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Actualités - REPORTAGES

SOCIÉTÉ - Drame de la vie ordinaire : il tue son fils et ses deux filles avant de se suicider Chronique d’un infanticide annoncé...

Un adulte et trois enfants retrouvés morts sur une route de montagne. Ni accident de voiture ni assassinat pour vol, mais cruel infanticide suivi d’un suicide : dimanche 5 novembre, Atef Andari (34 ans) a abattu ses trois enfants Alaa (14 ans), Ghenwa (13 ans) et Inas (8 ans). Il a choisi un bois non loin de son village de Abadiyé (caza de Baabda) pour tirer d’un fusil de chasse, à bout portant, sur son fils et ses deux filles. Quelques instants plus tard, Atef s’est donné la mort. Un fait divers qui en dit long sur les drames sociaux vécus au quotidien. Cette histoire n’est pas celle d’une famille qui respirait le bonheur et qu’un coup du destin est venu briser. Le crime, le meurtre, l’infanticide, le suicide collectif, appelez l’action comme bon vous semble, ne constituait pas un accident de parcours. Loin de là. Dans cette histoire, tout était prévisible ou presque. Quand on traverse au crépuscule les villages touchés d’une façon ou d’une autre par le drame, Abadiyé, Dhour el-Abadiyé, Rouaisset el-Ballout, Ras el-Metn, Abay, on a du mal à imaginer que ces localités tranquilles peuvent être, elle aussi, le théâtre d’abominables crimes. Dans ces villages, on évoque à demi-mots le meurtre commis dimanche 5 novembre et on raconte des moitiés de vérité. Ici, on tente de ne pas poser les questions qui blessent, d’ailleurs ce sont les non-dits qu’il faudrait élucider. Voici – en vrac – quelques faits : Atef, le meurtrier, a fait de la prison. Il y a cinq ans, sa femme Hanan (32 ans) l’a quitté. Depuis, les deux petites filles assassinées, Ghenwa et Inas, ont été placées dans un orphelinat. Le fils aîné Alaa est resté chez ses grands-parents paternels. Il était handicapé. En septembre dernier, Hanan s’est remariée. Elle comptait (et compte toujours) émigrer avec son nouvel époux aux États-Unis. Depuis sa libération, Atef qui souffrait de problèmes psychologiques – schizophrénie ou mélancolie aiguë – a menacé à plusieurs reprises de tuer ses enfants et de se suicider. Mais personne n’a imaginé qu’un jour cet homme en difficulté pourrait mettre effectivement en pratique ses idées macabres... jusqu’à dimanche 5 novembre. À Abadiyé, village de Atef et de ses trois enfants, la famille Andari recevait la semaine dernière les condoléances dans un salon commun aux familles de la localité. Jamil et sa femme, les grands-parents paternels des petites victimes, les parents du père infanticide, ne veulent plus rencontrer des journalistes. D’ailleurs, c’est ce couple du troisième âge qui est le plus éprouvé par le drame. Ghenwa et Inas venaient passer la plupart de leurs week-ends, hors de l’orphelinat, chez eux. Quant à Alaa, l’enfant sourd-muet, ils avaient décidé, depuis le départ de sa mère il y a cinq ans, de le prendre en charge. Akram, le cousin du père meurtrier, raconte la journée de dimanche 5 novembre. «Atef était normal ce jour-là, indique-t-il. Il avait demandé à son père la permission de raccompagner lui-même les filles à l’orphelinat de Abay. Il voulait aussi que son fils handicapé l’accompagne, histoire de le promener», ajoute-t-il. Les habitants du village retrouvent les corps Jamil avait accepté à une seule condition, que Atef rentre tôt à la maison afin d’installer le poêle. Dans ce village, situé entre les cazas de Baabda et du Metn, il commence à faire frisquet surtout la nuit. Atef a donc pris sa camionnette, une nouvelle acquisition grâce à laquelle il parvenait, dit-on, à arrondir ses fins de mois en transportant des fruits et des légumes de la montagne jusqu’à la capitale. Il y a installé ses enfants. Au lieu de se diriger vers Abay, il a pris la direction opposée : Dhrour el-Abadiyé. Muni d’un fusil de chasse, il a tiré à bout portant sur ses trois enfants. Atef portait également une grenade sur lui. Il a traîné les corps de ses enfants Alaa, le sourd-muet, et Inas, la benjamine, dans la majestueuse forêt de pins. Selon le rapport du médecin légiste, le meurtrier aurait transporté le corps inerte – touché à la poitrine de son enfant cadet –, sa fille Ghenwa âgée de 13 ans, dans la camionnette Volswagen jusqu’à Rouaisset-el Ballout où il s’est suicidé. En fin d’après-midi, dans la maison familiale des Andari on commençait à s’inquiéter. Atef n’était toujours pas rentré. La famille a téléphoné à plusieurs reprises à l’orphelinat de Abay pour s’enquérir des fillettes, en vain. En soirée, les habitants du village – munis de torches et de lampes à gaz – ont commencé les fouilles. Le cousin Akram, là, s’insurge contre le gouvernement qui n’a pas dépêché tout de suite des FSI sur les lieux. «Quand nous avons retrouvé les quatre corps, c’est comme si les autorités concernées étaient soulagées de savoir que le crime était tout simplement une affaire de famille», dit-il révolté. Les autorités, l’État, le gouvernement… Quand le pouvoir est évoqué, la grogne monte auprès des Andari. «S’il a commis ce crime, c’est parce que la situation économique l’exaspérait», indique un homme de la famille. «Atef est devenu comme ça à cause des autorités», lance un autre. Explications : en 1988, alors que le meurtrier suicidaire était âgé de 22 ans, il avait commis un délit, un vol selon ses proches. Il a été emprisonné une première fois. Avec d’autres détenus, il s’était enfui de la prison. «C’était durant la guerre», indique le cousin qui ajoute que le dossier de Atef a été rouvert, il y a quelques années. Il devait servir sa peine et a donc été emprisonné une deuxième fois à Roumié, durant deux ans et demi. Selon les propos de la famille Andari, le meurtrier était un homme normal avant sa détention. Il semble que les autres détenus lui ont appris l’usage de la drogue. Laquelle ? On ne saurait dire. «Et les médecins le gavaient de médicaments, des calmants surtout», ajoute-t-on. «C’est là-bas qu’il est devenu schizophrène», laisse échapper un proche. Un autre membre de la famille dément : «Il prenait beaucoup de médicaments c’est tout ; parfois il s’enfermait des journées durant dans sa chambre (Atef habitait en permanence chez ses parents). D’autres fois, il restait des nuits et des jours sans dormir», dit-il. Hatem (30 ans), le frère de Atef, évoque ses neveux assassinés. Il ne les voyait pas souvent. Mais c’est surtout à eux qu’il pense. «Mon frère a commis un crime, les enfants étaient innocents», indique-il. Est-ce pour cette raison qu’il n’a pas été enterré le même jour que les trois mineurs ? «Nous, druze, avons nos traditions, nous ne récitons pas des prières pour le repos de l’âme d’un suicidé. Mais contrairement à ce que certains journalistes ont rapporté, Atef a été enterré dans l’un des caveaux de la famille et non dans un terrain vague», dit-il. Et d’ajouter : «Après tout, mon frère était un être humain». Refaire sa vie à l’étranger et garder les enfants à l’orphelinat Un être humain certes, mais dans le salon où l’on reçoit les condoléances, seules figurent les photos passeport des trois enfants. Comme si Atef ne faisait pas partie de la famille Andari. L’ex-femme du meurtrier est également absente. «Ils ont divorcé par consentement mutuel, elle était là hier pour les funérailles des enfants, elle se repose à Ras el-Metn chez ses parents. La pauvre, elle est dans tous ses états», indique le cousin de Atef. Ras el-Metn. La maison de Hanan Hassan. Une jeune femme en noir, qui a vêtu le foulard blanc du deuil druze, prépare le café dans la cuisine. Elle a les yeux bouffis et le visage rouge de ces personnes claires de peau qui ont trop pleuré. Au lendemain des funérailles, la maison des Hassan est presque vide. Les mêmes photos passeports des enfants assassinés qui figuraient dans le salon de Abadiyé trônent sur une table. La femme qui était dans la cuisine arrive avec sa cafetière. Hanan, c’est elle. Elle raconte qu’à l’issue de son divorce, elle a amené les deux filles, Ghenwa et Inas, avec elle. «Je ne pouvais pas les élever, je les ai donc placées à l’orphelinat», assure-t-elle simplement. «J’ai gardé mon fils qui était sourd-muet chez mes beaux-parents», raconte-elle. Hanan parle déjà de ses trois enfants au passé. Depuis son divorce, elle a regagné son village de Ras el-Metn où elle a vécu avec son père, handicapé, et sa mère. Ses autres frères et sœurs ne sont plus à la maison. L’une d’elles d’ailleurs a épousé un homme de Abadiyé, le village de Atef. C’est en lui téléphonant lundi 6 novembre qu’elle a été informée du crime. «Dimanche, je voulais voir les enfants, je ne sais pas pourquoi je m’inquiétais pour eux mais j’étais à Beyrouth», dit-elle. Et de poursuivre : «Lundi, j’ai appelé l’orphelinat pour demander si je pouvais descendre à Abay afin de les voir, l’une des responsables voulait savoir si les enfants étaient avec moi ; elle m’a expliqué que les grands-parents paternels ont demandé à plusieurs reprises des nouvelles de Ghenwa et d’Inas. Les filles n’étaient pas arrivées dimanche à l’école». Hanan appelle donc sa sœur qui vit dans le même village des Andari. Et de relever : «Elle n’a pas pu me répondre, c’est ma belle-sœur qui a pris le combiné pour me dire…». Hanan ne pleure pas, elle fixe un point fictif sur le mur blanc en face d’elle. La jeune femme ne veut même pas savoir pourquoi on ne lui a pas annoncé le meurtre de ses enfants, assassinés par son ex-mari. «Vous savez, je ne vis plus à Ras el-Metn, je suis chez mes beaux-parents à Deir Koubel. Je me suis mariée il y a deux mois. Mon mari est aux États-Unis. Il prépare les papiers nécessaires pour que je puisse m’installer en Amérique», dit-elle. Allait-elle emmener les enfants avec elle ? La question surprend la nouvelle mariée. «Ah non, les filles devaient rester à l’orphelinat et le garçon chez ses grands-parents paternels», indique-t-elle. École, internat… orphelinat Celle qui ne prononce plus le prénom de son ex-mari, apparemment depuis bien longtemps, raconte que «ses parents (de Atef Andari) sont très bien, ils ont toujours été gentils avec moi et avec les enfants. J’entretiens de très bonnes relations avec eux. C’est avec lui que j’ai coupé tout contact depuis cinq ans». Est-ce que Hanan a un jour imaginé que son ex-mari pourrait faire du mal à Alaa, Ghenwa et Inas ? «Non, j’ai toujours cru qu’il pourrait se faire du mal, ou qu’il me fera du mal à moi, mais pas aux enfants…il les aimait beaucoup », précise-t-elle. Elle évoque le passé : «J’ai toujours eu peur de lui, à plusieurs reprises il m’avait menacée avec une arme au poing». Quand son ex-mari purgeait sa peine de prison, elle emmenait les filles chez elle en week-end. Son fils Alaa, elle le voyait chez ses grands-parents paternels une ou deux fois par mois. Quand Atef a été libéré, il a été convenu de partager les fins de semaines. Les filles vivront un week-end sur deux avec leur mère. «Elles avaient passé leurs grandes vacances chez moi cet été», se rappelle la jeune femme. Hanan a vu pour la dernière fois ses filles deux semaines avant le drame. «J’ai passé une demi-heure avec elles à l’orphelinat. Avant la fin de la visite, je me suis promenée dans la cour avec Ghenwa, l’aînée», rapporte-t-elle. Et comme pour se persuader, elle ajoute : «Mes enfants étaient comme tous les autres enfants. Les filles avaient de très bonnes notes en classe. Et surtout elles aimaient beaucoup l’école». Quelle école ? «L’orphelinat de Abay», dit Hanan qui préfère, tout comme les membres de la famille Andari, désigner la Maison de l’orphelin druze à Abay par l’appellation «d’internat». Ghenwa (13 ans) et Inas (8 ans) aimaient l’orphelinat de Abay. Pour elles probablement, c’était le seul endroit accueillant, où elles se sentaient en sécurité. Mais même à Abay, les deux petites devaient savoir déjà que la vie ne les avait pas gâtées : à la Maison de l’orphelin druze, elles étaient parmi les rares internes à avoir toujours leur père et leur mère en vie… Patricia KHODER
Un adulte et trois enfants retrouvés morts sur une route de montagne. Ni accident de voiture ni assassinat pour vol, mais cruel infanticide suivi d’un suicide : dimanche 5 novembre, Atef Andari (34 ans) a abattu ses trois enfants Alaa (14 ans), Ghenwa (13 ans) et Inas (8 ans). Il a choisi un bois non loin de son village de Abadiyé (caza de Baabda) pour tirer d’un fusil de chasse,...