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Actualités - REPORTAGES

DÉVELOPPEMENT - Les retards dans les paiements influent sur le retour Chartoun : pierre par pierre, un village, une vie se reconstruisent

Des souvenirs, les habitants de Chartoun, un village au sud-est de Aley, en ont à la pelle : les belles demeures aux arcades, l’église de Saint-Challita qui aurait fêté ses cinq siècles bientôt, les oliveraies et le chêne, surtout le chêne séculaire qui protégeait d’une ombre bienfaisante tout le parvis et la place de l’église… Mais toutes ces images ont été balayées par la guerre, jusqu’à la dernière pierre, et jusqu’au chêne qui n’existe plus. Cependant, les habitants de Chartoun ont décidé, malgré la lourde croix du passé, de se tourner résolument vers l’avenir. C’est en rebâtissant leurs maisons qu’ils ont affirmé leur volonté de rentrer et de partager le destin de la montagne. Mais ils ont dû vite se rendre compte que la seule volonté ne suffit pas toujours… En 1983, au cours de ce qui a été appelé la «guerre de la montagne», Chartoun a payé un lourd tribut à la folie des combats : tout le village a été rasé et 36 personnes ont trouvé la mort. Les habitants, pour la plupart, se sont réfugiés et établis, tant bien que mal, dans la capitale. Mais on n’oublie pas facilement ses racines et, la douloureuse page de la guerre tournée, un grand nombre s’est empressé de rentrer chez lui, vivant aujourd’hui harmonieusement avec son entourage. «J’étais très malheureux à Beyrouth, je n’ai pas cru mes oreilles quand on m’a dit que je pouvais revenir chez moi», raconte Abou Élias. «Je n’ai pas retrouvé ma maison, mais j’ai commencé à en bâtir une nouvelle, avec mes trois fils. Jusque-là, nous n’avons pu finaliser que le rez-de-chaussée, et nous dormons à quinze ou vingt personnes dans une seule pièce qui sert aussi de salon». Les causes des difficultés auxquelles fait face Abou Élias sont explicitées par le président de la municipalité, M. Antoine Chartouny. Chaque famille a droit à une habitation, dont celles récemment constituées, c’est-à-dire celles des fils mariés après le déplacement, ainsi que tout enfant célibataire de plus de 27 ans. Les foyers reçoivent une aide qui s’échelonne sur trois versements : 12 millions de LL pour les fondations, les piliers et la dalle d’un étage, 10 millions pour la maçonnerie, les enduits et le carrelage, et 8 millions pour le reste, c’est-à-dire les travaux de menuiserie, plomberie, équipements sanitaires… Ce troisième versement n’est accordé que si les travaux inclus dans les calculs des deux premiers sont achevés. «Je comprends très bien le raisonnement des responsables du ministère et de la Caisse des déplacés, souligne M. Chartouny. Cet argent dont ils gèrent la distribution est destiné à la construction, sans laquelle le retour ne peut être finalisé. Malheureusement, ces sommes n’incluent pas les murs de soutènement et autres travaux de stabilisation indispensables en montagne. Or les premiers versements sont vite engloutis par ces travaux, et les habitants doivent souvent puiser dans leur poche pour continuer». «En 1995, lorsque nous avons décidé de rentrer, poursuit-il, la situation économique était moins catastrophique qu’aujourd’hui, et nous étions prêts à compléter de notre argent les contributions de la Caisse. Malheureusement, ce n’est plus le cas actuellement, et la plupart de ceux qui avaient formulé le vœu d’investir dans leur village natal se sont trouvés piégés, ne pouvant ni achever leur demeure, ni retourner à la case départ. Or, le temps est précieux : plus la date du retour définitif est repoussée, plus celui-ci devient difficile». Les propos du président de la municipalité et ceux des habitants rencontrés sont confirmés par ce qu’on voit sur le terrain : plus de cinq ans après le début du retour, rares sont les demeures achevées. Partout se dressent des squelettes d’immeubles ouverts à tous les vents. Parfois, un seul étage a été aménagé pour toute la famille. Quelques commerces ont déjà ouvert leurs portes, mais les clients se font encore rares. Malgré la grogne, la vie reprend Et la grogne continue. «Je devrais encore encaisser six millions, mais on me fait des complications inutiles, déclare Mounir Kiriakos, originaire lui aussi de Chartoun. Or, j’ai déjà déboursé de ma poche la moitié de la somme que m’a coûté ma maison, inachevée jusqu’à présent. Mais je ne peux en faire plus tant que mes enfants sont à l’université». Il ajoute : «Le manque de fonds est la seule raison qui nous empêche encore de nous établir ici». Samira Abi Nader aurait elle aussi aimé s’installer de nouveau à Chartoun et vivre de cette boucherie qu’elle vient d’ouvrir au rez-de-chaussée de son immeuble à demi-achevé. Mais les clients manquent et le commerce ne démarre pas. «Notre bâtisse restera sur pilotis si l’État ne nous verse pas le reste des indemnités, dit-elle. J’ai dû m’endetter de vingt millions supplémentaires pour la boucherie». Il faut préciser que le nombre de familles résidant actuellement à Chartoun est de cinquante (contre quinze en 1998). Le nombre d’habitations dont la construction souffre des retards de paiement était de 212 en 1998 et n’est plus que de 155 en 2000. Le nombre total de foyers ayant présenté des demandes à la Caisse des déplacés est de 300. Toutefois, si les difficultés s’accumulent pour les individus, l’avenir ne semble pas si noir pour le village qui, quoi qu’on dise, reprend vie. Avec l’énergie déployée par le nouveau conseil municipal et les aides offertes par la Caisse des déplacés (M. Chartouny loue le dynamisme de son actuel directeur, M. Chadi Massaad), l’infrastructure, condition sine qua non de tout développement, se reconstruit lentement. Les routes ravagées ont été nettoyées par la municipalité, et plusieurs d’entre elles asphaltées et éclairées grâce aux soins de la Caisse, mais aussi des ministères des Travaux publics et des Ressources hydrauliques et électriques, ainsi que de l’Électricité du Liban (EDL). Quelque treize murs de soutènement indispensables ont été réalisés grâce aux fonds municipaux. Une étude a été préparée pour la réhabilitation des terrains agricoles. La reconstruction des deux églises du village, Saint-Challita et Saint-Antoine, a débuté. La construction d’un dispensaire a commencé en 1994, financé par Mme Nazek Hariri, épouse du Premier ministre Rafic Hariri. Les travaux de structure de cette institution indispensable pour le retour ont été achevés en juin 2000. Restent les phases de finissage et d’équipement du bâtiment dont la subvention sera assurée avec l’aide de la Caisse des déplacés. Sans compter le reboisement de la forêt de Chartoun, incendiée à plusieurs reprises, avec la collaboration du ministère de l’Agriculture, ainsi qu’une action culturelle et sociale sans cesse nourrie par les efforts de la municipalité. Ont également contribué aux différents projets le Conseil des Églises du Moyen-Orient, Caritas, USaid, ILDES (rattachée à l’Union européenne) et la Mission pontificale. Bref, la vie reprend peu à peu son cours dans cette localité. Les liens se renouent entre ses fils, comme ils ne manquent pas eux-mêmes de constater. D’ailleurs, tout le monde se connaît et les conversations vont bon train dès que deux personnes se rencontrent. Les constructions ont beau tarder à être finalisées, l’âme du village s’y infiltre peu à peu, presque à son insu…
Des souvenirs, les habitants de Chartoun, un village au sud-est de Aley, en ont à la pelle : les belles demeures aux arcades, l’église de Saint-Challita qui aurait fêté ses cinq siècles bientôt, les oliveraies et le chêne, surtout le chêne séculaire qui protégeait d’une ombre bienfaisante tout le parvis et la place de l’église… Mais toutes ces images ont été...