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Actualités - INTERVIEWS

ENTRETIEN - Lentement, sûrement, Salah Honein redonne à la politique ses lettres de noblesse L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux

Question : pourquoi l’un des députés les plus professionnels – une espèce en voie de large disparition – est un amateur de chevaux ? A priori, il n’y a aucun rapport. D’autant plus que Salah Honein n’est député que depuis quelques mois et qu’il n’a pratiquement plus le temps de gagner des sauts d’obstacles. Mais ça ce n’est pas grave. Réponse : parce que Salah Honein est en train, lentement, sûrement, de redonner à la politique libanaise ses lettres de noblesse. Le sérieux et la crédibilité dont elle manque plus que cruellement. Il suffit de se souvenir de deux choses : de son triomphe un 27 août 2000 aux élections législatives dans la circonscription de Baabda-Aley sur la liste parrainée par Walid Joumblatt, et puis du discours qu’il a prononcé il y a quelques semaines lors du débat de confiance place de l’Étoile, un discours tellement impressionnant qu’un grand nombre d’hommes politiques, Fouad Siniora en tête, lui en ont demandé une copie. Pourquoi l’un des députés les plus professionnels est un amateur de chevaux ? Parce que Salah Honein est avant tout, surtout, l’homme du dialogue. Son chantre. Pas de dialogue : le vide Commencer l’interview de Salah Honein par un plan large : l’inévitable révision des relations libano-syriennes. Zoomer pour parler du patriarche maronite. Édouard Honein, le père, et Salah Honein, le fils, ont toujours été proches de Bkerké. «En deux mots, ce qui a aidé le patriarche, ce dont il a profité, c’est l’absence de dialogue. Et ce qu’il y a de plus dangereux, de plus pernicieux, c’est l’absence de dialogue. Et ça c’est valable dans n’importe quelle cellule que ce soit – la famille, le village, le quartier, la nation, dans n’importe quel regroupement formé d’au moins de deux personnes. Tout ce que génère l’absence de dialogue, c’est du négatif, et les premiers à en pâtir sont ceux-là mêmes qui refusent de dialoguer». Il est face à quoi, Mgr Sfeir, aujourd’hui ? «Il est face à un vide : deux États qui dialoguent, deux gouvernements représentatifs, deux gouvernements d’entente nationale, qui dialoguent, tout ça n’existe pas. Et à partir du moment où nous serons servis par un gouvernement qui réponde à ces deux exigences – le seul à même et le seul habilité à dialoguer si tant est que l’on s’appuie sur la Constitution, tout ira bien». C’est difficile de dialoguer, non ? «Bien sûr, parce que ce gouvernement serait formé de gens que parfois beaucoup de choses séparent, mais le dialogue est indispensable. Indispensable». Le patriarche a sans doute choisi ses mots, il a parlé d’«Anschluss». Vous approuvez ? «Écoutez, appelez-le comme vous voulez, mais il est certain que si nous continuons comme ça, l’hégémonie exercée par une partie sur une autre sera effective. Le patriarche a peur de cela et nous tous, aujourd’hui, craignons une hégémonie. Il a peur, en fait, surtout, de l’absence de dialogue dont le résultat serait, de facto, soit une sorte de rupture, soit l’hégémonie. Nous ne voulons, avec la Syrie, ni l’un ni l’autre». Est-ce que la position du patriarche et celle – beaucoup plus modérée – de Walid Joumblatt se complètent ? «Elles diffèrent évidemment sur beaucoup de points, mais pour qu’elles soient complémentaires, dans l’absolu, il faut qu’il y ait un dialogue effectif entre Moukhtara et Bkerké». Le dialogue entre eux n’existe pas ? «Je n’en sais rien, je parle dans l’absolu, c’est tout. Les deux hommes énoncent tous deux leur point de vue dont le dénominateur commun est l’appel au dialogue pour un rééquilibrage des relations libano-syriennes. Walid Joumblatt est un homme de dialogue». « Hariri aurait dû être, aussi, aux AE » Impossible également de ne pas évoquer les récents développements sur la scène locale, de ne pas s’arrêter sur la rencontre, il y a quelques jours, entre le président de la Chambre, Nabih Berry, et Mgr Sfeir, et toutes les réactions que cela a entraînées. Celle, notamment, du ministre syrien des Affaires étrangères, Farouk el-Chareh, traduit-elle, comme on l’entend souvent en ce moment, l’existence de plusieurs courants en Syrie ? «Comme dans chaque pays, il y a plusieurs courants, oui. L’un relativement rénovateur, et puis une ancienne garde que l’on croyait oubliée, avec ses méthodes, sa façon de faire de la politique...». Vous accordez du crédit à la déclaration de Nabih Berry qui avait annoncé un redéploiement à la suite d’une réunion prochaine entre les deux commandements libanais et syrien ? «Bien sûr. L’envergure du président Berry est très importante. Il a dû préparer cette initiative, oui, même si rien n’est jamais préparé à 100 %...». Cette visite est positive, selon vous ? «Évidemment. Elle s’inscrit parfaitement dans le dialogue que nous prônons. Dans tous les cas, la seule issue, c’est le dialogue. La seule...». La polémique qui s’envenime un peu plus de jour en jour entre la Libye et le Liban – notamment avec Nabih Berry –, vous en pensez quoi ? «La disparition de l’imam Sadr doit être un sujet national et qui doit concerner l’ensemble des Libanais. Une grande majorité de chrétiens respectaient beaucoup l’imam Sadr, et sa disparition, dans des circonstances bizarres, ne doit pas mobiliser uniquement la communauté chiite. Nous voulons tous que la lumière soit faite sur sa disparition, et j’appelle le gouvernement à prendre une décision ferme à ce sujet. C’est à lui de traiter le sujet. Cela évitera au moins à Nabih Berry, qui a le mérite d’avoir fait bouger les choses, bon nombre de désagréments...». Enfin, concernant le dossier des écoutes, Salah Honein en appelle également au gouvernement, leur demandant plus, «beaucoup plus», de sérieux. Quant à la controverse autour de l’absence du ministre des AE, Mahmoud Hammoud, lors de la tournée arabe du Premier ministre, le député de Baabda a la solution en main – certes radicale : «Rafic Hariri aurait dû détenir également le portefeuille des Affaires étrangères. Il en a toute l’envergure et tous les moyens». Au moins, c’est clair... L’initiative Karamé Parlons justement de ce rapprochement druzo-chrétien, dont vous êtes un des garants. Vous le voulez ouvert à l’ensemble des communautés, non ? «Évidemment. Nous encourageons fermement la création d’un axe politique multiconfessionnel, multipartite, multirégional, comme au temps du Bloc national et du Destour. Si nous pouvons revenir à un tel niveau de pratiques politiques, ce serait l’idéal. Mais l’essentiel, c’est surtout notre invitation au dialogue. Nous ne demandons pas à nos interlocuteurs d’être d’accord avec nous, nous les exhortons au dialogue, c’est tout. Lorsque Omar Karamé a appelé à un congrès national en plein Parlement, c’était très bien». Et la réponse de Rafic Hariri qui a exclu presque catégoriquement tous les courants extraparlementaires du processus d’entente nationale ? «Je suis contre. Parce que même si un député a obtenu 50,1 % des voix, il n’en reste pas moins que les 49,9 % restants existent bel et bien, et c’est à l’extérieur du Parlement qu’ils s’expriment. Ça c’est dans le meilleur des cas. Le Parlement a certainement un rôle à jouer, mais on ne peut pas, s’agissant d’un sujet aussi crucial, se limiter à la seule représentativité parlementaire et faire comme si ces 49,9 % n’existaient pas». On ne peut pas non plus passer outre ceux qui ont boycotté... «Non. Parce que même si je ne suis pas pour le boycottage, c’est un choix politique aussi fort que les autres : Ils ont boycotté les élections et pas la chose publique. Ce qui fait qu’en ce qui concerne les relations libano-syriennes, il faut que le dialogue mène à une espèce d’entente qui ne se contenterait pas des 50 %». La réponse de Rafic Hariri à Omar Karamé – «le congrès national a lieu au Parlement» – est antidémocratique alors ? «Non. Je trouve simplement que Rafic Hariri minimise l’importance et la portée de ce sujet. À mon avis, pour ce genre de choses, il faudrait plutôt un référendum...». Le mot est lâché, un mot qui nécessiterait à lui seul une interview entière. D’autant plus qu’un référendum, comme s’est employé à le souligner Salah Honein, n’aurait aucune raison d’être s’il se faisait sous pression(s). Étant donné qu’au Liban, les pressions en tous genres ont été érigées en hygiène de vie... Les priorités du député Il apparaît de plus en plus évident que si l’on veut résumer Salah Honein en un mot, nommer son essence, ce qui le fait, ce qui le meut, c’est le di-a-lo-gue. C’est ça ? «Absolument. Je suis un démocrate, je suis issu d’une lignée démocrate, j’ai été élevé dans une “maison” démocrate. Je n’ai jamais voulu, ou pu, imposer quoi que ce soit, forcer qui que ce soit à adopter ma façon de concevoir les choses. Moi je veux dialoguer et arriver, avec l’autre, à un résultat. Je refuse les a priori». Soit. Mais lorsque l’on veut établir un dialogue, c’est dans un but bien précis, sinon cela ne servirait à rien, non ? «Exactement. Tout le monde sait que notre but c’est la révision des relations libano-syriennes. Le rééquilibrage, pour que les deux parties en profitent». Quelles sont vos priorités de député maintenant ? «La députation, c’est deux volets : l’action politique, la prise de position politique qu’il faut garder et puis les trois tâches : légiférer, contrôler, étudier le Budget. Moi je fais partie de deux commissions parlementaires, celle des Finances et du Budget, ainsi que celle de l’Économie, de l’Industrie, du Commerce et de la Planification. C’est dans ce cadre que débutera ma pratique parlementaire réelle et effective, sachant que je pourrais assister à toutes les autres commissions évidemment. Quant à mes priorités, c’est bien sûr la situation économique. Là aussi, il faut un congrès national, une espèce de plan Marshall qui sera adapté au Liban». C’est lui le Zorro qui sortira le Liban de sa crise économique, Rafic Hariri ? «Nous attendons de voir ce qu’il va faire». Un mot sur les privatisations – sachant que votre exposé lors du débat de confiance a impressionné tous les spécialistes ou les principaux concernés, Fouad Siniora et Bassel Fleyhane en tête, sans oublier Rafic Hariri qui a repris vos propositions dans sa réponse aux députés – Vous n’avez pas peur d’un trust, d’une overdose de privatisations ? «La privatisation et la libéralisation vont de pair, et c’est ça qui garantit la bonne santé de la chose. Le monopole changera de camp avec la privatisation – il passera du public au privé –, et en libéralisant l’économie, on créera obligatoirement une émulation qui ne pourra être que saine. Le consommateur aura toutes les latitudes de choisir. Il y a aux États-Unis un engagement qui stipule que dans le cas où un homme politique influent, ou un membre de sa famille, aurait quelque intérêt dans un des processus de privatisation, les conséquences seraient très lourdes à assumer – amendes faramineuses, rupture de contrat, etc.». Vous accordez foi aux promesses de Rafic Hariri à ce sujet ? «Je n’ai, aujourd’hui, aucune raison de ne pas le faire. Je crois toujours ce qu’on me dit, jusqu’à preuve du contraire. En tant que député, il est de mon devoir de poser les limites nécessaires qui pourraient éviter toute dérive». L’homme et son cheval Et si on parlait un peu de la Colombie ? La Colombie, c’est le pays de la femme de Salah Honein, et Salah Honein... n’a toujours pas mis les pieds en Colombie. «Malheureusement je n’ai encore pas eu le temps, c’est un voyage qui nécessite au moins trois ou quatre semaines... Ma femme est née en Colombie, elle y retourne de temps en temps... Je l’ai connue à Paris et j’ai fait le voyage jusqu’aux États-Unis pour rencontrer ma belle-famille». Elle vous passionne, l’Amérique latine ? «Absolument. Sa nature, l’immensité, les forêts, les bois, la variété des paysages. Et puis la jungle, cette force de la nature, cette géographie qui n’ennuie jamais, ce côté sauvage, ça m’impressionne énormément. Et les habitants, aussi, chaleureux, vivants, ouverts... Et puis l’Amérique latine, c’est en même temps les traditions et l’Occident, le développement technologique...». Salah Honein parle couramment l’espagnol. Comme le français et l’anglais, évidemment. «L’espagnol est la langue que l’on parle ma femme et moi à la maison, avec Édouard et Inès, sans oublier aussi le français et l’arabe. Ma femme parle bien l’arabe...» Et puis le cheval... Salah Honein était un excellent cavalier. Salah Honein n’a plus le temps de faire du cheval. Et Salah Honein est fou de chevaux. Une raison particulière ? «C’est un sport où tu n’es pas seul face à ta raquette, ton ballon, tes skis... C’est un sport où tu dois être en harmonie parfaite avec un être vivant – un animal en l’occurence... Il faut une synergie, un dialogue». C’est comme en politique ? «Absolument. Entre l’homme et le cheval, s’il n’y a pas de dialogue, de confiance, de traitement équilibré, de respect mutuel, tu ne gagneras jamais un concours hippique. Jamais. Ce sont deux personnalités différentes, complètement différentes, le cavalier doit s’adapter pour acquérir la confiance du cheval, donner le meilleur de lui-même pour que sa monture, à son tour, donne le meilleur d’elle-même. C’est comme ça. Oui, c’est comme en politique». Voilà pourquoi l’un des députés les plus professionnels est aussi un amateur de chevaux. Il y a, heureusement, des centaines de choses que Salah Honein pourrait améliorer, perfectionner, chaque jour. Et plus particulièrement, ses qualités d’orateur. Il n’empêche, un grand homme politique est né. Indéniablement. Et avec un prénom. Un certain Édouard H., quelque part, doit sourire. Heureux. Ziyad MAKHOUL
Question : pourquoi l’un des députés les plus professionnels – une espèce en voie de large disparition – est un amateur de chevaux ? A priori, il n’y a aucun rapport. D’autant plus que Salah Honein n’est député que depuis quelques mois et qu’il n’a pratiquement plus le temps de gagner des sauts d’obstacles. Mais ça ce n’est pas grave. Réponse : parce que...