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Actualités - INTERVIEWS

Naji Harb, le géant de papier : En prison, on a appris à devenir des maîtresses de maison...

Affable, encore ivre de joie, la mère de Naji Harb n’a pas hésité à nous fixer un rendez-vous, le lendemain même de sa libération. «Ahlan wa sahlan» répétait machinalement au téléphone cette mère éprouvée par l’absence trop longue d’un fils dont elle était si fière le jour où il était devenu soldat de l’armée libanaise. Cette intégration ne devait malheureusement pas porter bonheur à la famille Harb. Si la mère ne connaissait pas, ou dit ne pas connaître les raisons de l’arrestation de son fils unique, lui, par contre, en est bien conscient. «J’étais aouniste. J’ai été intercepté en juillet 1990 à un barrage de soldats syriens, alors que je me promenais dans les rues de Beyrouth», raconte Naji Harb, qui relate le début de son calvaire avec une étonnante précision. Il sera par la suite transféré en Syrie avant d’être muté à la prison de Mazzé, le 1er janvier 1991. Puis il séjournera quelques mois à Tadmor pour finir à la prison de Saydanaya où il passera les huit dernières années de sa détention. «La différence, c’est qu’à Saydanaya, on n’avait droit qu’à une seule récréation en plein air, alors que dans la prison de Mazzé, on en bénéficiait de deux» explique Naji. Les dates s’égrènent, les souvenirs coulent comme un flot, mais on reste dans le superficiel et on aurait dit que la mémoire n’a retenu que le bon côté des choses. «Nous avions accès aux activités normales dans les prisons : le jeu de cartes, les échecs, le tric-trac, et bien sûr (là les yeux éteints et cernés de Naji s’illuminent), les appareils de musculation». On comprend que c’était son passe-temps favori, à la vue de son corps bien sculpté, lui qu’on surnomme le «coq», cet homme bien bâti mais dont l’allure physique ne cache que trop mal un moral chancelant. Il ne l’avouera à aucun moment, sauf lorsque ses yeux croiseront le portrait de son père accroché en face de lui. «Sa mort m’a tué», murmure Naji, la voix brisée. Les armes jaillissent, il s’excuse, se retire un instant, puis revient affichant à nouveau son air de «grand coq». «Il est décédé le 8 août 99, à l’âge de 67 ans, des suites d’une crise cardiaque, nous confie un ami de la famille. Il est mort de chagrin». Naji retourne à son large fauteuil et reprend ses petites histoires anodines de cellules que l’on aurait dit presque confortables, si l’on s’en tenait à cette version des faits. C’est surtout la notion de solidarité entre compagnons de route que l’on retiendra de ce récit, celle qui justement les a aidés à tenir le coup. Il est fier d’avoir lié des amitiés parmi les Libanais «mais aussi les Syriens, tous des intellectuels, des gens très lettrés, très perspicaces...». «Je voudrais lancer un appel à la Voix du Liban afin qu’elle puisse améliorer sa diffusion en Syrie», souligne Naji Harb en expliquant que la radio constituait un moyen de communication inestimable, une sorte de fenêtre sur le monde libre. Pourquoi s’inquiète-t-il encore de la qualité d’émission de la Voix du Liban alors qu’il se trouve déjà au Liban ? «C’est pour mes amis syriens, qui se trouvent toujours en prison». «C’est d’ailleurs à travers une émission sur Radio Monte Carlo que nous avions appris la nouvelle de notre libération. C’était le 2 ou le 3 décembre derniers. C’est à peine croyable... On a dû attendre le jour où les responsables de la prison sont venus nous l’annoncer officiellement». Que faisaient-ils d’autre ? Que subissaient-ils ? lui demande-t-on une fois de plus avec insistance. «La cuisine, la vaisselle, le ménage, la lessive. Nous ferons de très bonnes maîtresses de maison à l’avenir. Nos femmes seront bien choyées», dit-il avec humour. C’était la première fois qu’on le voyait sourire. Naji a épuisé ses petites histoires banales. Il conclut toutefois sur une note positive, en affirmant qu’il compte réintégrer l’armée libanaise. «Je suis très enthousiaste pour ce pays, pour la cause nationale», assure-t-il tout haut. Mais la voix ne suit pas. Le regard s’éteint à nouveau. Les yeux tristes, Naji nous demande poliment si nous avons encore des questions. Vous avez été malade lors de votre incarcération? «Je suis atteint d’alopécie (perte totale des cheveux). C’est une maladie qui a été favorisée par de multiples chocs nerveux. Après tout, ça n’a pas été facile tout ce temps-là». Tout a été dit... Je. J.
Affable, encore ivre de joie, la mère de Naji Harb n’a pas hésité à nous fixer un rendez-vous, le lendemain même de sa libération. «Ahlan wa sahlan» répétait machinalement au téléphone cette mère éprouvée par l’absence trop longue d’un fils dont elle était si fière le jour où il était devenu soldat de l’armée libanaise. Cette intégration ne devait...