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Actualités - CHRONOLOGIE

Société - Des milliers de salariés ont défilé hier dans les rues de la capitale Sous la houlette de la CGTL, place aux revendications sociales, avec une forte participation politique(photos)

«Voilà, nous avons fait chuter le gouvernement. » L’enseignante lance cette phrase comme une boutade, mais son sourire cache mal une immense tristesse. Les temps sont durs pour les salariés au Liban, enseignants ou fonctionnaires, et ils ont de plus en plus de mal à faire entendre leur voix. Hier, ils étaient plusieurs milliers dans les rues menant vers le Sérail et le Parlement, marchant sous la pluie fine, portant leur terrible fardeau en guise de banderoles. Ni drapeaux partisans ni slogans confessionnels, rien que l’expression d’un quotidien sans espoir et un désir éperdu de pouvoir terminer décemment leur vie. La politique, ils la laissent aux politiciens, qui, pour une fois, Hoss et Joumblatt en tête, se sont réellement mis au diapason du peuple. Du coup, la CGTL moribonde a retrouvé un nouveau souffle et menace d’une grève ouverte à partir du 7 janvier. C’était une manifestation pas comme les autres, loin du tapage politique traditionnel. Pas d’étudiants en colère ni de militants en guerre, mais le peuple, dans son anonymat, cette masse de gens qui n’en finit plus de faire les frais d’une politique économique qui ne laisse aucune place aux avantages sociaux. Bien entendu, au point de ralliement, sous le pont de Berbir, la plupart des manifestants se sont d’abord regroupés autour de l’ancien Premier ministre Sélim Hoss, emmitouflé dans son châle et entouré de l’ancien ministre Issam Naaman, ou autour du leader du PSP, Walid Joumblatt, accompagné du député Akram Chehayeb et du ministre Marwan Hamadé. Autres pôles d’attraction, le député Nassib Lahoud, entouré des membres de son parti, Mme Nayla Moawad et plus loin, Najah Wakim, toujours pareil à lui-même, le ton gouailleur, mais la voix moins entendue. La longue colonne humaine s’ébranle À 10h30, le président de la CGTL, Ghassan Ghosn, entouré des membres du bureau exécutif de la centrale syndicale, donne l’ordre de marche et la longue colonne humaine s’ébranle, dans les rues parallèles à l’avenue Fouad Chéhab, en direction du Sérail gouvernemental et du Parlement. Au début, les manifestants, pour la plupart des enseignants ou des fonctionnaires en costume cravate et des travailleuses regroupées entre elles comme des collégiennes en vadrouille, essaient d’ignorer la pluie fine qui tombe sans relâche, mais au fur et à mesure qu’ils avancent, elle devient de plus en plus insistante et ils sont contraints de se procurer des parapluies. Avec un parfait sens d’à-propos, des vendeurs se précipitent pour proposer leurs services et certains font des affaires, pendant que d’autres réclament leurs droits. Les enseignants des secteurs public et privé qui sont à l’origine de la manifestation, par la suite parrainée par la CGTL, avaient demandé qu’il n’y ait pas de slogans politiques ou de signes partisans, et tous les manifestants, une dizaine de milliers selon les organisateurs, beaucoup moins selon les proches du gouvernement, se sont tous conformés à ces directives. Les seules banderoles évoquent surtout des revendications salariales, l’abolition des nouveaux impôts prévus dans l’annexe numéro 9 du projet de budget, l’assurance de recevoir les indemnités de retraite, etc. et, bien sûr, des critiques de la politique économique du gouvernement. Pas un mot sur la chute du gouvernement, cette revendication est laissée aux jeunes, pour la plupart des gauchistes, des membres du Mouvement du peuple de Najah Wakim, des aounistes et des étudiants membres de groupes politiques divers qui qualifient ce gouvernement « d’affameur du peuple », tout en se demandant qui est responsable de la situation actuelle. Encadrement massif des forces de l’ordre Basta Tahta, Basta Fawka, Ras el-Nabeh, les manifestants poursuivent leur longue marche vers le cœur de la ville, dans une atmosphère bon enfant, sans débordements ni cris de haine, sous l’escorte impressionnante des services de l’ordre et autres membres de la Défense civile, qui sont plus là pour la forme que par crainte de véritables incidents. Pourtant, aux abords du Sérail et du Parlement, toutes les ruelles sont coupées et ceux qui espéraient se reposer dans l’un des cafés du centre-ville sont très vite déçus. Interdiction absolue de passer. Il leur faut donc rester avec le corps des manifestants jusqu’au bout. À la place Riad el-Solh, les manifestants ne savent plus quoi faire. Ils attendent le signal du départ qui ne peut venir avant que le message ne soit parvenu à qui de droit. Les manifestants savent que derrière les lourdes tentures qui les protègent des regards pleins de reproches de la population, les responsables, députés et ministres, les observent. Lorsque, grâce à un téléphone portable, l’un d’eux rapporte que le président du Conseil a jugé leur nombre négligeable, affirmant que la nature est contre puisqu’il n’a cessé de pleuvoir, ils ne veulent plus s’en aller, haussant le ton, pour que leur voix porte aussi loin que possible. Les manifestants réclament leurs droits, des garanties sociales pour tous ceux qui ont loyalement servi l’État, mais ils savent qu’il leur faut des appuis politiques pour les obtenir. C’est pourquoi, ils sont très heureux de la participation de grandes figures politiques, telles que Joumblatt, Hoss, Lahoud, sans oublier les partis, tels que Amal et le Hezbollah, le PSP bien sûr, mais aussi le PSNS, le PCL, le courant aouniste et d’autres, tous sous la houlette de la CGTL, qui, du coup, a retrouvé un nouveau souffle. Longtemps paralysée par les tensions politiques, la centrale syndicale est redevenue, hier, une force de rassemblement, regroupant sous sa bannière les Libanais, sans distinction confessionnelle ou politique. Une image que l’on n’avait plus vue depuis longtemps et qui montre qu’au-delà des divergences, c’est une même misère qui nous guette tous, si le cycle infernal des impôts et des taxes n’est pas stoppé. Joumblatt et Hoss l’ont d’ailleurs bien relevé, en répondant aux questions des journalistes. Joumblatt s’est ainsi demandé jusqu’à quand les responsables continueront à ne pas vouloir écouter la voix du peuple et songer à ses intérêts. Tout en relevant le fait que le Parlement est cerné par les banques, il a demandé à tous les blocs parlementaires « de tenir compte des revendications du peuple, car les élections sont à nos portes, et ils ont été élus par les voix de la population ». Joumblatt a aussi précisé que son bloc ne votera pas en faveur du budget. « Il faut tenir compte du mécontentement populaire. Le danger est devenu imminent et ceux qui se cachent derrière de petits intérêts se trompent. » L’ancien Premier ministre Sélim Hoss a lui aussi estimé que si le projet de budget est voté, ce sera une catastrophe pour la population qui assumera la plus grosse partie des pertes. Y a-t-il pourtant un véritable espoir de pousser le gouvernement à modifier son projet ? Les responsables de la CGTL se veulent confiants, affirmant que si l’annexe n° 9 est maintenue telle quelle, la centrale appellera à une grève ouverte à partir du 7 janvier, c’est-à-dire avant les séances prévues pour le vote du budget, afin de faire pression sur les députés. Mais plusieurs pôles politiques sont convaincus que toute cette agitation vise en fait à accélérer la chute du gouvernement, dont la composition ne satisfait plus grand monde... Scarlett HADDAD
«Voilà, nous avons fait chuter le gouvernement. » L’enseignante lance cette phrase comme une boutade, mais son sourire cache mal une immense tristesse. Les temps sont durs pour les salariés au Liban, enseignants ou fonctionnaires, et ils ont de plus en plus de mal à faire entendre leur voix. Hier, ils étaient plusieurs milliers dans les rues menant vers le Sérail et le...