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Actualités - REPORTAGES

ENVIRONNEMENT - Les écologistes réclament une protection plus complète Les plages de Tyr, réserve (pas tout à fait) naturelle

Serpentines, les courbes capricieuses, les plages de Tyr s’étirent pour rejoindre au loin l’horizon. L’observateur se rince l’œil à la vue de cette belle côte interminable, l’un des derniers vestiges d’un littoral défiguré par l’invasion du béton. Si ces vastes étendues de plages ont échappé jusqu’à présent à la boulimie des investisseurs, ce n’est pas par hasard. Une loi considérant 3 883 253 mètres carrés du littoral de Tyr et de la région de Ras el-Aïn comme réserve naturelle a été adoptée le 28 octobre 1998, grâce aux efforts d’associations écologiques locales depuis 1996. Mais les ennuis ne sont pas terminés : si le béton est interdit, les baigneurs et les kiosques temporaires continuent d’évoluer tout l’été sans aucun contrôle. Alors que le financement d’une gestion digne de ce nom de la réserve demeure entravé par de nombreux obstacles. Malek Ghandour, secrétaire général de l’association Amwaj al-Bi’a («les vagues de l’environnement»), raconte les débuts de la lutte pour la préservation de la plage de Tyr. «C’est en prenant conscience des caractéristiques remarquables du site, l’un des seuls à en posséder encore sur la côte méditerranéenne, que nous avons décidé de nous battre pour le protéger, raconte-t-il. On trouve là plusieurs écosystèmes particuliers et de nombreuses espèces animales, dont certaines endémiques. Les sources d’eau douce de Ras el-Aïn sont vieilles de trois mille ans et, en se déversant dans la mer, elles donnent naissance à un écosystème unique». Des preuves de ces caractéristiques qui font du site un parfait candidat pour être classé réserve naturelle ont été apportées par une étude, adoptée par Amwaj al-Bi’a, par le Rassemblement libanais pour la protection de l’environnement, par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) et par le ministère de l’Environnement. Le premier objectif a été atteint le 28 octobre 1998 quand la loi numéro 708 a classé la côte de Tyr et la région de Ras el-Aïn réserve naturelle. La zone classée s’étend sur quatre kilomètres et demi de côte, et une profondeur allant de 500 à 800 mètres (sauf au niveau du camp de Palestiniens de Rachidiyé, non inclus dans la réserve). Pour ne pas priver les habitants de Tyr des seules plages qui leur restent, la réserve est divisée en trois parties : au nord, la plage de sable est destinée aux baigneurs et à l’exploitation touristique, une seconde partie reste entièrement isolée et une troisième, au niveau de Ras el-Aïn, utilisée pour l’agriculture biologique. Cette dernière zone a toujours été réservée aux agriculteurs, l’eau provenant des trois sources millénaires de Ras el-Aïn permettant l’irrigation. Mais les pratiques agricoles, qui aujourd’hui polluent l’eau et le sol par l’excès de pesticides, devraient être changées. Reste à savoir quand… Financement lié à Ammick Il est en effet facile de constater qu’une gestion durable de la réserve tarde à s’implanter. M. Ghandour ne cache pas son mécontentement. L’une des raisons de ce retard, dit-il, est financière. «Notre projet initial ne comprenait pas seulement Tyr et Ras el-Aïn, explique-t-il. Deux autres sites étaient inclus sur notre liste : les marécages de Ammick (Békaa), et la montagne de Ras-Chekka (Liban-Nord). Nous avons présenté une demande de financement à la Caisse française de l’environnement (GEF), dans le cadre d’un projet qu’elle entreprend avec RAMSAR (Accord pour la préservation des marécages dans le monde) au Moyen-Orient». Mais tout ne s’est pas passé comme prévu pour les deux autres sites. À Ras-Chekka, l’ordre religieux propriétaire du wakf ne s’est pas montré coopératif, considérant que par ses soins, le site était préservé. Quant à Ammick, dont la protection s’impose puisqu’il s’agit d’une étape obligée pour les oiseaux migrateurs (à la valeur internationalement reconnue), le financement n’y a pas été possible vu que le terrain est une propriété privée (contrairement à Tyr où les terres classées appartenaient à l’origine à l’État). Le cadre juridique indispensable au développement du projet à Ammick n’a toujours pas été trouvé. Et comme le financement de ce projet est lié à celui de Tyr... «Nous tentons de persuader le ministère, le Pnud et les Français de dissocier les deux financements afin que nous puissions démarrer», souligne M. Ghandour. En effet, avec la dévaluation de l’euro, le budget réservé à Tyr n’est plus que de 150 000 dollars. «Nous devons faire démarrer ce projet ou le laisser tomber, estime-t-il. Cette affaire finit par saper notre crédibilité. On nous demande régulièrement ce que nous faisons de cette réserve pour laquelle nous nous sommes tellement battus. Que pouvons-nous répondre ?» Des kiosques et des parkings sur la plage Et les écologistes continuent d’assister, impuissants, à la dégradation du milieu naturel causée par une surexploitation de la plage lors de la longue saison d’été : fréquentation incontrôlée, chalets et kiosques construits à même la plage, déplacement du sable pour créer des parkings. Et les difficultés financières ne sont pas les seules à entraver la bonne marche de la réserve, l’incompréhension de la notion même de zone protégée continue de régner. C’est d’ailleurs cette crainte qui avait motivé l’hostilité des habitants de la ville. Il est souvent dit, d’ailleurs, que sans l’appui du président de la Chambre, dont la femme, Mme Randa Berry, préside Amwaj al-Bi’a, la loi aurait difficilement vu le jour. Interrogé sur les agressions qui se perpétuent, M. Mahmoud Halawi, vice-président du conseil municipal de Tyr – cet organisme bénéficie de l’exploitation de la plage publique de la réserve –, répond : «Il faut avouer que, quand la proposition nous a tout d’abord été soumise par les associations locales, nous étions hésitants. Nous avions peur que la seule plage encore accessible aux habitants ne leur soit désormais fermée ou ne soit confiée à d’autres responsables que la municipalité qui, elle, a à cœur l’intérêt de la ville. Peu à peu, nous avons compris ce que représente la protection du site face à une invasion du béton que nous ne saurions arrêter». «Nous avons également appris que la municipalité jouait un rôle essentiel dans cette affaire, poursuit M. Halawi, ce qui a rassuré en même temps la population. Mais nous avons proposé des amendements à ce qui était encore un projet de loi, dont certains ont été retenus, notamment le droit de la municipalité de profiter de l’exploitation de la plage publique. Nous nous sommes engagés à permettre aux baigneurs de profiter de la plage, sans causer d’impact majeur sur l’environnement». À la question de savoir pourquoi, dans ce cas, ne pas s’opposer aux constructions d’une centaine de kiosques et pourquoi déplacer le sable pour créer des parkings, M. Halawi ne peut qu’invoquer «l’intérêt des gens». «Une centaine de familles vivent de ces kiosques sur la plage durant l’été, précise-t-il. Nous ne pouvons les en empêcher, mais nous leur avons imposé d’utiliser des matières naturelles, comme le bois. Quant aux déplacements de sable, nous ne pouvons les empêcher mais nous cherchons une solution avec les responsables de la gestion de la réserve». Un parking ne peut-il être construit un peu plus haut que la côte sablonneuse ? «Nous n’allons pas demander aux estivants de faire des kilomètres à pied pour se rendre à la plage», souligne-t-il. Paresse, quand tu nous tiens… C’est ce genre de raisonnement qui rend furieux M. Georges Tohmé, directeur du Conseil national de la recherche scientifique (CNRS). «La municipalité de Tyr veut tirer un maximum de profit de l’exploitation de la plage, remarque-t-il. Mais ils ne comprennent pas qu’en faisant cela, ils font perdre à la réserve sa spécificité. Qu’ils lui donnent alors le nom de parc». M. Tohmé effectue des visites fréquentes au site pour y étudier la faune et la flore. Pour lui, la solution est évidente. «Il faut appliquer la loi qui interdit de tels abus dans un site classé, dit-il. On peut laisser les gens nager à certains moments de l’année, mais ne peuvent-ils le faire sans tous ces chalets et cette musique ? Ne peut-on interdire les animaux domestiques qui envahissent les lieux ?». M. Tohmé constate, indigné, que des espèces disparaissent régulièrement. Or le véritable intérêt économique de l’affaire provient, selon lui, de la préservation du site, ce qui encouragera le tourisme vert. «Nous tentons de persuader le conseil municipal et la population de patienter, en leur citant des exemples d’autres pays qui ont tiré profit de tels sites», souligne-t-il. Mais la bataille reste longue malgré, il faut l’avouer, l’énorme chemin parcouru. Surtout que des éclaircies se profilent à l’horizon…
Serpentines, les courbes capricieuses, les plages de Tyr s’étirent pour rejoindre au loin l’horizon. L’observateur se rince l’œil à la vue de cette belle côte interminable, l’un des derniers vestiges d’un littoral défiguré par l’invasion du béton. Si ces vastes étendues de plages ont échappé jusqu’à présent à la boulimie des investisseurs, ce n’est pas...