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Actualités - CHRONOLOGIE

Le débat de confiance pourrait se prolonger jusqu’à lundi Joumblatt à la Chambre : « Si la présence syrienne est nécessaire, qu’on précise pourquoi »

Au deuxième jour comme au premier : le débat de confiance s’ouvre sur une note explosive. Jeudi, c’était M. Albert Moukheiber qui avait galvanisé une salle bondée. Hier, c’est M. Walid Joumblatt qui a tenu en haleine une Assemblée admirative. Posé, mais un tantinet sarcastique, M. Joumblatt a développé devant la trentaine de députés qui assistaient à la troisième séance – nocturne – du débat de confiance les mêmes idées en faveur desquelles il plaide depuis quelques mois. Farouchement, inlassablement. Le député du Chouf ne mâche pas ses mots pour déplorer les arrestations arbitraires dans les rangs des aounistes ou pour réclamer une sérieuse révision des relations libano-syriennes. Il lance aussi quelques petites pointes en direction du gouvernement : «J’espère que mes remarques seront l’écho de la volonté populaire qui nous a propulsés vers ce forum et qui a hissé au pouvoir une partie de ce gouvernement et son chef, du moment que l’autre fait partie de ce qu’on appelle les constantes nationales et régionales ou d’un cercle d’amis et regroupe quelques jeunes et quelques (personnes) compétentes». Le ton est ainsi donné. Le leader druze commence par commenter le chapitre relatif au dialogue, à la liberté d’opinion et aux réconciliations. «Le point de vue du gouvernement à ce sujet est timide, hésitant, moralisateur et flou. Il se contente de faire état d’initiatives de dialogue dans le cadre des institutions constitutionnelles afin que les solutions aux problèmes qui se posent soient le fruit d’un consensus, selon la déclaration ministérielle. La liberté d’opinion est sacrée et se situe au-dessus de tous les cadres officiels, des Constitutions, des traditions ou des équilibres. Elle ne doit pas être confinée dans un cadre de lois ; elle ne doit pas être brimée ou canalisée au nom de l’entente ou de l’unité nationale. Quant aux réconciliations, elles restent secondaires dans ce climat d’arrestations arbitraires ou de justifications ambiguës fournies par le procureur général près la Cour de cassation». Lorsqu’il aborde le chapitre consacré à la justice, M. Joumblatt réclame immédiatement «la suppression de la chambre d’opérations» constituée au palais de Baabda. Il juge nécessaire que «des mesures disciplinaires soient prises à l’encontre des officiers qui ont corrompu la justice et des magistrats qui se sont laissé faire». M. Joumblatt s’oppose aux cas dans lesquels l’arrestation préventive est autorisée. «Cela implique l’introduction d’un genre de lois martiales qui porte atteinte aux libertés et à la démocratie». Il critique vivement l’intervention des services dans la vie publique. «Nous espérons la nomination d’un recteur de l’Université libanaise, loin de la tutelle des services (…) qui ont semé la corruption». Après avoir réclamé la réorganisation des forces de l’ordre de manière à définir le rôle de chacune, M. Joumblatt soulève une série de questions et s’attarde particulièrement sur le volet social, en insistant sur les difficultés socio-économiques de la population. En vrac, il réclame l’achat des produits agricoles, l’autorisation des cultures prohibées à Baalbeck-Hermel en attendant le développement des cultures de substitution promises – les députés sourient, amusés –, s’oppose à la régularisation des atteintes au domaine public maritime et plaide en faveur de sanctions sévères contre les contrevenants, appelle à la dynamisation de l’Institut des petits et moyens crédits afin qu’il s’étende à une large tranche de la population, et note que la pauvreté va crescendo au Liban : «Les gens ne s’intéressent pas à la privatisation, à la croissance, au déficit budgétaire ou à la balance commerciale. Les pauvres ne veulent pas attendre les tables des riches pour se nourrir des miettes». Dans l’hémicycle, l’attention se relâche. On a un peu l’impression que M. Joumblatt a dit l’essentiel de son discours, surtout lorsqu’il évoque le dossier de la paix régionale après avoir réclamé la séparation de l’Intérieur et des Affaires rurales et municipales, «avant que les municipalités ne deviennent un waqf privé, tout comme le ministère de l’Intérieur est devenu un patrimoine familial». Grand sourire de M. Élias Murr qui a succédé à son père à la tête de ce département. Silence dans l’hémicycle Erreur : la bombe est laissée pour la fin. M. Joumblatt y consacre trois pages de son discours. Il s’agit des «relations avec la Syrie», laisse-t-il tomber. Silence total dans l’hémicycle. Les conversations en aparté cessent. Tous les regards sont braqués sur lui. Placide, le député enchaîne sur le même ton posé : «Étant donné les éventuelles répercussions politiques et militaires du conflit israélo-arabe, je comprends les impératifs d’un positionnement des unités syriennes à des fins stratégiques, pour défendre le flanc de la Syrie. Mais j’espère que le commandement syrien révisera certains points de déploiement qui n’ont rien à voir avec ces impératifs. Je m’étonne de ce que la déclaration ministérielle n’ait pas mentionné, ne serait-ce une fois, l’accord de Taëf, la nécessité de l’appliquer, de l’amender, de l’expliquer ou d’expliquer du moins son volet militaire». La salle retient son souffle. Le député du Chouf n’en n’a cure. Il poursuit en appelant à un rééquilibrage au niveau des accords politiques, économiques et agricoles conclus entre les deux pays. Il va plus loin encore : «Je peux comprendre les impératifs de la sécurité nationale syrienne au Liban et la nécessité de ne pas opérer un retour en arrière, mais je ne tolère pas les interventions de biais, secondaires ou partielles qui n’ont rien à voir avec les exigences de la sécurité. Aussi, je propose que les rapports de sécurité libano-syriens soient l’apanage d’un service libanais digne de confiance – il insiste sur ce terme – présidé par un pôle politique également digne de confiance – nouvelle insistance – qui jouit d’un minimum de fermeté, du sens de la démocratie et qui inspire confiance aux deux parties (le Liban et la Syrie). Dans ce cadre, le Liban se doit de respecter les règles du droit d’asile politique pour tous, conformément aux lois et aux coutumes en vigueur», poursuit-il. Indirectement, il plaide en faveur d’un dialogue que la déclaration ministérielle prône d’ailleurs, mais pas au niveau du dossier syrien : «Tout Libanais a le droit de s’opposer à ce discours, d’engager un débat, de s’opposer, de se réunir, de manifester, loin de toute poursuite, conformément au droit d’expression, dans un cadre constitutionnel ou même hors de ce cadre, dans les universités, les clubs et les médias. Il est du devoir de l’État de respecter la liberté d’opinion, l’opinion de ses citoyens même s’ils prennent le contre-pied de sa politique. Il est du devoir de l’État de faciliter le dialogue et de supprimer les doutes, s’il en est capable». Ce n’était pas encore fini avec le dossier syrien : «On ne peut se contenter des quelques phrases de la déclaration ministérielle et dire que la présence syrienne au Liban est nécessaire, légale et provisoire. Cette phrase est ambiguë, contradictoire, confirme une certitude et recèle une peur. Si la présence syrienne est nécessaire, qu’on précise pourquoi. Si elle est légale, pourquoi donc la déclaration ministérielle ne fait pas mention de Taëf ? Et si elle est provisoire, pourquoi s’être attaqué au communiqué de Bkerké ? Le patriarche avait donc raison !». «Les populations arabes accéderont à la liberté» Et d’ajouter : «Les mots contenus dans la déclaration ministérielle recèlent la peur et la prudence. Ce sont des mots vagues qui expriment l’expectative et une fuite en avant. Ce sont les mots des régimes arabes et non pas des peuples opprimés et militants, des mots étudiés et posés, de nature à satisfaire tout le monde sans vraiment satisfaire et qui peuvent facilement être interprétés. C’est la parole pour la parole. C’est bien connu chez les Arabes qui sont pris par la magie des mots, au détriment de la réalité. De toute façon, les populations arabes feront un jour leur entrée dans l’ère des libertés, de la démocratie, de la diversité et du pluralisme, loin des services, de l’écoute et des armées. En attendant, je souhaite plein succès au gouvernement, du moins à une partie de cette équipe. Quant aux autres, ils peuvent ruminer le discours d’investiture ou ce qui en reste. Peut-être pourront-ils en tirer profit ?». Il conclut en annonçant que des parents de détenus libanais en Syrie observent un sit-in près du Parlement et qu’ils lui ont remis un mémorandum exposant leur problème. Il invite les «services compétents» à s’occuper de ce dossier et à mener les investigations nécessaires. M. Joumblatt vient de terminer son discours. L’hémicycle explose. Instinctivement, les députés qui avaient boudé la veille M. Albert Moukheiber applaudissent. Plusieurs interprétations peuvent être données à leur geste. L’une d’elles est qu’ils ont salué le courage d’un des leurs qui, lui, a osé dire tout haut ce qu’ils pensent tout bas. M. Joumblatt regagne sa place. Quelques minutes plus tard, il se dirige vers le banc du gouvernement et remet au ministre de la Justice, M. Samir Jisr, le mémorandum des familles des détenus libanais en Syrie. Les interventions qui suivent paraissent lamentablement plates, celle de M. Ghazi Zeayter, en particulier, qui a immédiatement succédé à M. Joumblatt à la tribune et axé son allocution sur le sempiternel problème des régions déshéritées au Liban-Sud et dans la Békaa. On retiendra toutefois celle de M. Nehmetallah Abi Nasr qui approuve les propos du seigneur de Moukhtara sur le patriarche et abonde dans son sens en abordant le volet des arrestations arbitraires : «Comment peut-on vous croire quand vous dites dans la déclaration ministérielle qu’on ne peut être arrêté ou détenu que conformément aux lois, alors que des dizaines de jeunes gens ont été illégalement appréhendés et emprisonnés la semaine dernière, rien qu’à cause de leur appartenance politique». Mais là où M. Abi Nasr s’est distingué de ses collègues, c’est en épluchant chapitre par chapitre le texte de la déclaration ministérielle qu’il présente comme étant «un mélange de slogans, de prose, de généralités, qui veulent tout dire sans rien dire». Il se demande comment le gouvernement peut espérer réorganiser la justice sans la soustraire au préalable à l’influence du pouvoir exécutif et reproche à la nouvelle équipe d’avoir mal diagnostiqué la crise économique et proposé des solutions contradictoires pour résorber le déficit. «La politique économique dont a besoin le Liban est exactement celle que vous ignorez, parce que vous ne détenez pas la liberté de décision pour l’appliquer et parce qu’elle ne correspond pas à vos intérêts et à vos politiques». Il note que partout dans le monde, «même dans les pays industriels», les productions nationales sont protégées avant de soulever le problème de la concurrence des produits agricoles étrangers qui inondent le marché local. M. Abi Nasr énumère les mesures que le gouvernement doit prendre pour induire une relance de l’activité et de la croissance économique, et s’arrête longuement sur le dossier des naturalisations – dont il a fait depuis des années son cheval de bataille –, en évoquant l’engagement du gouvernement à rejeter tout projet d’implantation palestinienne. Avec la même ferveur, il appelle l’équipe Hariri à retirer la nationalité libanaise aux «dizaines de milliers de Palestiniens, au moins 40 000» à qui elle avait été octroyée et à accorder une attention particulière au problème que pose la vente massive de terrains à des étrangers, dont des Palestiniens. Les critiques formulées par le député au programme sur base duquel le gouvernement entend obtenir la confiance de la Chambre sont nombreuses. Mais M. Abi Nasr souhaite accorder le bénéfice du doute à la nouvelle équipe, surtout qu’un des membres de son bloc parlementaire, M. Georges Frem, en fait partie. Il décide de lui accorder «une confiance conditionnée» s’étalant sur 6 mois. M. Robert Ghanem insiste sur la réalisation de l’entente nationale et appelle à l’élaboration d’une loi électorale qui consolide la présence et le rôle des partis dans la vie politique. «En l’absence d’un système fondé sur une vie partisane, le gouvernement composé d’une majorité de députés ressemble à un mini-Parlement, ce qui est de nature à neutraliser le rôle de l’Assemblée qui exerce un contrôle sur l’Exécutif. Les députés ne peuvent pas demander au gouvernement de poser la question de confiance alors qu’il est issu de la Chambre», fait-il valoir. L’un après l’autre, MM. Youssef Maalouf, Mohamed Kabbani, Jamal Ismaël, Ibrahim Bayan, Mohamed Raad, Abdel Rahman Abdel Rahman et Mohamed Safadi se succèdent à la tribune pour développer grosso modo les mêmes points. M. Raad, chef du bloc du Hezbollah, annonce qu’il s’abstiendra d’accorder sa confiance au gouvernement. Un autre député du bloc, M. Ibrahim Bayan, ne donne aucune précision à ce sujet, mais répond à M. Moukheiber en indiquant que «le jet de pierres contre les soldats israéliens à la frontière est légitime, parce que la présence de réfugiés palestiniens au Liban constitue une agression israélienne». La séance se prolonge, fade et ennuyeuse. Elle reprendra ce matin à 10h30. Une soixantaine de députés doivent encore prendre la parole, et selon certaines sources parlementaires, le débat risque de se prolonger jusqu’à lundi. Tilda ABOU RIZK
Au deuxième jour comme au premier : le débat de confiance s’ouvre sur une note explosive. Jeudi, c’était M. Albert Moukheiber qui avait galvanisé une salle bondée. Hier, c’est M. Walid Joumblatt qui a tenu en haleine une Assemblée admirative. Posé, mais un tantinet sarcastique, M. Joumblatt a développé devant la trentaine de députés qui assistaient à la troisième...