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Actualités - BIOGRAPHIE

SCULPTURE - Un métier en voie de disparition Antoine Berberi, un « résistant » dans sa fonderie d’art

Le pays est clairsemé de ses sculptures monumentales et de ses bustes de grands hommes qui lui ont valu plusieurs prix, mais peu de gens le connaissent, surtout la jeune génération. Dans son atelier de Dbayé où il a installé en 1967 une fonderie d’art à la cire perdue, le sculpteur Antoine Berberi continue de se battre au quotidien pour que survive l’art de la fonderie et du bronze coulé. Mais c’est surtout en France qu’il expose et vend ses œuvres. Rencontre avec un artiste qui refuse de se laisser décourager. Antoine Berberi est né à Beyrouth en 1944. Il devait avoir 14 ans lorsque s’est fait le premier «tilt» dans sa tête, qui le mènera plus tard jusqu’à la sculpture. «C’était un jour de Pâques. J’accompagnais mon père en visite chez un ami, à Achrafieh, se souvient-il. Dans l’immeuble d’en face, j’ai aperçu le sculpteur arménien d’origine russe Mouradof, qui était de passage au Liban. Il était à l’œuvre, exécutant le buste de Sami el-Solh qui posait pour lui. Je les ai immédiatement rejoints. J’étais subjugué». Le jeune Berberi rencontre ensuite, à Fanar, le sculpteur Youssef Ghoussoub qui l’initie à cet art et lui donne plusieurs cours pratiques. Il s’inscrit ensuite à l’Académie libanaise des beaux-arts pour un an, en 1962. «J’étais le seul élève sculpteur, précise-t-il. J’avais, entre autres professeurs, Zaven Hadichian, Nicolas Nammar et Nadia Saïkali». La passion du bronze lui est venue plus tard, suite aux recommandations de Youssef Ghoussoub. «Du temps des Phéniciens, le roi Hiram 1er avait coulé les plus beaux bronzes de la région, dont deux colonnes de 33 mètres à l’entrée du temple de Salomon, rappelle Berberi. Et jusqu’aujourd’hui, on ne sait toujours pas comment il s’y est pris. Cet homme de Tyr était un maître du métier et, depuis cette période cananéenne, on n’a plus jamais réalisé de telles œuvres, même dans la construction de Baalbeck, même du temps des Grecs. Jamais plus il n’y a eu la fonte d’art au Liban et au Moyen-Orient, ni même en Égypte». Les Cananéens avaient donc mis au point le premier système de fonte de bronze à la cire perdue. «Cette méthode est encore utilisée de nos jours en Afrique, souligne Antoine Berberi. C’est aussi cette même méthode élaborée qui sert actuellement pour la fonte des bijoux, et qui est aussi utilisée dans l’art dentaire». Après son année d’études à l’Alba, il participe à un concours et obtient une bourse du ministère de l’Éducation nationale pour aller se spécialiser en France et étudier la sculpture. De 1963 à 1967, il intègre l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris et rejoint l’atelier du sculpteur Hubert Yencesse. Il n’oublie pas le conseil de Youssef Ghoussoub : «surtout apprend la fonderie». «Moi, j’aurais bien aimé n’être que sculpteur, si seulement il y avait eu un autre fondeur, dit-il. Car la fonderie est un plaisir, certes, mais aussi un travail de haute technicité qui nécessite un grand savoir-faire. On risque de louper une pièce pour un rien et, en une minute, le travail d’un mois peut être anéanti. Même les fondeurs les plus expérimentés calculent un risque de 10% d’erreur. Par ailleurs, un modelage peut demander une semaine ou 15 jours de travail tandis qu’une fonte, deux ou trois mois». Travail manuel et paradoxe Antoine Berberi constate avec regret que «de moins en moins de jeunes veulent apprendre un métier. Pour ma part, j’en suis encore à utiliser mes deux mains pour fondre mes sculptures, avec l’aide élémentaire de deux ouvriers». Car il n’existe pas de machines qui coulent ; cela ne se fait pas mécaniquement. Dans son atelier, ouvert dès son retour de Paris en 1967, il travaille surtout le bronze et l’acier direct, en tôle inoxydable. S’il continue à participer de temps en temps à des expositions collectives au Liban, on trouve surtout ses œuvres dans plusieurs galeries de Paris où il a une maison et un petit atelier de conception. «Ici, il me semble que cela fait plusieurs années que l’art n’intéresse plus grand monde, constate-t-il avec amertume. Où est passé l’intérêt du public connaisseur d’avant la guerre ? Même les critiques d’art et les journalistes ne travaillent plus comme avant, mais à la va-vite, trois petits tours et puis s’en vont». Selon lui, l’intelligentsia libanaise n’existe plus. Une bonne partie est décédée, une autre a quitté le pays avec sa progéniture. Ou alors, elle n’a plus le cœur ni l’envie de se manifester… Il relève un paradoxe flagrant : deux symposiums annuels de sculpture au Liban (Rachana et Aley) et pas une seule école pour cette discipline. L’art devient païen Professeur aux beaux-arts de l’Université libanaise, Antoine Berberi se bat depuis le début de la guerre pour la réouverture de la section sculpture de cette université, qui a fermé ses portes avec le début des événements mais qui, officiellement, existe toujours. «Chaque année, nous signons des pétitions en ce sens, mais en vain, dit-il. Car il existe des talents de peintres comme il en existe de sculpteurs, et ces derniers méritent aussi qu’on les encourage. Nos Écoles de beaux-arts sont invalides. Et les symposiums donnent forcément des catastrophes, puisque les participants n’ont pas de formation en trois dimensions, ce qui est un métier à part entière. Car avant d’être une affaire d’inspiration et de création, la sculpture est une technique qu’il faut acquérir, surtout lorsqu’on travaille à l’échelle monumentale». À son avis – pour ceux que cela pourrait consoler – on note une régression universelle dans toutes les expressions d’art. «Je pense que le monde occidental qui impressionne nos jeunes est tombé dans un faux paganisme et produit de plus en plus un art athée. Sa philosophie, sa pensée et son comportement influent sur ses mœurs. Or, la religion élève l’esprit. Sans elle, l’art devient de plus en plus conceptuel et païen. La personne qui n’a pas de foi et qui vit au jour le jour ne peut avoir qu’un message païen. La sculpture peut alors attirer par sa conception, par son matériau, par sa lumière, son éclat, mais ce ne sont que des artifices de présentation derrière lesquels il n’y a rien». D’autre part, Antoine Berberi condamne la guerre dangereuse qui est menée contre la pensée et la culture des Autres, et qu’on appelle «mondialisation»... Pour lui, qui donne tous les six mois des conférences et causeries à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, «l’art doit être porteur d’un message, et surtout la sculpture. Personnellement, j’ai quatre sources principales de motivation». La première est le corps humain, le nu et la danse. «C’était la période où j’étais très proche de Rodin, de Bourdelle, de Mayol, de Michel-Ange. J’avais plaisir à situer le mouvement dans l’art, à transformer les muscles pour exprimer le mouvement, dans un grand jeu de stylisation», indique-t-il. La deuxième source est, comme il l’appelle, les «choses de la pensée», qui se produisent au quotidien. Un événement dont il est témoin, un rêve, une réflexion. Il y a ensuite le souci qu’il a d’exprimer, à travers ses œuvres, son identité profonde, les racines de sa culture et l’histoire du Liban, dans toute sa richesse. «Beaucoup de Libanais ne connaissent rien à leurs origines. Pour remédier à cela, il faudrait rendre notre passé plus populaire, par l’audiovisuel notamment, en rassemblant des documents et en faisant des films. Il faudrait ensuite repérer les potentialités et les talents d’aujourd’hui, afin de pouvoir les aider à s’épanouir et à briller». Selon lui, «en créant la République libanaise, Béchara el-Khoury a été presque parfait, n’était-ce l’erreur fatale qu’il a commise de ne pas consacrer un pourcentage du budget national annuel à la création et au génie, dans tous les domaines, affirme-t-il. Mais il n’est jamais trop tard pour rattraper cette erreur». Enfin, la sculpture statuaire est sa quatrième et dernière source de motivation. Il réalise des bustes de «grands hommes libanais», qu’il immortalise ainsi, «presque toujours sur commande». Actuellement, avec l’aide de deux ouvriers, il termine celui de Béchara el-Khoury. La première étape consiste à réaliser une maquette miniature du personnage. Cette maquette est ensuite sectionnée en plusieurs morceaux qui sont agrandis un à un, selon la méthode de l’agrandissement en trois compas. Une fois le moule armé, on y coule la cire par l’entonnoir de coulée. Le tout est mis au four, à 1 050°. La cire fond, et l’on obtient donc une cavité. C’est là que l’on coule alors le métal, à 1 300°. Lorsque toutes les pièces sont fabriquées, on les rassemble, comme pour un puzzle. Elles s’emboîtent à la romaine ; il n’y a pas de soudures. Les enfants d’Antoine Berberi ont choisi la médecine. Ils ne prendront donc pas la relève de leur père. Que deviendra la fonderie d’art de Dbayé dans quelques années ? Avis aux intéressés, pour que survive cet art hérité de nos ancêtres les Cananéens. Natacha SIKIAS
Le pays est clairsemé de ses sculptures monumentales et de ses bustes de grands hommes qui lui ont valu plusieurs prix, mais peu de gens le connaissent, surtout la jeune génération. Dans son atelier de Dbayé où il a installé en 1967 une fonderie d’art à la cire perdue, le sculpteur Antoine Berberi continue de se battre au quotidien pour que survive l’art de la fonderie et du...