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Actualités - REPORTAGES

SOCIÉTÉ - Le monde d’aujourd’hui est marqué par la multitude des passions collectives Le Liban reste à l’abri du hooliganisme

Les racines et les causes de cette violence sont anciennes et complexes. Elles transforment un stade de football en un véritable champ de bataille. Au Liban, à la veille de la Coupe d’Asie, le phénomène du hooliganisme n’a pas encore –heureusement – atteint le pays. Ici, encourager ou soutenir une équipe est plutôt synonyme d’engouement, de démonstration de joie et aussi de défoulement et non de violence organisée dans le but de détruire l’adversaire. Des débordements sont de temps en temps à déplorer. Dans le cadre du basket, c’est plutôt une ambiance bon enfant même si, comme l’explique Bacho, meneur des supporters de La Sagesse, la violence apparaît parfois lors de rencontres entre deux clubs rivaux. Le monde d’aujourd’hui est marqué par la multitude des passions collectives qui poussent les uns et les autres vers des concerts de jazz, des matchs de basket, ou vers des stades de football. Cette mobilisation passionnelle qui arrache chacune tout un chacun à la routine quotidienne peut être qualifiée de phénomène de société véhiculé par différentes notions dont la mode. N’y a-t-il pas pourtant un risque de dérapage important à laisser le champ libre à de tels phénomènes de masse ? Le risque majeur D’un point de vue sociologique, le risque majeur résiderait dans le fait de basculer dans l’excessivité émotionnelle ne laissant quasiment plus de place à la raison. Les études sur le terrain montrent que c’est effectivement le cas de certains supporters amateurs de football ou de basket-ball qui sont poussés par le souci de faire partager leur enthousiasme, leurs joies et leurs peines et animés par une complicité qui est l’unique porte d’entrée à leur intimité de groupe. Les idées politiques et xénophobes de certains groupes ultras en sont la preuve. À Rome, par exemple, les supporters de la Lazio, les «Irriducibili curva nord», admirateurs du combattant serbe ultranationaliste Arkan, tous nazis ou fascistes, refusent l’adhésion de personnes de couleur, tout comme certains supporters du Paris-Saint-Germain, les «Boulogne Boys», qui défendent l’idée infondée de la supériorité de la race blanche sur les autres races. Au Liban, Bacho précise que les clubs de basket et de football «ont tendance à se politiser, ce qui est vraiment dommage pour la beauté du sport. Chacun a et défend des idées politiques, mais chez lui, à la maison ou dans un parti mais pas lors d’une rencontre sportive. Qu’allons-nous dire à nos enfants ?» Et Bacho d’ajouter : «Au départ, le club de La Sagesse regroupait simplement des chrétiens maronites, surtout d’Achrafieh, mais de nos jours, on cherche à s’élargir, à accepter tout le monde, et ce, pour l’esprit du sport ; tout Libanais a le droit, quelle que soit sa confession, de soutenir l’équipe de La Sagesse». Voilà un bon exemple d’esprit sportif qui pourrait servir de modèle à certains groupuscules fanatiques européens. Le sentiment d’exister Pourquoi appartenir à un groupe ? Faire partie d’un groupe a, tout d’abord, un rapport étroit avec le sentiment d’exister, d’être reconnu par les «siens» comme membre à part entière du groupe. De plus, cela permet de fuir l’angoisse, l’ennui du quotidien, bref d’echapper à la routine en partageant des sensations et des buts communs. C’est aussi une forme d’évasion et de défoulement. Ces individus, comme l’explique Philippe Saint-Marc, écrivain et sociologue français, «projettent leur personnalité dans la bataille sportive non seulement contre les joueurs de l’équipe adverse mais contre ses supporters qui deviennent l’ennemi, et même, dans un déferlement de violence aveugle, contre tout ce qui les entoure, hommes et choses (d’où les sièges cassés…) qui leur servent pour passer leur fureur, mélange d’exaltation, de désœuvrement, d’enivrement collectif pour fuir l’ennui d’aujourd’hui et l’angoisse du lendemain». Bacho confirme cette idée de défoulement. «Les aléas de la vie, les problèmes quotidiens font que les gens ont besoin de s’évader, de s’extérioriser et de se défouler. Ainsi, les matchs de football ou de basket permettent à ces individus de régler leurs comptes parfois et de penser l’espace d’une heure ou deux à autre chose qu’à leur vie personnelle. Ici, au Liban, ça reste encore au niveau de la parole, des insultes entre supporters, on se défoule en chantant. Il arrive quelquefois que cela déborde, les forces de l’ordre interviennent vite, mais c’est rare. On est là pour soutenir l’équipe, certes. Mais aussi pour siffler, huer l’autre, le déstabiliser pour faire gagner notre équipe. On lui met la pression comme on dit. Cela fait partie du jeu, c’est de bonne guerre mais il ne s’agit en aucun cas d’aller le tabasser». Les groupuscules fanatiques constituent un pôle d’attraction pour des individus enclins psychologiquement à la violence. Cependant, il y a plusieurs degrés de violence et plusieurs sortes de supporters. Ultra ou hooligan ? La catégorie ultra, c’est une forme d’engagement élévé dans le soutien à une équipe, c’est-à-dire la volonté d’être plus qu’un simple spactateur. Être ultra, c’est se vouer corps et âme à son équipe. Ce type de comportement peut, comme son origine latine l’indique, pousser les spectateurs bien au-delà de la participation active à la vie d’un club. C’est une sorte d’extrémisme en matière d’encouragements. Pour les supporters qui revendiquent ce statut, l’origine de cet état d’esprit se trouve au début des années quatre-vingts en Italie et se caractérise par le goût du spectacle appelé «Tifo». Au Liban, le mouvement ultra n’a pas atteint le pays. Même s’il y a un engoument très fort et sincère pour certaines équipes de football (Ansar et Nejmeh par exemple) ou de basket (La Sagesse et le club Sportif), on ne peut parler d’ultra copié sur le modèle européen comme à Marseille par exemple où beaucoup vivent rien que pour leur équipe de football, l’OM. Il s’agit plutôt d’un phénomène qualifié d’ultra «allégé». Comme le souligne Bacho, «ici, c’est différent. Bien que nous organisions quelquefois des spectacles à l’entrée des joueurs sur le terrain (drapeaux, feuilles de papier…), nous n’avons pas les moyens et les capacités existant en Europe. Les supporters de football et de basket au Liban ne sont pas organisés comme le sont les groupes ultras européens avec leurs leaders, leurs locaux et leurs matériels. Ici, il n’existe pas une véritable section des supporters de La Sagesse qui se réunit à tous les matchs avec des cartes de membre et des adhérents mais cela se fait de façon plus spontanée et plus ouverte que dans les groupes ultras européens, où il est difficile de pénétrer». Au départ, une famille irlandaise Le terme «hooligan» provient du nom d’une famille irlandaise, les Hoolihans, qui se serait distinguée par son comportement violent et asocial lors des émeutes à la fin du règne de la reine Victoria en 1898. Le supporter hooligan est donc violent. Il soutient son équipe, certes, mais contrairement au supporter ultra, il fait passer la violence, les affrontements avant les tifos et les encouragements. Le hooliganisme est un phénomène qui trouve son origine en Europe. Au Liban, il n’a pas de véritables racines. Cest ainsi que l’on trouve très rarement des bandes organisées pour semer la terreur aux alentours des stades de football ou de basket. En premier lieu, cela s’explique par la superficie du pays, qui ne correspond après tout qu’à deux départements français. Il ne s’agit pas de confrontations entre deux grandes villes (comme Paris et Marseille par exemple) mais de rencontres limitées aux quartiers. Ces derniers étant dans la plupart des cas confinés dans des secteurs géographiques tout aussi restreints. La confrontation est inégale. Les supporters restent marginaux. El la rage de vaincre se limite à des pulsions plus affectives qu’agressives, par sympathie plutôt que par esprit de «vengeance» et de destruction. On ne vient pas dans le seul but de détruire mais bien plus pour applaudir un vainqueur et narguer le vaincu. Les liens affectifs font partie d’un phénomène de société patriarcale et parentale contrôlable. Il s’agit plus d’un mouvement spontané que d’une structure minutieusement organisée alimentée par un désir de violence préméditée. On ne vient pas pour casser ni pour abattre. «Il arrive qu’on nous accueille à Manara par des jets de pierres et vice versa, mais sans plus», confirme Bacho. Même si des tensions existent donc, elles ne reflètent pas cet esprit d’animosité propre au hooliganisme. Les enjeux économiques Un autre facteur limitant le développement de ce phénomène est lié aux moyens financiers. Les enjeux économiques ne sont pas aussi phénoménaux qu’en Europe. Encore moins les enjeux sportifs même si nous avons assisté à des victoires répétitives et impressionnantes dans le domaine du basket. Les enjeux économiques, à l’étranger, supposent des investissements gigantesques à tous les niveaux (stades, équipements, personnels, gestionnaires, publics et joueurs) et les enjeux sportifs supposent un encadrement professionnel de très haut niveau. Et souvent, ces enjeux ne se limitent pas simplement à une échelle nationale mais à une vision internationale du jeu. Il est vrai que certaines de nos équipes rejoignent le niveau international et ont fait leur preuve. Il est vrai aussi que des investisseurs apportent leur soutien technique et financier mais cela ne suffit pas (heureusement !) à faire apparaître, du moins dans l’immédiat, des groupuscules à l’image des hooligans européens. Il ne faudrait pas que le comportement d’une minorité de hooligans dans le monde entache l’image du sport et des vrais supporters, les ultras, qui témoignent d’une réelle passion et d’un amour vrai à leur équipe fétiche tant dans le milieu du football que dans celui du basket. Mais on est en droit de se demander, surtout après les incidents qui ont suivi le championnat d’Europe de cet été et à la veille de la Coupe d’Asie qui se déroulera ici, au Liban, si la violence n’est finalement pas une fatalité dans le milieu du sport et du football en particulier.
Les racines et les causes de cette violence sont anciennes et complexes. Elles transforment un stade de football en un véritable champ de bataille. Au Liban, à la veille de la Coupe d’Asie, le phénomène du hooliganisme n’a pas encore –heureusement – atteint le pays. Ici, encourager ou soutenir une équipe est plutôt synonyme d’engouement, de démonstration de joie et...