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Actualités - OPINION

AFFAIRE DE VOLUME

 Pour cause de «terrorisme politique et intellectuel», M. Walid Joumblatt, un des principaux leaders du pays, a dû donc renoncer à deux apparitions très attendues qu’il devait faire hier à l’amphithéâtre de l’USJ et sur une chaîne de télévision locale. Jamais, cependant, silence n’aura été plus assourdissant : oui, il est finalement plus percutant, ce silence contraint et forcé, que tout ce que le chef du PSP pouvait encore dire, et qu’il n’ait déjà dit, sur l’état des relations libano-syriennes. Et sur la nécessité chaque jour plus impérieuse, chaque jour plus criante de rééquilibrer celles-ci, dans l’intérêt bien compris des deux parties. Bien compris, toute la question est là; et il apparaît qu’on reste bien loin du compte, malgré tous les espoirs de renouveau nés durant les derniers mois. Ainsi et pour commencer, c’est un bien mauvais service qu’auront entrepris de rendre à la Syrie ses hérauts les plus zélés au sein du parlement libanais, dont les interventions, lors du dernier débat de confiance, annonçaient on ne peut plus clairement la couleur. Ces députés ont critiqué les thèses de M. Joumblatt : ce qui, en démocratie, était leur droit le plus absolu, un droit dont il n’est pas superflu de rappeler d’ailleurs qu’ils n’auraient jamais pu même songer à l’exercer s’ils siégeaient ailleurs que dans cette bonne cité de Beyrouth. Ces députés ont attribué à M. Joumblatt des accointances israéliennes: ce qui était tout à la fois ridiculement outrancier et moralement condamnable, dans un pays qui est loin d’avoir digéré la somme de souffrances, de rancunes et de haines engendrées par deux décennies d’occupation ennemie et où les passions «incontrôlées» restent promptes à partir. Certains ont été jusqu’à proférer des menaces physiques à l’encontre du chef du Psp, ce que l’on se gardait bien de faire même dans les plus staliniennes des assemblées du temps du Rideau de fer : voilà qui est carrément inacceptable à l’ombre de l’«État des institutions» et, qui plus est, dans l’enceinte même de la plus sacrée d’entre elles, la Chambre; voilà qui tombe tout simplement sous le coup de la loi, immunité parlementaire ou pas, d’où la sage décision du président Berry de faire supprimer ces choquants propos du journal des débats. Plus grave et plus surprenante cependant que les diatribes de ces seconds couteaux est la décision d’interdire à M. Joumblatt et à ses compagnons l’accès du territoire syrien : laquelle, et de bien étrrange manière, n’ a été connue qu’à la faveur de «fuites» calculées, plutôt que d’une annonce en règle. Plus grave en effet, pour des motifs qui n’échappent à personne et qu’il serait superflu d’énumérer ici. Plus surprenante aussi, car témoignant d’une maladresse politique assez inhabituelle de la part d’une Syrie qui, depuis des décennies, et avec plus ou moins de bonheur, s’efforce de se poser, aux yeux des Libanais comme du monde entier, en puissance amie, alliée et protectrice du Liban, et non en asservisseur peu soucieux des formes, même quand celles-ci ne font pas trop illusion. A-t-on ainsi voulu châtier Walid Joumblatt pour avoir osé réclamer un redéploiement de l’armée syrienne vainement attendu depuis des années, l’arrêt des interférences des services secrets dans les affaires intérieures libanaises, une gestion équitable des échanges économiques, une remise en liberté des Libanais détenus dans les prisons syriennes ? On n’a réussi qu’à faire du leader druze l’un des hommes les plus populaires du pays – et pas seulement parmi les siens ou les chrétiens – et cela bien mieux que ne pouvaient le faire les plus hardies de ses déclarations publiques. Se proposait-on surtout de réaffirmer avec éclat, sur ses terres libanaises, l’invariable, l’intemporelle, l’indiscutable primauté d’une suzeraineté syrienne dont la disparition du président Hafez el-Assad et l’avènement de son fils Bachar avaient pu faire croire qu’elle était désormais vouée au déclin ? On a si bien fait alors, dans ce cas, que l’image de changement et de progrès qui, depuis le jour de son investiture, est celle du jeune chef de l’État syrien, en sort sérieusement atteinte : image que son propre peuple aura été le premier d’ailleurs à saluer avec enthousiasme ; image conforme aux exigences et réalités du XXIe siècle, image rassurante que la Syrie, plus qu’à aucune autre période de son histoire, est tenue pourtant de cultiver, à l’heure où elle cherche à s’insérer dans la globalisation, à se débarrasser de son dirigisme économique, et où elle accueille un forum international d’investisseurs dont elle attend une contribution massive à son effort de modernisation. Au plan intérieur libanais, cette affaire est sans doute promise à d’importants développements. Il est, bien sûr, des coups de semonce que même un Walid Joumblatt, que surtout un Walid Joumblatt ne saurait ignorer. Mais même si la priorité devait être donnée à l’apaisement, on n’aurait fait là que noyer le poisson, un poisson trop longtemps confiné en eau profonde. Car toutes les pressions et manœuvres d’intimidation politiques, intellectuelles ou autres n’y peuvent plus rien : c’est une envergure nationale que revêt désormais le débat sur les relations libano-syriennes, la présence militaire ne constituant d’ailleurs qu’un volet de cet épineux dossier. S’acharner à nier l’opportunité de ce débat, à le diaboliser en invoquant tantôt l’occupation israélienne du Liban-Sud et tantôt les pièges que recèle l’évacuation du même Sud (cela quand on ne se rabat pas sur le spectre d’une nouvelle guerre civile) n’en confirme au contraire que le bien-fondé. C’est un peu banal conseil des ministres, groupant pour la toute première fois en effet des personnalités indésirables jusqu’à nouvel ordre à Damas, qui s’est réuni hier pour endosser comme un seul homme, il est vrai, le credo officiel : le stationnement des troupes syriennes est «nécessaire, légal et provisoire». Reste à espérer que ce ne sera pas là la seule audace du nouveau gouvernement : un gouvernement qui tire sa crédibilité moins de sa composition, ou de son programme, que de l’engagement personnel de son chef, contracté lundi à la Chambre, de défendre les libertés publiques même au prix de sa présidence retrouvée. Détaxez vite les libertés Monsieur Hariri, détaxez-les avant même les entreprises et les circuits économiques, et en urgente priorité celles de croyance, d’opinion, d’expression. Elles sont le fondement de notre pays, de notre société. Pas du tout anonyme, celle-là. Issa GORAIEB
 Pour cause de «terrorisme politique et intellectuel», M. Walid Joumblatt, un des principaux leaders du pays, a dû donc renoncer à deux apparitions très attendues qu’il devait faire hier à l’amphithéâtre de l’USJ et sur une chaîne de télévision locale. Jamais, cependant, silence n’aura été plus assourdissant : oui, il est finalement plus percutant, ce silence...