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Actualités - INTERVIEWS

Ahmed Abodehman, un auteur séoudien francophone qui a « la chance de voir le monde par les deux bouts »…

Ahmed Abodehman est décidément un auteur pas comme les autres. D’abord parce qu’il est le seul écrivain séoudien en langue française. Ensuite parce que ce journaliste (correspondant à Paris du quotidien séoudien al-Ryad) a gardé une fraîcheur que l’on retrouve rarement chez les personnes gravitant dans le monde de la presse et des médias. Au salon «Lire en français», (dans le cadre d’un café littéraire animé par Gérard Meudal), il a évoqué avec une simplicité désarmante son enfance pauvre en Arabie séoudite et un parcours assez inhabituel qui le mènera des confins reculés d’une vie rurale et tribale vers une des capitales occidentales les plus sophistiquées. C’est ce qu’il raconte d’ailleurs dans son premier livre La Ceinture qui vient de paraître chez Gallimard, dans la collection «Haute Enfance». Ce roman qui «séduira certains Français et déplaira à certains Arabes», comme ne manque pas de le souligner l’auteur, brosse le portrait d’un monde aujourd’hui en voie de disparition. «Un univers où l’argent n’existe pas, où la vie communautaire se déroule dans une étroite communion avec la nature», indique-t-il. Un village des hautes montagnes de l’Assir, région du sud de la péninsule arabique, à près de 3 000 mètres d’altitude, où le jeune Ahmed Abodehman va passer une enfance bercée de chant et de poésie. «“Nous sommes tous des poètes”, me disait ma mère. “Si tu écoutes bien les choses, tu peux les entendre chanter”». Dans ce village, «où toutes les femmes étaient mes mères et tous les hommes mes pères», la richesse et le clinquant n’existent pas. Les femmes ont droit à la parole, elles ne sont pas soustraites à la vue des hommes, et pour leurs fils, «elles sont le lien le plus direct avec la nature, la vie et Dieu, qui est le même partout». L’ouverture d’une école va cependant troubler quelque peu cette belle simplicité. Elle changera le destin d’Ahmed Abodehman, qui d’enfant «peureux» deviendra un élève brillant. Et qui découvrira plus tard, «grâce à des amis libanais, la France et les auteurs français». Attiré par la «langue d’Eluard, d’Aragon et de Prévert», il obtiendra une bourse pour poursuivre ses études universitaires à Paris, où il réalisera son rêve de devenir journaliste. «À Paris, j’ai appris à analyser le monde, à lire et à écrire en tant qu’individu. J’ai découvert que j’étais un individu à part entière et non juste une cellule dans un grand corps. Mes maîtres m’ont également aidé à me débarrasser de certains postulats arabes aveugles. Je n’ai gardé que ceux qui, à mon avis, sont nobles et justes comme cette vision de l’égalité de tous que m’avait transmise ma mère qui me répétait toujours “tu es le fils d’Adam”». Contre l’ignorance Tout cela est narré dans un style simple et poétique à la fois, à travers un texte émouvant et émaillé d’anecdotes attendrissantes, comme celle où la ceinture du narrateur, en train d’ovationner le roi, lâche et son pantalon tombe en public. Le choix de la langue française pour écrire ce premier récit largement autobiographique n’est pas fortuit. «Je l’ai fait en premier lieu pour ma femme, qui est française, et pour ma fille, afin de leur montrer qui je suis réellement. Pour leur raconter mes racines, mon village, mon père – qui s’appelait “Hizame” (qui veut dire en français, ceinture) – ma mère, tous deux décédés aujourd’hui. J’ai aussi “écrit” mon village en français pour montrer à tous les autres lecteurs un autre visage de l’Arabie que celle des pétrodollars, du marbre et des limousines. Mais celui plus humain et plus poétique d’une culture dite primitive, porteuse cependant de grandes valeurs. Je n’ai rien à cacher, ni cette ignorance ni cette culture tribale au sein de laquelle j’ai appris à ne jamais mentir, à ne pas blesser ni envier autrui». Venant d’une tradition orale, le fait de mettre par écrit son histoire relevait presque pour Ahmed Abodehman d’une démarche anthropologique : «La mentalité bédouine ne cultive pas le passé, qui est considéré comme une honte». Tout en rendant hommage à sa terre natale, et plus spécifiquement à la civilisation rurale de son pays, «dans les villes, l’argent est devenu la valeur suprême», l’auteur veut à travers ce livre prendre une revanche sur «l’ignorance absurde». «Celle qui tue», souligne-t-il, le visage soudain fermé. Et là, d’évoquer, à demi-mot, les cinq années passées à Riyad avant de s’envoler pour la France, «une période sèche à laquelle j’ai survécu en rêvant». À l’époque, «avoir un livre en provenance de Beyrouth était une rareté et un grand bonheur». C’est ce qui le pousse sans doute aujourd’hui à militer pour l’ouverture et l’échange entre les cultures. Car «même si j’ai eu la chance de pouvoir voir le monde par les deux bouts, je porte toujours en moi mon village, et je reste toujours cet enfant qui peut perdre sa ceinture. Mais à la différence près que maintenant j’en suis conscient», conclut-il joliment. Zéna ZALZAL
Ahmed Abodehman est décidément un auteur pas comme les autres. D’abord parce qu’il est le seul écrivain séoudien en langue française. Ensuite parce que ce journaliste (correspondant à Paris du quotidien séoudien al-Ryad) a gardé une fraîcheur que l’on retrouve rarement chez les personnes gravitant dans le monde de la presse et des médias. Au salon «Lire en français»,...