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Actualités - OPINION

Palais de justice - Un crime peut en cacher un autre Les camps toujours au centre du dossier sécurité

Nous sommes tous des assassins, relevait le cinéaste André Cayatte. Un bien vilain défaut que nous devons sans doute à Caïn. De génération en génération et de fil en aiguille, le crime, cette maladie héréditaire, reste aussi contagieux qu’incurable. Comme le sida aujourd’hui, comme la tuberculose hier et on ne sait pas encore de quoi souffre Khalil Sinno. On sait en tout cas que ce chétif, ce gringalet, est un redoutable repris de justice, recherché par l’Interpol et du reste fraîchement sorti de prison. Comme les apparences sont trompeuses, que la garde qui veille sur le Palais de justice n’est pas formée d’extralucides, elle s’y est évidemment trompée. Et l’a laissé s’infiltrer dans le bâtiment sans le fouiller. Pour qu’il aille tirer, de sang-froid, sur un malheureux jeune magistrat, Fady Nachar, qu’il a grièvement blessé. Le choc pour l’opinion a été rude. Force lui est en effet de constater que la sécurité est mal tenue, la police mal faite, qu’il y a lieu de s’inquiéter de tout et de rien, pour sa vie, pour ses biens. Il est clair que la loi est aussi mal appliquée qu’inégalement. Le réflexe majoritaire commun, discutable mais certain, est que l’on n’est pas assez sévère avec les criminels. On reparle donc de la nécessité de dresser des potences. En regrettant, en général, que Sélim Hoss ait refusé naguère de contresigner des ordres d’exécution de la peine capitale. Ouvrant ainsi la voie, selon ces vues populistes, à une période de dangereux laxisme. Le débat théorique, on le sait, vieux de trois siècles, ne sera jamais fini tant qu’il y aura des hommes. Localement d’ailleurs il ne reprend de la vigueur qu’en de sinistres occasions comme le massacre de l’Unesco ou cet attentat récent de Aadlyé. L’élément le plus saillant cependant, dans le cas libanais, est qu’il n’y a pas assez de prévention, de protection anticipée. Ni de suite, ou de poursuite, policière cohérente : trois ans après, les assassins des quatre juges de Saïda courent toujours. Et n’ont même pas été identifiés. Tout cela simplement parce qu’il n’y pas de coordination efficace entre les divers organismes concernés. Ni, plus globalement, de plan directeur social.Vu sous cet angle, le mal n’est ni un IHV ni un bacille de Koch, mais bel et bien un cancer. Dont les tentacules se nourrissent de métastases politiques, politiciennes, régionales et confessionnelles. Le nucleus, dans ce contexte, reste à la fois proche et inaccessible : ce sont les camps. Tout le monde est en effet d’accord, avec ou sans potence, sur la nécessité d’un exemple frappant pour sécuriser un peu les Libanais. En d’autres termes, tout le monde convient que la première chose à faire est de mettre la main sur les assassins des juges de Saïda. Assassins qui se seraient réfugies à Aïn el-Héloué, dans le giga-isoloir, l’eldorado, l’asile inviolable dont rêve toute la racaille du monde. Les tueurs en sortent parfois pour abattre des militaires ainsi que des civils libanais, près du camp, à Beyrouth comme pour cheikh Halabi, ou beaucoup plus loin, du côté de Denniyé. Jusqu’à présent, investir les camps reste interdit par ce que l’on appelle pudiquement les circonstances régionales. Il n’est pas question, en effet, de risquer l’affrontement armé avec les Palestiniens, alors qu’ils sont en pleine guerre avec Israël. Le monde arabe et islamique accuserait sans coup férir le Liban d’être complice de Sharon. On ne peut donc que limiter les dégâts, avec des sulfamides ou des opiacés, mais sans toucher au chancre. Cependant, le mal prend une telle ampleur que l’on commence à entendre des loyalistes, des responsables même, joindre leurs voix au concert des libanistes pour qui l’extraterritorialité des camps est une insupportable aberration. Une atteinte fondamentale non seulement à la souveraineté nationale, mais surtout à la sécurité bien comprise du pays. Ces cadres font valoir que le 11 septembre facilite pour ainsi dire les choses. Car les groupuscules de Denniyé, apparemment liés à la Qaëda, ont tout aussi apparemment réussi à trouver refuge à Aïn el-Héloué. Ainsi d’ailleurs que nombre d’Afghans, c’est-à-dire d’ex-combattants de Ben Laden, de toutes nationalités, qui aurait fui le pays de Karzaï pour gagner le havre de Aïn el-Héloué. Accessoirement, ce seraient de tels éléments qui en prison auraient joué avec l’esprit de Khalil Sinno, comme on dit localement, pour l’inciter à se « venger ». Une vengeance mal ciblée puisque sa maladie, dont il a voulu faire payer le prix aux magistrats, Sinno l’aurait contractée en prison. Ou ailleurs, en tout cas sûrement pas avec des magistrats. Selon des sources sécuritaires, le geste de Sinno aurait du reste été téléguidé, dans le cadre d’une machination déterminée. Sinno, ajoutent ces sources, est lié à des repris de justice palestiniens et libanais. Il aurait été utilisé pour frapper la magistrature, afin qu’elle se montre plus coulante dans ses jugements, notamment pour la grosse affaire de Denniyé. Ainsi que pour montrer les failles du rempart sécuritaire et répandre une psychose. Quoi qu’il en soit, pour en revenir au plan global traité par les responsables cités, on pourrait faire peu de nettoyage au nom de la lutte contre le terrorisme, devenue la priorité mondiale numéro un. Et si quelqu’un devait s’en offusquer, on aurait de solides arguments pour lui répondre, ajoutent ces sources. Qui rappellent volontiers qu’aucun autre pays arabe ne laisse carte blanche aux réfugiés palestiniens qu’il héberge. Et ne leur permet d’ériger leurs camps en îlots d’insécurité. Pour ces sources, il faudrait procéder par paliers. D’abord on sommerait les camps de livrer les repris de justice ou les condamnés par défaut (en réalité, on l’a déjà fait après l’histoire des militaires tués, mais sans résultat). Ensuite, en cas de dérobade, on irait les cueillir manu militari. Et l’on mettrait les camps sous la coupe des forces régulières libanaises. Des forces nationales. Qui cesseraient alors de ne s’occuper que des distributeurs de tracts à l’Est. Toujours est-il que le ministre de l’Intérieur, Élias Murr, a enjoint aux forces de l’ordre de se montrer extrêmement vigilantes et strictes dans l’application de la loi. Pour déjouer les visées des fauteurs de troubles qui seraient tentés de jouer les trouble-fête en cette période. Le ministre a supervisé l’élaboration d’un plan de sécurité prévoyant la multiplication des patrouilles, des contrôles et le durcissement avec les contrevenants. Pour une meilleur sécurité, une stabilité plus confirmée. Philippe ABI-AKL
Nous sommes tous des assassins, relevait le cinéaste André Cayatte. Un bien vilain défaut que nous devons sans doute à Caïn. De génération en génération et de fil en aiguille, le crime, cette maladie héréditaire, reste aussi contagieux qu’incurable. Comme le sida aujourd’hui, comme la tuberculose hier et on ne sait pas encore de quoi souffre Khalil Sinno. On sait en tout...