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Actualités - OPINION

Écrasante « minorité »

 Après la bruyante cacophonie des dernières semaines, la navette de l’ancien ministre des AE Fouad Boutros entre Damas et Bkerké puis le long et positif entretien qu’a eu hier le président de l’assemblée Nabih Berry avec le patriarche maronite constituent de solides motifs d’espoir quant à la possibilité d’un dialogue serein, sincère et responsable sur cette question épineuse entre toutes qu’est la présence militaire syrienne dans notre pays. Venant confirmer dans les faits ce que commandaient déjà la morale politique et le simple bon sens, ces deux démarches sont, par ailleurs, autant de cinglants démentis à la thèse officielle selon laquelle cette question ne concerne que les deux États. Et que la présence syrienne, «nécessaire, légale et provisoire», pour reprendre la formule consacrée, échappe à tout débat public, lequel ne serait de surcroît qu’un service gratuitement rendu à l’ennemi israélien. À ces péremptoires assertions sont venues, ces derniers jours, s’en ajouter d’autres, non moins malencontreuses. Ainsi, le départ des troupes syriennes n’interviendrait qu’après l’évacuation israélienne du Golan, la restitution des fermes de Chebaa, le retour à leur patrie des réfugiés palestiniens, et on en passe : perspective qui, du train où vont les choses dans la région et avec un peu de chance et de patience, nous projette en l’an de grâce 2618. Ce bail de longue durée si généreusement concédé donne la funeste impression de traduire tous les non-dits des accords bilatéraux libano-syriens venus se greffer, en le dénaturant, sur l’accord interlibanais de Taëf. Quant à ceux qui contestent cette présence amie, ils ne seraient, toujours selon les vues officielles, qu’une minorité tenue de se soumettre à la règle du nombre, et qui pourra toujours faire valoir son opinion le jour où elle accédera au pouvoir par la voie d’élections ! C’est une bien particulière idée de la démocratie et du verdict des urnes que l’on se fait, apparemment, dans les plus hautes sphères du pouvoir exécutif, Baabda et Sérail confondus, et pour cause. Car sans le moins du monde mettre en doute ses aptitudes et mérites personnels, le pensionnaire du premier de ces palais a été élevé à la première magistrature par le vote unanime d’un parlement toujours prompt à saisir au vol l’inspiration syrienne. Et tous les triomphes électoraux de la terre, tous les désaveux populaires du cabinet Hoss n’auraient jamais entraîné le soutien non moins massif du même Parlement à M. Rafic Hariri, sans l’assentiment à peine tacite de Damas. Mais revenons à nos moutons (de Panurge). Que les Libanais, hommes politiques, chefs religieux, leaders d’opinion ou simples citoyens, qui réclament haut et clair un redéploiement ou un départ syrien, soient une minorité, c’est techniquement vrai : à cette nuance près qu’ils sont la partie visible (et audible !) de l’iceberg, face à une majorité dont tout porte à croire qu’elle n’en pense pas moins mais qu’elle préfère, pour des considérations diverses, se taire. Tout cela, le pouvoir local et les Syriens eux-mêmes, avec les moyens d’investigation plus ou moins discrets qu’ils détiennent, devraient être les premiers à le savoir. Cette minorité en serait-elle effectivement une, numériquement et statistiquement parlant, qu’elle aurait néanmoins voix au chapitre, qu’elle aurait le droit le plus absolu de se faire entendre par tous les moyens que lui garantit la constitution, que ses frayeurs et angoisses mériteraient d’être constatées, prises en compte par les gouvernants. Un tel souci de la part des responsables devrait être sacro-saint, incontournable, dans des sociétés précisément composées de minorités comme c’est le cas au Liban et où la démocratie, pour bancale et imparfaite qu’elle soit, se doit d’être consensuelle avant tout. C’est ce même refus de l’État d’assumer son rôle premier, celui du bon père attentif aux aspirations de tous ses administrés, qu’a d’ailleurs déploré ce diplomate d’exception, ce contestataire indomptable et pétri cependant de sagesse, cet ardent patriote qu’est Fouad Boutros dont le seul choix, pour cette délicate mission s’inscrivant sous le signe du dialogue, en illustre tout le sérieux. Que Damas, avant Beyrouth et même contre l’avis affiché de Beyrouth, ait pris conscience de la nécessité de parler, même indirectement, avec les mécontents, d’entreprendre de les rassurer, comme l’a fait par procuration hier le président Berry, est énorme. Énorme en effet même si dans le passé, et avant qu’elle ait réussi à s’assurer le contrôle des institutions libanaises, la Syrie n’a cessé en fait de traiter, de manière tantôt amicale et tantôt conflictuelle, avec les différentes fractions du pays. Énorme, oui, car avec une décennie entière de retard, la Syrie en est à découvrir que la légalité formelle mise en place dans son fief libanais c’est bien utile mais ce n’est pas tout, que c’est là une condition nécessaire mais guère suffisante. Et qu’un minimum de légitimité populaire peut s’avérer indispensable dans les grandes occasions, comme c’est indéniablement le cas aujourd’hui où sont levés tous les tabous, où les innombrables prétextes avancés pour le maintien du statu quo ne trompent vraiment plus personne. De cette évolution des esprits, le pays est redevable surtout à deux hommes : le patriarche Sfeir dont l’admirable pugnacité aura eu raison des attaques des uns comme des frileuses réserves des autres. Et Walid Joumblatt qui, avec un courage hors pair, a administré la preuve éclatante qu’un Liban redevenu enfin libanais n’est pas le rêve fou des seuls chrétiens. Issa GORAIEB
 Après la bruyante cacophonie des dernières semaines, la navette de l’ancien ministre des AE Fouad Boutros entre Damas et Bkerké puis le long et positif entretien qu’a eu hier le président de l’assemblée Nabih Berry avec le patriarche maronite constituent de solides motifs d’espoir quant à la possibilité d’un dialogue serein, sincère et responsable sur cette...