Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

L’aventure de la liberté

Au-delà de la réaction d’horreur que nous aurons en apprenant sur quelles souffrances humaines a pu reposer la stabilité d’un régime, et du besoin de savoir si le coût moral de ces souffrances et de cette stabilité se justifie, au regard du bien qui a pu en provenir, c’est en regardant vers la philosophie de gouvernement du nouveau régime syrien que l’on pourra le mieux apprécier la mesure du changement que nous pouvons en espérer, pour le Liban comme pour la Syrie. Au risque de nous répéter, disons que l’ouverture de la Syrie au changement n’est pas une décision économique, mais une culture de l’ouverture, dont le pilier est la liberté et les assises, la démocratie. C’est dans rien moins que l’aventure de la liberté que Bachar el-Assad engage la Syrie, et il sera non seulement intéressant, mais fascinant, de suivre les étapes de cette course. Ce sera aussi une leçon pour ce Liban démocratique que nous défendons si mal, nous démocratie émergente, tentée aujourd’hui par les méthodes d’un autre temps, d’un passé qui a prouvé sa stérilité. La philosophie de gouvernement que semble avoir choisi Bachar el-Assad s’appelle tout simplement volonté populaire, démocratie. Va-t-on réussir à changer les assises du gouvernement en Syrie ? L’aventure sera-t-elle vécue jusqu’au bout ? Les moyens d’un régime pourront-ils être utilisés pour effectuer la transition vers un autre ? La logique de la succession dynastique acceptera-t-elle d’être remplacée, même progressivement, par celle de la succession démocratique ? Ce sont les grandes questions qu’il faut poser, au-delà de l’analyse des rapports de force et des luttes d’influence qui, à n’en pas douter, marqueront cette transition. Il faut prévoir que cette succession ne se fera pas sans tension ni conflit, et qu’elle devra être assimilée par la classe à laquelle il est demandé de faire le sacrifice de son pouvoir purement politique. L’ouverture est une culture. Celle de la démocratie, de la liberté. Pour mieux en saisir la portée, pour apprécier ce qui pourrait se passer ou ne pas se passer, cherchons-en donc dans l’histoire récente des exemples. On n’en trouverait pas de meilleur, il semble, que celui du général de Gaulle qui, tout grand homme d’État qu’il était, sut partir quand le suffrage populaire le lui demanda, sans dire, ni même peut-être se dire : la France a besoin de moi. Voilà, en quelques mots, la démocratie. Non pas de Gaulle qui dit à la France ce dont elle a besoin, même s’il le croit, mais la France, la volonté populaire des Français, qui le dit à de Gaulle. Il s’agit là d’un exemple frappant de la nature du changement qui pourrait s’opérer en Syrie. La substitution de la volonté d’un peuple à la volonté d’un homme. Cette volonté est l’un des éléments de la philosophie de gouvernement dont il s’agit. D’autres piliers de la démocratie se nomment séparation des pouvoirs, éducation privée, presse libre, société civile, etc. Séparation des pouvoirs : nous en avons une vivante démonstration dans les élections américaines, qu’on aurait tort de mépriser ou de considérer, comme certains l’ont fait, comme un châtiment immanent s’abattant sur le système américain. Séparation des pouvoirs, et donc justice indépendante, respect des personnes et des biens. Éducation privée : l’avenir de l’éducation et de l’enseignement supérieur en Syrie sera l’un des points de repères essentiels pour mesurer l’étendue du changement engagé. Va-t-on rendre à l’école privée ses bâtiments nationalisés ? Et au-delà de l’école privée, va-t-on prendre les dispositions légales pour permettre l’émergence d’une société civile libre, indispensable collaborateur de l’État dans l’édification d’une société démocratique ? Presse libre : une timide ouverture dans cette direction vient d’être effectuée, sous la forme d’une autorisation accordée aux partis de la coalition nationale d’avoir leurs propres publications, encore que le problème du financement de ces périodiques se pose, dans un pays où le marché publicitaire n’existe pratiquement pas À ces quelques exemples, il y en aurait bien d’autres, mesurons la richesse des institutions dont nous disposons au Liban et prenons garde à la dérive totalitaire qui, sous prétexte de bien public ou de sécurité nationale, pourrait mettre en danger ou remettre en cause ces institutions privées et publiques. De cet observatoire privilégié que nous occupons, faisons tout pour défendre notre démocratie, en utilisant toutefois les moyens de la démocratie. Car s’il est une philosophie de gouvernement qui ne se divise pas, c’est bien celle-ci. Les moyens et les fins doivent en être de la même nature. Nos partis et courants doivent eux-mêmes en faire l’apprentissage, nos communautés et notre résistance également. Le sens de l’Histoire est dans cette direction. Évoluons, ne régressons pas. Ne régressons pas vers le totalitarisme, vers le modèle de société des années cinquante. Tsarisme, communisme, fascisme, aujourd’hui islamisme (du moins un certain islamisme, là où les mécanismes de contrôle du pouvoir, élections libres, séparation des pouvoirs, justice indépendante, société civile, syndicats, etc. sont absents), autant d’idéologies, autant de philosophie de gouvernement qui, pour l’essentiel, reposent non sur la volonté populaire, mais sur celle d’une élite ou d’une classe sensée dire à cette volonté populaire ce qui est bien pour elle. Prenons garde au mythe de la dictature éclairée. Il n’y a pas de dictature éclairée. La grande erreur du «chéhabisme», c’est d’avoir permis que des moyens policiers soient mis au service de la démocratie et du développement. Nous n’avons que trop vu comment les moyens dénaturent les fins et deviennent les moyens de perpétuer un rapport de force. Trop vu comment les hommes ne souffrent pas d’être privés de l’usage de la liberté, même quand c’est «pour leur bien» ou pour les sortir de la pauvreté. On n’en sacrifie pas un bien spirituel pour un bien matériel, ni plusieurs générations pour un avenir incertain. C’est une des leçons à tirer de tout ce qui s’est passé au XXe siècle. Fady NOUN
Au-delà de la réaction d’horreur que nous aurons en apprenant sur quelles souffrances humaines a pu reposer la stabilité d’un régime, et du besoin de savoir si le coût moral de ces souffrances et de cette stabilité se justifie, au regard du bien qui a pu en provenir, c’est en regardant vers la philosophie de gouvernement du nouveau régime syrien que l’on pourra le mieux...