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Actualités - ANALYSE

Lecture - « Mémoire pour l’avenir », actes du colloque de mars 2001 La société libanaise est-elle amnésique ?

Que le Liban ait un problème de mémoire ne fait plus de doute. D’immenses efforts sont déployés pour la retrouver. Reportages historiques, chroniques, essais, romans tentent de saisir cette mémoire fuyante, aussi bien celle de la guerre que celle du Liban naissant, comme par une espèce de retour aux sources qui nous donnera la clé de ce que nous sommes. C’est normal. Notre avenir comme société libre et comme État souverain dépend de cette quête. Sans histoire, nous n’avons pas d’avenir. Si les Libanais ne sont pas d’accord sur l’identité du Liban, sur les événements qui le fondent, quel avenir commun pourraient-ils avoir ? Il faut donc saluer comme elle le mérite la récente publication des actes d’un colloque international qui s’est tenu en mars dernier,à la Maison des Nations unies (Escwa) sous le titre « Mémoire pour l’avenir » (*). L’ouvrage porte sur la mémoire de la guerre. Voilà en quels termes Amal Makarem, qui a coordonné le colloque et la publication, en présente, dans son introduction, les objectifs : « C’est dans l’espoir de pouvoir réaliser un jour une réconciliation nationale véritable, fondée sur la justice, que le colloque “Mémoire pour l’avenir” a été organisé. Le travail de mémoire serait sans avenir, et vidé de son sens, sans cette finalité. Depuis la fin des combats, l’urgence d’une telle réconciliation nous interpelle avec insistance. L’échec des tentatives de dialogue national nous confirme qu’après une guerre fratricide, l’entente ne saurait être réalisée à huis clos entre les complices du passé, ni avec des dirigeants qui puisent la légitimité de leur pouvoir dans la dynamique de l’oubli, comme dans l’appui que leur apporte la Syrie dont la présence au Liban catalyse les divisions entre Libanais. Toutes les crises qui nous secouent depuis douze ans nous signalent plutôt que la réconciliation des Libanais passe par un débat national autour du passé. » Piéges et impasses Contribution significative à ce débat dont on ignore malheureusement qui l’engagera vraiment au niveau national, l’ouvrage est précieux en ce qu’il déblaie le terrain pour ce travail de mémoire, en mettant en garde aussi bien contre ses pièges et ses impasses (« trop de mémoire tue l’histoire »), que contre les obstacles qui lui seraient opposés (les dangers du refoulement et de la sélectivité). Makarem cerne parfaitement, dans son introduction, la problématique de ces crises qui nous secouent. Elles « attestent, dit-elle, que le passé reste présent, activé par une situation schizophrénique : on impose aux Libanais d’oublier la guerre en même temps qu’on leur impose les symboles de la guerre. Ces derniers, qu’ils soient placés au pouvoir par le protectorat syrien, ou bien tolérés dans l’opposition conformément à la règle du jeu établie par ce même protectorat, où qu’ils soient en prison ou en exil en tant qu’opposants radicaux à ce protectorat, demeurent tous dans notre paysage, obstruant l’avenir par leur redoutable pouvoir d’action ». Et perpétuant le passé, donc le pathos de la guerre. Dénonçant l’absence d’une « politique de la juste mémoire », ainsi qu’une loi qui a amnistié les crimes commis contre l’ensemble de la population, mais en a exclu en revanche ceux perpétrés contre les chefs politiques et religieux, Makarem établit, dans son introduction, les constats du colloque, comme suit : Ampleur de l’oubli, résistances à la remémoration, encouragées par la classe politique, ampleur des blessures, gravité des violences refoulées et enfermement individuel ou communautaire, acuité des divisions autour du passé, indifférence et irresponsabilité face à la guerre, besoins des victimes d’être écoutées et reconnues, danger de l’impunité qui banalise le crime. Se basant sur ces constats, Makarem propose la création d’un véritable « Centre de la mémoire », un centre d’information et de documentation et un cadre de travail qui réunirait les principales composantes de la société civile, et dont la tâche serait une réconciliation des mémoires fondées sur la justice, préambule à une réconciliation nationale, la reconnaissance publique des faits, le besoin de transmettre la mémoire du passé, la nécessité d’écrire l’histoire de la guerre à partir de ses versions contradictoires, la poursuite du débat sur la manière d’aborder le passé. Le texte introductif d’Amal Makarem offre une grille de lecture pour aborder les différentes interventions au colloque. Les références effectuées par des intervenants étrangers, dont le plus célèbre est sans doute Pierre Vidal-Naquet, aux drames de la guerre d’Algérie, du génocide au Rwanda, de l’apartheid en Afrique du Sud, de la guerre civile en Argentine ou des guerres en ex-Yougoslavie, constituent de précieuses références qui laissent penser que la réconciliation au Liban n’est pas impossible, si la volonté politique existe. Soulignons, au passage, combien les intervenants étrangers ont été surpris par la profondeur des déchirements sociaux au Liban. Des interventions de l’historien Kamal Salibi, du politologue Samir Frangié, du juriste Nizar Saghiyé ou du journaliste Samir Kassir étoffent la partie libanaise du colloque , qui a été financé par l’ambassade de Suisse. Notons pour finir que l’ouvrage a, sur le plan formel, le grand avantage d’offrir des résumés de toutes les conférences, qu’elles soient faites en français ou en arabe, dans deux autres langues, soit le français et l’anglais, soit l’arabe et l’anglais. Les débats y sont retranscrits, pour l’essentiel, en français. Fady NOUN (*) Mémoire pour l’avenir, actes du colloque qui s’est tenu à Beyrouth les 30 et 31 mars 2001. Éditions an-Nahar.
Que le Liban ait un problème de mémoire ne fait plus de doute. D’immenses efforts sont déployés pour la retrouver. Reportages historiques, chroniques, essais, romans tentent de saisir cette mémoire fuyante, aussi bien celle de la guerre que celle du Liban naissant, comme par une espèce de retour aux sources qui nous donnera la clé de ce que nous sommes. C’est normal. Notre...