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Actualités - ANALYSE

Une décision homéopathique : le bien par le mal

 «Ciel ouvert», un bien joli mot pour un trafic, aérien sans doute et hyper-licite, mais trafic quand même. C’est en effet une disposition d’ordre économique et non pas littéraire que le Conseil des ministres vient d’adopter, en décrétant ce «ciel ouvert». Qui signifie tout simplement que les compagnies aériennes étrangères peuvent organiser sur Beyrouth autant de vols hebdomadaires qu’elles voudront, les anciennes limitations étant gommées. Le mouvement de voyageurs va donc en principe s’accentuer. D’autant que les autorités se disent disposées à faciliter les visas d’entrée, pour pomper un maximum de touristes. Les cercles économiques accueillent par des bravos cette mesure de «ciel ouvert». Qui porte dans son énoncé même le concept d’ouverture et de libéralisme dont se réclame le Hariri nouveau. Quant aux milieux politiques, ils relèvent que dans la conjoncture actuelle, plutôt serrée (cf. le cas Joumblatt et le déchaînement contre le manifeste de Bkerké), le Liban officiel parvient par de tels chemins de traverse à marquer sa différence par rapport à d’autres systèmes. Moins ouverts, justement. Mais pour en revenir à l’aspect principal, c’est-à-dire économique, il saute aux yeux que l’élan vers les compagnies étrangères risque, surtout les premiers temps, de nuire à la MEA. Pour se défendre, le ministre concerné, M. Nagib Mikati, se contente de dire qu’«il y a du bon et du mauvais dans toute décision». Ce qui est souvent vrai, mais pas toujours. À preuve, pour rester dans les clichés approximatifs, qu’on ne voit pas ce qu’il y a de mauvais à prendre une bonne décision. Le chef du gouvernement se montre de son côté plus explicite. Et cela se comprend aisément : l’idée est de lui. Elle remonte même à 1996 et il avait dès lors annoncé qu’elle serait appliquée en l’an 2000. M. Hariri affirme en substance qu’«à court terme, certes, la MEA va y perdre. Mais à plus longue échéance, elle s’y retrouvera et constatera, du fait du nouveau système, un net accroissement de ses revenus. En tout cas, martèle le président du Conseil, l’essentiel c’est qu’une mesure comme “ciel ouvert” revigore l’activité économique et augmente les rentrées de l’État. Ce cycle doit permettre, à terme, de réduire les pertes de la compagnie aérienne nationale. Que l’État rémunère tous les mois, sans rien en recevoir». Bien sûr, de tels propos ne sont pas lancés en l’air et visent un certain objectif, sinon un objectif certain. À savoir le traitement de ce problème chronique, de ce patient qu’est la MEA. Qu’aucune médication, aucun plan de restructuration, aucun changement de cadres, n’ont réussi à guérir. Un vrai tonneau des Danaïdes que la Banque centrale s’épuise à emplir. Ce déficit hémorragique est dû à plusieurs causes. Mais la plus frappante, la plus scandaleuse, reste la pléthore d’employés parasitaires, parachutés là par complaisance politicienne (le fameux partage du gâteau) et qui souvent touchent des salaires astronomiques. Ces cadres ont «le dos couvert», comme on dit familièrement. À tel point que parler d’épuration et de dégraissage à la MEA équivaudrait à proférer un sacrilège. Dans ces conditions, la privatisation apparaît non seulement comme une solution financièrement rentable, mais comme une habile fuite en avant par rapport au problème sociopolitique que pose le personnel parasitaire. Qui assombrit le tableau et fait oublier le travail souvent extraordinaire, fourni par les vrais professionnels de la compagnie ; qui restent heureusement les plus nombreux. Mais qui voudrait racheter une entreprise aussi branlante ? À cette question, les loyalistes répondent qu’il n’est pas question de mettre la MEA à l’encan, que l’État y gardera en tout cas une part consistante. Et que, techniquement, on peut morceler la compagnie pour en céder quelques pans, ou quelques privilèges de sol, et pas d’autres. Le système désormais classique des repreneurs, rendu célèbre notamment par Bernard Tapie. D’ailleurs, le nouveau gouvernement a l’intention, si Dieu lui prête vie, d’opérer de même pour l’électricité et le téléphone quand on pourra les privatiser sans la lettre. Les cercles économiques ne sont pas contre une telle orientation. Mais ils soulignent, en référence à certaines expériences du passé, que le gouvernement devra cette fois faire montre, en toute affaire, d’une parfaite transparence et d’une irréprochable légalité. Les adjudications devront être de vraies soumissions d’offres et non de douteuses combines préfabriquées entre deux ou trois partenaires. Un point que le précédent ministre des Finances, M. Georges Corm, avait toujours souligné, en dénonçant des pratiques antérieures qui avaient beaucoup lésé le Trésor et le contribuable. Récemment, plusieurs pôles des organismes économiques se sont réunis pour faire le point. Et, tout en laissant au nouveau gouvernement le bénéfice du doute et en se disant prêts à coopérer avec lui à fond, ils ont décidé d’ouvrir l’œil pour voir comment les choses allaient se passer. En résumé, ces pontes estiment que pour le moment il serait tout aussi erroné de critiquer le gouvernement que de l’applaudir, puisqu’il n’a pas encore fait ses preuves, ni dans un sens ni dans l’autre. C’est ce qu’explique le président de l’Association des industriels, M. Jacques Sarraf, qui déclare : «Nous sommes en phase d’attente, face à un nouveau gouvernement qui semble prometteur. Le président du Conseil et certains membres du Cabinet connaissent la situation à fond. Ils se sont engagés à mettre au point des solutions de fond. Ils ont devant eux une période de grâce de trois mois. Nous ne leur mettrons certainement pas des bâtons dans les roues. Nous nous abstiendrons de toute critique et de toute pression. Le gouvernement est résolu, selon son chef, à présenter des solutions et des services sectoriels. Il faut espérer que les prochaines semaines soient porteuses d’indices positifs ou de mesures concrétisant valablement l’orientation gouvernementale». Laquelle se dessine par à-coups. En effet, selon ses proches, M. Hariri a décidé d’opérer toujours par surprise, pour contrer de potentiels perturbateurs. M. Sarraf reprend qu’à l’occasion de la fête de l’Indépendance, il espère que «le gouvernement affiche devant les Libanais des positions courageuses sur tous les plans et leur délivre un message indépendantiste portant sur tous les sujets». C’est peut-être trop attendre, ou trop demander. Philippe ABI-AKL
 «Ciel ouvert», un bien joli mot pour un trafic, aérien sans doute et hyper-licite, mais trafic quand même. C’est en effet une disposition d’ordre économique et non pas littéraire que le Conseil des ministres vient d’adopter, en décrétant ce «ciel ouvert». Qui signifie tout simplement que les compagnies aériennes étrangères peuvent organiser sur Beyrouth autant de...