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Actualités - REPORTAGES

D’un centre de détention à un autre : l’histoire d’un long calvaire

 «Tu ne me reconnaîtras pas tout de suite. Je suis vraiment différente», m’a-t-elle dit au téléphone. En effet. Différente, elle l’était. Non pas par son aspect physique – c’est une rouquine aux yeux bleus perçants –, mais à cause de la passion qui l’anime dès lors qu’elle parle de son Liban. Lina Ghorayeb a été arrêtée le 9 septembre 1994 avec sa cousine et un autre membre du courant aouniste alors qu’ils distribuaient des tracts dont le texte était tiré du quotidien an-Nahar. Le texte, basé sur une information de presse, rapportait qu’Israël n’avait aucune objection à ce que la Syrie mette la main sur le Liban et qu’en contrepartie l’État hébreu signerait la paix avec la Syrie, «ce que nous avions par ailleurs dénoncé dans le tract». «Dès les premiers instants de notre interception, des agents en tenue civile ont commencé à nous asséner des coups sur nos têtes avant de nous embarquer dans leur voiture», raconte la jeune militante. Ainsi commençait son long calvaire qui allait la conduire d’un centre de captivité à l’autre, cinq en tout, passant entre les mains rugueuses d’une dizaine d’agents, les fameux «Attieh», un nom donné indistinctement à tous les agents de renseignements surtout ceux qui pratiquent l’interrogatoire, pour préserver leur anonymat. Qui vous a donné les tracts ? Comment contactez-vous le général ? Pourquoi n’aimez-vous pas la Syrie ? À chaque fois, Lina devait subir le même lot de questions. «Le plus aberrant, dit-elle, c’était de répondre à la question concernant la Syrie. Pourquoi devais-je aimer la Syrie ? Je leur disais tout le temps que je les aime tant qu’ils sont chez eux». Mauvais ! Ce n’était pas la bonne réponse. Et cela méritait évidemment une sanction. «Une salve de coups s’abattait sur moi comme s’ils cherchaient à se venger de quelque chose». «Parfois, ils utilisaient une règle pointue qu’ils enfonçaient dans des endroits sensibles de mon corps...». La nuit, Lina et sa cousine n’étaient pas seules. Elles avaient pour compagnons toute une population de cafards et de rats, des locataires bien connus de ces lieux. L’une devait faire la garde pour les éloigner, veillant au sommeil agité de l’autre. Elle est solide Lina, tellement solide qu’elle s’est débattue comme une tigresse le jour où son bourreau a tenté de l’agresser physiquement, réussissant à le décourager et alertant son supérieur qui l’a menacé à son tour des pires châtiments si elle dévoilait l’affaire à quelqu’un. Bref, un cauchemar qui aura duré tout un mois, pour finir à la prison des femmes de Beyrouth «où nous nous sommes retrouvées avec toutes les criminelles du pays». Lina et sa cousine sont ensuite transférées à la prison de Baabda où elles vont subir à nouveau le même interrogatoire, moins les coups cette fois-ci. Finalement les trois «détenus» (dont l’élément du courant aouniste arrêté avec elles) sont libérés sous caution car, entre-temps, et dix jours après leur arrestation, un mandat d’arrêt avait été émis à leur encontre. Ils sont accusés de désobéissance civile et d’atteinte à la sécurité de l’État. Le jugement rendu prévoit, pour le jeune homme, la condamnation à mort et pour les filles, la réclusion à perpétuité. Quatre ans plus tard, les trois personnes sont innocentées. 
 «Tu ne me reconnaîtras pas tout de suite. Je suis vraiment différente», m’a-t-elle dit au téléphone. En effet. Différente, elle l’était. Non pas par son aspect physique – c’est une rouquine aux yeux bleus perçants –, mais à cause de la passion qui l’anime dès lors qu’elle parle de son Liban. Lina Ghorayeb a été arrêtée le 9 septembre 1994 avec sa cousine...