAGES

RENTRÉE - Les commerçants se tournent vers les produits bas de gamme Pas de baguette magique pour résorber la crise

Le Liban, digne héritier de la Phénicie, pays de commerce par excellence ? Encore une réalité qui peu à peu se transforme en fausse légende. Car, au moment où les Libanais cassent leur tirelire pour payer l’école des enfants, le commerce local crie lui aussi, lui surtout, à la crise. Pour la rentrée, plus de rentrées, mais des chèques sans provision ! Petit tour rapide d’un terroir de déboires. Lingerie, cosmétiques, prêt-à-porter, horlogerie : c’est la crise. M. Raymond Abou Adal, PDG de la société Abou Adal, explique qu’«elle remonte à 95» mais «elle est devenue très aiguë en 98, 99. Chaque domaine est touché d’une façon différente. Certains secteurs le sont plus que d’autres. La crise se manifeste principalement par un problème de liquidités. On ne peut plus vendre si on ne fait pas crédit. Or les risques augmentent. Les accidents de parcours commencent à devenir nombreux. La débâcle des coopératives a affecté un bon nombre de grossistes, puisque l’ensemble de ces entreprises représentait le plus gros chiffre de vente au Liban. En fait, on ne sait plus si les commerçants avec qui l’on traite peuvent ou non assumer un crédit supplémentaire», souligne M. Abou Adal. Les taxes sur la sellette Toutefois, selon le PDG de la société Abou Adal, l’ensemble de la consommation au Liban n’accuse pas une grande chute. «Elle a baissé de 4 à 5 %. Mais c’est le coût qui a augmenté, le nombre de concurrents qui a grossi, et les liquidités qui ont décru parce que les gens préfèrent garder leur argent de côté, et par le fait même, essayer de moins dépenser. De couper dans les dépenses secondaires. On se retrouve devant une situation où il y a plus d’offres et moins de demandes», explique encore M. Abou Adal. «En effet, dit une vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter, les clientes hésitent à acheter. Les unes préfèrent attendre les soldes ; les autres disent pouvoir encore utiliser les vêtements de la saison dernière ; d’autres encore sont à la recherche d’un vêtement basic qui peut durer plus qu’une saison de mode et servir à différentes occasions». Mme Rosine Farah, propriétaire d’une boutique de luxe, indique qu’à cause des douanes (36 %, sans compter les frais du transport et de l’assurance), les prix ont flambé. «Finalement beaucoup de clientes renouvellent leur garde-robe à l’étranger. Elles ne sont qu’à quatre heures de Paris ou de Rome. On a même perdu la clientèle des pays arabes, où les taxes de douane ne dépassent pas les 7 à 8 %», dit-elle. Un propriétaire de boutiques de grandes marques avoue n’avoir vendu sa collection d’été qu’à l’époque des soldes et plus précisément en affichant 70 % de rabais. Un autre, plus chanceux, indique que la crise n’a pas affecté sa propre clientèle. «Au contraire, dit-il, ces dames ont raflé une bonne partie de la collection d’hiver. Mais c’est une catégorie, de la société qui ne regarde pas au prix. Il reste cependant que le gros de la marchandise est vendu à la période des soldes». Parallèlement, des boutiques qui n’attiraient jusque-là que des teen-agers sont maintenant prises d’assaut par des adultes. Des dames élégantes portant sacs et accessoires griffés. «C’est in, et c’est imbattable côté qualité-prix», disent-elles. «On assortit des pièces dépareillées et on constitue différentes tenues chics en moins que rien. Les boutiques fashion hyperchères, ce n’est pas ça cette année», ajoutent-elles. – De fait, «ces dames fréquentent de plus en plus nos établissements», dit un chef de vente qui n’en croit pas ses yeux de voir Mme Untel débarquer dans sa grande surface. «Le plus souvent, elles accompagnent leurs enfants et on les voit se disputer un pantalon ou un veston !». Ce genre d’espaces et ces marques «raflent aujourd’hui le marché du prêt-à-porter», souligne un grand commerçant. Dans le domaine pharmaceutique, M. Abou Adal indique «une légère baisse, allant de 5 à 10 % maximum». Dans le cosmétique, elle est plus importante ( 10 à 30 %). «Elle est due à la douane principalement. Ça encourage le Libanais à acheter à l’étranger et ça stimule malheureusement la contrebande». Vers le bon marché Côté secteur alimentation, plusieurs établissements considèrent qu’il y a un équilibrage qui s’est fait au niveau des achats des consommateurs. Les gens qui consommaient des produits dits haut de gamme se dirigent actuellement vers des produits meilleur marché. «S’il y a des articles qui ont chuté c’est au bénéfice d’autres produits (dans les mêmes catégories alimentaires). Les recettes des supermarchés n’ont pas été affectées. S’il y a des magasins qui ferment, ou arrêtent de vendre, il y a d’autres points de vente qui prennent le relais et par conséquent augmentent leur chiffre d’affaires», fait remarquer Raymond Abou Adal. Popos confirmés par M. Michel Nassif des Établissements Nassif (boîtes de conserve et produits biologiques) qui signale qu’«avec la concurrence, la marge de gain a baissé mais dans l’ensemble, le chiffre d’affaires est resté le même». «Nous sommes confrontés à une période particulièrement difficile», souligne toutefois un responsable, d’une grande entreprise qui a voulu garder l’anonymat. «D’un “work smarter”, nous avons été amenés à un “work smarter and faster” ; mais aujourd’hui, il faut compter sur un “work smarter, faster and harder”. On se bat pour agrandir notre morceau de gâteau. Le pouvoir d’achat n’étant plus le même, on surmonte le fossé numérique en investissant le marché avec des produits moins chers. En raison des douanes, certains articles de luxe ne sont qu’à la portée d’une partie infime de la population. Et encore, les gens préfèrent acheter à Paris où c’est actuellement plus avantageux, en raison de la TVA. Il faut donc maintenir notre chiffre d’affaires et acquérir de nouvelles parts du marché en proposant des produits à meilleur prix. Et satisfaire 80 % de la population…». L’ordinateur aux oubliettes ? Une grosse boîte de produits informatiques indique pour sa part que depuis deux ans son chiffre d’affaires a chuté de 50 %. «Nous traitons pourtant avec des institutions financières bien établies. Toutes chicanent le coût du travail qui a augmenté et personne ne paye à terme, même les grands établissements. Pire encore, nous perdons nos matinées à tenter de récupérer des chèques sans provision émis par des particuliers. Comment voulez-vous qu’ils s’acquittent de leur dette, quand ils n’arrivent même plus à payer les scolarités de leurs enfants», dit la responsable du département vente. En raison des douanes qui taxent ses radiocassettes et appareils photos de quelque 50 % ad valorem, M. Apo Kévorkian révèle que ses importations ont chuté de près de 40 %. Les articles qui valent 30, 40 ou 60 dollars sont facilement écoulés. Mais aujourd’hui, «les Libanais se donnent le temps de la réflexion avant d’acheter un produit qui dépasse les 100 dollars», rapporte M. Kévorkian. Par ailleurs, les ventes ont baissé depuis que la maison ne fait plus crédit. «La question est devenue un vrai casse-tête. Nous n’avons plus confiance dans la solvabilité des consommateurs». Situation alarmante M. Robert Debbas vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Beyrouth (CCIB) qualifie la situation d’«alarmante» et s’élève contre la «lenteur» dans la prise de décisions. «On n’a pas su profiter de la libération du Sud dont le climat politique était très prometteur pour remettre le Liban dans la case des pays stables. On n’a pas su non plus tirer parti de l’enthousiasme des pays arabes qui, au cours de cette période, se sont tournés vers nous avec beaucoup d’intérêt. Rien n’a été exploité à son juste potentiel», dit M. Debbas. «L’effort s’est même relâché dans la période préélectorale marquée par les tiraillements internes, alors que le Liban se veut un exemple de démocratie et de libre entreprise, un champ culturel et économique fertile. C’est d’ailleurs ainsi que la région le perçoit généralement. Les déchirements intérieurs nous ont porté une atteinte sérieuse. La période postélectorale, période d’attente, n’aide pas à retrouver un rythme de développement et de croissance», a-t-il ajouté. Le vice-président de la CCIB met par ailleurs l’accent sur les capacités et l’esprit d’initiative de l’homme d’affaires libanais, qui a réussi dans tous les pays du monde. «Le potentiel est toujours intact. Mais, face à une économie de mondialisation, et de compétitivité régionale, nous devons prendre des mesures ultrarapides, électives pour rejoindre le lot des concurrents et rétablir la réputation de leadership que nous avions avant la guerre. Aujourd’hui, la loi n’est pas tellement au plus fort, elle est au plus rapide. À celui qui sait devancer les autres, être à la pointe des changements, à la pointe du progrès. Et je ne vois pas pourquoi le peuple libanais et nos gouvernants ne sont pas en mesure d’assumer cette charge. La Chambre de commerce fait beaucoup de lobbying dans ce sens. Il y a des décisions à prendre mais rien ne peut être entrepris, aucun résultat ne peut être obtenu tant que la classe politique ne se serre pas les coudes pour sauver une situation qui commence à devenir dangereuse. Alarmante même. On ne manque pas d’idées mais de la cohésion et de la solidarité de tous les acteurs politiques. Il suffit de donner un signal positif pour que la roue se remette à marcher. Il y a des chiffres significatifs qui correspondent à la réduction des importations : environ 15 %. Il y aussi la peur du lendemain, déjà tapie en chacun de nous. Cette période d’attente est très néfaste. Nous ne pouvons pas espérer trouver des solutions à nos problèmes économiques et financiers par un coup de baguette magique. Il faut une longue période, des années, pour redresser la situation macroéconomique du pays. Mais le fait de donner le signal que nous sommes sur la bonne voie serait suffisant pour déclencher un processus positif. Or ce signal ne peut venir que par le canal politique, et par une volonté de décision, absolument indispensable pour n’importe quel changement. Je le répète, les grandes solutions prendront beaucoup de temps. Nous sommes dans une situation difficile et dans une compétitivité internationale qui ne pardonne pas», conclut M. Debbas. Triste réalité aujourd’hui. Comme des derwiches tourneurs, les uns s’énivrent avec les mots pour résorber la dette. Les autres jonglent avec les écritures pour éviter la faillite. Enfin, la classe moyenne qui s’enfonce, comme une espèce en voie d’extinction. Plus de crédit, personne n’écoute personne, chacun pour soi dans la déconfiture généralisée. Au Liban, le commerce est en récession. Le commerce humain aussi. May MAKAREM
Le Liban, digne héritier de la Phénicie, pays de commerce par excellence ? Encore une réalité qui peu à peu se transforme en fausse légende. Car, au moment où les Libanais cassent leur tirelire pour payer l’école des enfants, le commerce local crie lui aussi, lui surtout, à la crise. Pour la rentrée, plus de rentrées, mais des chèques sans provision ! Petit tour rapide...