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Actualités - REPORTAGES

Le sarcophage d’Alexandre le Grand

 Au cours du printemps 1887, une découverte exceptionnelle était faite près de Helalié, au nord-est de Sidon. En ce 2 mars, des ouvriers prélevaient des pierres d’un terrain appelé Ayaa – une carrière appartenant à un certain Mehmet Chérif – quand soudain l’un d’eux s’arrêta tout net : il venait de trouver un puits enfoui à quelque vingt pieds sous terre. Une fois dégagé, à trente murs. En retirant quelques blocs de pierre, l’accès menant à une série de chambres funéraires fut enfin libéré. Le révérend William King Eddy, missionnaire américain né à Sidon et l’un des fondateurs du Gerard Institute for Boys, était passionné d’archéologie et possédait une grande collection de verres romains, de lampes à huile en poterie et de monnaies anciennes. Il était donc tout à fait naturel qu’il fût le premier informé de cette extraordinaire découverte. Le souffle coupé par l’émotion, l’ouvrier se rendit chez lui à la tombée du jour et tous deux se précipitèrent, à travers les rues sombres et les orangeraies de Sidon, vers le terrain à ciel ouvert situé à l’extérieur de la ville. Les deux hommes descendirent le long d’une corde dans la tombe imprégnée d’une odeur de moisi. Sa bougie vacillante à la main, Eddy comprit tout de suite qu’il ne s’agissait pas d’un tombeau ordinaire mais bien d’une découverte capitale. Il raconte sa stupéfaction dans la première description publiée de la nécropole royale de Ayaa où il détaille, entre autres, l’impressionnant «sarcophage du Lycien» qui s’y trouvait. Surmonté d’un bloc de marbre en voûte fermée – et, aux quatre coins, de têtes de lions en saillie –, ce sarcophage qui se trouve aujourd’hui au Musée archéologique d’Istanbul présente, sur l’une des petites faces du couvercle, deux figures au corps de bête et à la tête d’aigle, les ailes déployées. Sur la face opposée apparaissent deux autres figures, au corps d’oiseau et à visage humain celles-ci. La tombe était si exiguë qu’Eddy pouvait à peine se glisser entre le sarcophage et le mur. Le passage était étroit et mal aéré. Les deux bougies posées par terre ne tardèrent pas à s’éteindre et les deux hommes se hâtèrent de remonter. Au bout de quelques heures, pendant lesquelles les ouvriers dégageaient l’entrée de la chambre orientale, Eddy redescendit dans la tombe et découvrit alors le «Sarcophage des Pleureuses», sorte de représentation de temple grec. Ses sculptures lui conféraient l’aspect d’une cella entourée d’un portique à statuettes – dix-huit, en alternance avec les colonnes – finement sculptées et figurant des femmes au visage empreint de tristesse : «Il n’était pas aisé d’oublier l’effet général produit par ce temple aux proportions délicates et richement orné de cette impressionnante rangée de statues». Quant au plus grand sarcophage de la nécropole, celui qui sera dit «d’Alexandre» puisque montrant Alexandre le Grand sur le champ de bataille et dans des scènes de chasse, Eddy le décrit comme une œuvre d’art exceptionnelle, tant par la variété des sculptures que par la précision du détail et des couleurs, bien préservées sur les parties peintes. Premier étranger à avoir vu les précieux sarcophages, le missionnaire américain avait été aussi le dernier : après lui, aucun autre ne sera autorisé à pénétrer les lieux désormais «(…) gardés nuit et jour par des soldats. Les portes conduisant aux tombeaux furent fermées et scellées, et les autorités locales attendaient les instructions de Constantinople». Le 18 avril 1887, Osman Hamdy Bey, directeur des Antiquités de l’empire et homme de culture française, partit pour Beyrouth sur ordre du sultan Abdul Hamid II. À son arrivée, il se rendit sur-le-champ à Sidon, à cheval, avec pour mission d’expédier les sarcophages à Constantinople. Une échelle fut installée le long du tombeau pour faciliter l’accès aux chambres funéraires. Jusqu’alors, c’était par une simple corde qu’on descendait jusqu’à trente mètres de profondeur. Cette nouvelle mesure permit de faciliter la descente à l’assistant de Hamdy, Démosthène Baltazzi, qui put admirer les merveilleux tombeaux de l’Hypogée A, ainsi que l’on désigna cette partie de la nécropole royale. Dans ce qu’on appela la Chambre V, Hamdy décela une petite brèche à travers le toit qui permettait sans doute aux voleurs de passer d’une chambre à l’autre dans l’Antiquité, où les tombes avaient été profanées. Se hissant à grand peine, Hamdy se faufila à l’intérieur de ce qui semblait être une fosse funéraire scellée avec cinq grosses dalles. Après les avoir retirées, il se retrouva dans une vaste chambre taillée dans la pierre à un niveau légèrement supérieur. L’Hypogée B venait d’être découverte. Elle avait deux chambres principales : l’une au sud, contenant cinq fosses dont celle où Hamdy était entré et, à l’opposé, une autre chambre dont l’entrée était condamnée. Pour une raison ou pour une autre, les voleurs n’avaient pas pénétré dans ce tombeau. De grandes dalles posées au milieu de la pièce incitèrent Hamdy Bey à poursuivre les fouilles. Elles recouvraient deux autres séries de dalles et une pierre monolithe très dissimulée qui fut remontée. Très ému, Hamdy s’approcha et, à la lumière vacillante, regarda à l’intérieur de la tombe profonde. Il y vit un splendide sarcophage anthropoïde en diorite dont il prit aussitôt toute la mesure de la valeur. Des gardes furent postés jour et nuit à l’entrée de la tombe pour éloigner les badauds. À l’inscription en hiéroglyphes en avait été ajoutée une autre, en caractères phéniciens. Gravée sur le couvercle, cette dernière révélait que dans ce tombeau royal les Sidoniens avaient enterré Tabnit, prêtre-roi de Sidon au VIe siècle av. J-C et membre de l’illustre dynastie des Echmounazar : «Moi, Tabnit, prêtre d’Astarté, roi de Sidon, repose dans ce sarcophage (…). On ne m’a donné ni argent, ni or, ni bijoux. Il n’y a que moi qui repose dans ce sarcophage. Surtout, surtout ne l’ouvrez pas». Nina JIDEJIAN : L’archéologie au Liban
 Au cours du printemps 1887, une découverte exceptionnelle était faite près de Helalié, au nord-est de Sidon. En ce 2 mars, des ouvriers prélevaient des pierres d’un terrain appelé Ayaa – une carrière appartenant à un certain Mehmet Chérif – quand soudain l’un d’eux s’arrêta tout net : il venait de trouver un puits enfoui à quelque vingt pieds sous terre. Une fois...