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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Libéré après 15 mois de détention, le journaliste d’« al-Hayat » reste rongé par un profond sentiment d’injustice Habib Younès : La liberté est faite pour défendre la vérité(photo)

Sous une pluie fine, Habib Younès attend à l’entrée de l’immeuble dans lequel il habite à Mastita, près de Jbeil, l’arrivée de sa petite fille, que l’autocar vient déposer tous les jours après l’école. Un rituel quotidien que le journaliste d’al-Hayat réapprend à accomplir, après 15 mois et un jour de prison à Roumieh, loin de sa famille. Il avait été arrêté le 18 août, dix jours après les rafles du 7 août 2001 dans les rangs des Forces libanaises et du courant aouniste. Habib Younès ne veut en aucun cas rouvrir le dossier de son arrestation, même s’il est sorti de cette expérience meurtri, rongé par un profond sentiment d’injustice. « J’ai dit tout ce que je voulais dire au tribunal. Toutes les personnes arrêtées dans le cadre des rafles d’août 2001, moi y compris, ont été victimes d’une injustice. L’accusation que l’on m’a porté, d’avoir établi des contacts avec l’ennemi, était préventive. J’ai été condamné pour quelque chose “ qui devait arriver et qui n’est pas arrivé ”. À considérer que c’est à juste titre que l’on m’a fait porter cette accusation, d’après les experts, personne ne peut être jugé sur cette base. » À l’entendre, on pense au scénario du dernier film de Steven Spielberg, Minority Report, dans lequel la justice parvient, dans un futur lointain et grâce à une machine jugée infaillible, à arrêter les criminels avant qu’ils ne passent aux actes. « Dans le verdict de la Cour de cassation, j’ai été condamné pour avoir envoyé des rapports à l’ennemi et touché des sommes d’argent. Cette seconde accusation n’a été mentionnée à aucune étape de l’enquête. Je ne sais même pas d’où elle est venue », indique-t-il. Et d’emprunter une citation à un grand juriste libanais : « Le jugement est une vérité officielle mais qui ne correspond pas nécessairement à la vérité tout court. » « Cette accusation sur les contacts avec l’ennemi n’est fondée sur aucune preuve. J’ai tout nié devant le juge d’instruction », ajoute-t-il, confirmant qu’il a « subi des pressions psychologiques et physiques durant l’enquête ». Rechercher la vérité Sur les raisons qui ont conduit à son arrestation, lui qui n’est pas militant et qui n’écrit qu’occasionnellement – trois articles seulement en trois ans, il répond : « Je n’arrête pas de me poser la question. Elle m’a hanté durant toute ma détention. Je n’arrive pas à y trouver de réponse. Mais je ne veux pas regarder en arrière. Sauf pour mettre l’accent sur le fait que la nation ne peut être édifiée sur de telles pratiques. Cela fait douze ans que la guerre est terminée et pourtant certaines personnes continuent à dire que le Liban en sort à peine. D’autres pays ont, en moins de cinq ans, réussi à remonter la pente, comme l’Allemagne par exemple. Notre problème, c’est que nous sommes toujours le théâtre du conflit moyen-oriental. Cela ne saurait perdurer. Nous voulons que le Liban cesse d’être cette arène où tous les autres viennent s’affronter, ce gâteau que tous veulent se partager. » Est-ce parce qu’il a animé plusieurs débats politiques, parmi lesquels deux organisés par le courant aouniste, qu’il a été arrêté ? « Je ne fais pas partie du courant aouniste. Dès 1990, date à laquelle le parti des Gardiens du cèdre a cessé d’exister, j’ai arrêté toute activité partisane. J’ai continué à exprimer mes opinions à travers mon métier. » Dès qu’on lui parle des libertés en général, et de la liberté de la presse en particulier, Habib Younès s’enflamme pour vanter les valeurs inestimables de ce bien trop précieux. « Tous ces gens qui se sont retrouvés au Liban sont venus pour la liberté. Arracher cette distinction au Liban est inadmissible. Voilà mon combat. Il ne faut pas se taire. La liberté est faite pour défendre la vérité. Comme l’a dit Jésus-Christ : “ Vous connaissez la vérité, elle vous libérera”. » « Le Liban est l’un des pays les plus vieux du monde. Il est cité dans L’Épopée de Gilgamesh. Et il va demeurer. Personne ne peut l’annihiler. C’est aussi mon combat. Je veux un pays uni au niveau du peuple, de la terre, au sein duquel tout le monde a les mêmes opportunités. Que personne n’essaye de semer la discorde entre les Libanais. Les leaders sont divisés, mais le peuple, lui, est uni », poursuit-il. « Je ne suis pas un militant chrétien. Je suis contre cette division simpliste qui considère que les chrétiens sont contre la Syrie et les musulmans contre Israël. Nous nous retrouvons entre Libanais sur plusieurs sujets. Si nous n’arrivons pas à nous exprimer à cause de la répression, c’est autre chose », dit-il avant de s’exclamer : « C’est la blessure en moi qui s’exprime actuellement. » Le défi, jusqu’au bout Habib Younès pense que la fermeture de la MTV est « une suite aux rafles du 7 août 2001 », rappelant que c’est lui qui a écrit le fameux jingle de la chaîne de télévision. « J’avais foi en son message, en tant que chaîne libre. Elle permettait à tout le monde de s’exprimer. Son image était pure et représentait la plus belle image que le Liban puisse donner », affirme-t-il, dénonçant le sort réservé aux 453 familles des employés de la chaîne. Aux étudiants, notamment de l’Université Saint-Joseph, qui ont manifesté pour sa libération ainsi que celle de MM. Toufic Hindi et Antoine Bassil, le 20 mars dernier, à l’annonce du verdict de la Cour de cassation, le journaliste dit : « Cette aspiration à la liberté les brûle encore. Malgré tout ce qui arrive, ils sentent encore qu’ils sont les fils de ce pays et qu’ils ne vont pas partir. Qu’au contraire, ils vont continuer à lutter pour la cause : celle de la liberté jumelée à la vérité. Ils représentent l’espoir de ce pays. » Interrogé sur l’oppression que les étudiants subissent systématiquement et sur la privation des libertés, Habib Younès répond, avec une conviction des plus fermes : « La liberté n’est jamais en danger. Elle fait partie intégrante de l’être humain. Nul ne l’accorde et ne la retire. Telle est la liberté qui aspire à la vérité. En prison, je me sentais libre. La liberté provient de l’intérieur de l’homme, et elle est inaliénable. C’est l’homme qui choisit entre la liberté et la servitude. Preuve en est : ces jeunes qui reçoivent des coups durant les manifestations ou qui sont arrêtés, mais qui ne désarment pourtant pas. Ceux-là, personne ne peut leur ôter leur liberté. Si l’on est convaincu de son combat, il ne faut pas avoir peur. » Habib Younès appelle à une renaissance, à une résistance culturelle. Le culturel a particularisé le Liban durant toute son histoire, selon lui, et c’est grâce aux multiples apports civilisationnels que le pays des Cèdres est devenu un « message », un creuset, un modèle universel. Et de se placer d’emblée dans la lignée du nationalisme libanais. « Mais on essaie d’étouffer le Liban pour l’empêcher de mener ce rôle », souligne-t-il. Le correspondant d’al-Hayat au Liban est aussi poète, un adepte de Saïd Akl auquel il voue quasiment un culte. En prison, où il a aidé à l’établissement d’une bibliothèque grâce à sa bibliothèque personnelle et où il a initié certains prisonniers à l’écriture, Younès a composé 1 258 poèmes qu’il compte éditer bientôt dans le cadre d’un recueil. « C’était un défi quotidien. Même dans les conditions les plus hostiles, je me forçais à écrire. Quand les lumières s’éteignaient, je continuais à la lumière du briquet ou dans l’obscurité. Le jour où il y avait le plus de boucan en prison, dans une cellule comptant 160 détenus, j’ai écrit 28 poèmes, toujours par défi », confie-t-il. Dans une chanson écrite avec Henri Zgheib pour Magida el-Roumi, « Sayyidi el Ra’iss - Monsieur le président », Habib Younès affirme, citant saint Paul : « Nous jurons que nous resterons, parce qu’avec notre terre et la vérité, nous constituons la majorité. » Cette phrase le résume-t-il ? « Oui. Nous avons travaillé un an sur cette chanson pour transmettre un message au pouvoir, à travers un symbole : en tant que peuple, nous constituons la majorité face à tous. Cette chanson est née d’une blessure. Le message doit aboutir. Comme le dit John Conrad, nous ne trouverons de repos que lorsque le message aura passé. » Et de conclure : « Ce que j’ai vécu n’est qu’un détail comparé au martyre d’autres avant moi qui ont fait sacrifice de leur vie pour défendre la vérité. » Michel HAJJI GEORGIOU
Sous une pluie fine, Habib Younès attend à l’entrée de l’immeuble dans lequel il habite à Mastita, près de Jbeil, l’arrivée de sa petite fille, que l’autocar vient déposer tous les jours après l’école. Un rituel quotidien que le journaliste d’al-Hayat réapprend à accomplir, après 15 mois et un jour de prison à Roumieh, loin de sa famille. Il avait été...