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Actualités - CHRONOLOGIE

CRISE - Les dissensions au sein d’Amal utilisées comme ultime arme politique pour se raccrocher au train Berry met la «doïka» de l’Exécutif et la survie du gouvernement face à ses exigences

Pierre Hélou, en incontournable routard de la politique locale, n’a certes rien inventé, mais a remis les pendules à l’heure : « La troïka est toujours de service », a-t-il assuré à partir du perron de Bkerké. Entendre : la troïka qui soubresaute, avec ses différentes doïkas (Lahoud-Berry, Lahoud-Hariri, Berry-Hariri) et autres monoïkas (chacun des trois présidents), est aujourd’hui sous les feux de la rampe. En plein centre de l’échiquier politique local. Cette tempête – pour l’instant mini mais qui met sérieusement à mal la cohésion du gouvernement en lui épinglant au dos plusieurs points d’interrogations quant à son avenir –, cette (ubuesque) redistribution des cartes, agréée, voire clairement souhaitée par Damas, viennent sans aucun doute s’inscrire sur le compte des impacts post-Paris II. Les accompagnent. Et, parallèlement, sur celui des corollaires de la conférence élyséenne, qu’ils soient directs (la privatisation – en l’occurrence, le cellulaire), ou indirects (le budget 2003). Lorsque l’on tente de cerner, à la lumière des développements de la semaine et du paroxysme du week-end, l’origine de cette tempête-là, ses auteurs, l’on s’arrête très vite sur deux points. D’abord, évidemment, la très vieille et très connue animosité de Koraytem à l’égard du ministre des Télécommunications, Jean-Louis Cardahi. Animosité aujourd’hui incarnée et assez scandaleusement manifestée par le secrétaire général du Conseil supérieur pour la privatisation, Ghazi Youssef. sauf que ce point-là pourrait facilement être résolu. En sacrifiant, par exemple, à l’autel du lavage des deux cœurs de l’Exécutif, et en contrepartie, bien sûr, d’un service rendu ou à rendre, l’Iphigénie en place aujourd’hui aux Télécommunications. D’autant que l’on murmure que le même Jean-Louis Cardahi « continue de maintenir des rapports étroits » avec un responsable sécuritaire dont la côte à Baabda se serait sérieusement écornée au cours des derniers mois. Cela, même si le palais présidentiel et ses sources autorisées continuent d’appuyer, officiellement, le malheureux ministre qui se débat, depuis le début du dossier cellulaire, dans l’œil du cyclone. Berry en monoïka... Le second point, la seconde origine, de cette tempête au sein du pouvoir est bien plus important. Un homme est en train, une nouvelle fois, de jouer solo (sa place de n° 2 de l’État et/ou de leader fragile de la communauté chiite) et gros (son poids au sein de la troïka). Il s’agit du président de la Chambre, Nabih Berry. Assez « déphasé » aujourd’hui à en croire bon nombre d’observateurs et qui se retrouve dans la bien déplaisante position d’une monoïka face à une doïka. Sacrée doïka, puisque totalement inédite, et quasi surréelle : celle que forment les deux pôles, que l’on a toujours dit irréconciliables, de l’Exécutif. Surréelle, parce qu’après leur entente sur la privatisation du cellulaire, et les cris d’orfraie de bon nombre d’opposants, Sélim Hoss en tête (leur « marché », leur « magouille », argueront certaines sources, et non des moindres) que cet accord a entraînés, l’on est arrivé à quelque chose d’inouï : le combat main dans la main d’Émile Lahoud et de Rafic Hariri, s’employant chacun à défendre sinon l’autre, du moins leur solidarité (voir L’Orient-Le Jour du samedi 30 novembre). Cette nouvelle donne, si elle est loin d’avoir terrassé le vieux briscard qu’est Nabih Berry (elle n’est pas, officiellement, dirigée contre lui, même si l’image est suffisamment forte de par sa perception par le Libanais lambda), l’a néanmoins poussé, parce que pris de court, à déplacer, un peu bruyamment, ses pions. Ainsi, après qu’il eut tempéré, au lendemain de Paris II et de son indéniable réussite formelle, les résultats de la conférence des donateurs (« Paris II seul ne suffit pas, il faut un Liban économique un et uni ») ; après qu’il eut manifesté son mécontentement né du limogeage « illégal » du mohafez du Mont-Liban, Adnane Doumiati, et qu’il a dû mettre sur le crédit de la nouvelle doïka ; après qu’il eut stigmatisé, en coulisses, la façon dont s’est déroulé le fameux Conseil des ministres de jeudi, l’attente des ministres, pendant quatre-vingt-dix minutes – le temps du tête-à-tête Lahoud-Hariri ; après qu’il eut balancé, toujours en coulisses, ses fléches de Parthe : il refuserait les 5 % de réduction des pensions de retraites préconisées par le budget 2003, il compte également faire avorter, par voies parlementaires, le projet de loi du gouvernement portant sur un emprunt de sept milliards de dollars ; après qu’il eut déploré la performance « minable » des ministres, (eux-mêmes se demandent d’ailleurs ce qu’ils continuent de faire dans cette galère) ; après qu’il eut enterré, pour nos confrères d’as-Safir, l’actuel gouvernement – il lui a prédit « deux mois » de survie ; Nabih Berry a utilisé, avant-hier samedi, un argument choc : le désastreux mais incontournable partage du camembert gouvernemental par les principaux pôles politiques (opposition exceptée bien évidemment). Comprendre par là : puisque je n’ai plus personne qui me représente au sein du cabinet Hariri, il faut que celui-ci saute. ...pour sa part du gâteau Pour ce faire, Nabih Berry a profité de ce qui se passe depuis le printemps au sein de son propre parti, Amal. De la guerre des clans qui s’y est déclarée lors des élections internes, avant l’été. D’un côté, les partisans du n° 2 de l’État, emmenés par l’indéfectible Ayoub Hmayed, et de l’autre... les autres, emmenés, eux, par le collègue de Hmayed place de l’Étoile, Mahmoud Abou-Hamdane, et par deux actuels ministres, Mohammed Abdel-Hamid Beydoun et Ali Ojeij Abdallah. À l’époque, ces trois-là avaient été écartés « provisoirement » de tout poste de responsabilité et, depuis un mois, Nabih Berry avait même gelé leur adhésion. Et ce week-end, avec en toile de fond des problèmes flagrants de communication et d’autorité au sein du bureau politique d’Amal, la nouvelle de cette suspension a été publiée puis suivie par un vrai-faux démenti. Démenti par un communiqué au cours duquel Ayoub Hmayed a déclaré que tout cela « n’avait aucun fond de vérité – preuve en est que le bureau politique d’Amal n’est pas habilité à prendre ce genre de mesures. Tout cela restant, dans tous les cas, des affaires purement internes ». Sauf que le 15 heures de la LBC avait confirmé, toujours samedi, cette triple suspension, s’en rapportant à des sources proches du président de la Chambre. Lequel, jusqu’à hier tard en soirée, n’avait encore rien officiellement tranché. Qu’est-ce qui fait courir Nabih Berry ? Il y a, et on le répète, ce sentiment d’être brusquement exclu du jeu par la soudaine et impressionnante doïka aux cœurs lavés Lahoud-Hariri. Le poids politique du n° 2 de l’État, donc. Il y a aussi ses exigences bien plus terre à terre, que commande sa propension naturelle à vouloir toujours faire de l’Exécutif plutôt que de se contenter du seul Législatif. Quelles exigences ? Sa part du gâteau dans la mouture finale du budget 2003, et celle dans les projets (de privatisation surtout) qu’exige Paris II. Concrètement, Nabih Berry fait monter les enchères, au prix, un peu exorbitant et injustifié aux yeux des décideurs des rives du Barada, de la survie de l’actuel gouvernement. Qui est certes loin de faire l’unanimité, sans compter que ses principaux détracteurs s’appellent Kornet Chehwane, mais aussi, surtout jusqu’à il y a quelques semaines, Walid Joumblatt. À contre-courant Sauf que force est de constater qu’il ne s’est pas beaucoup mouillé Nabih Berry, en prédisant au gouvernement sa mort, dans deux mois. Soit en février prochain. C’est-à-dire la date la plus plausible d’une éventuelle attaque US. Peut-être même devrait-il écouter d’une oreille moins distraite certains milieux ministériels qui répètent à qui veulent les entendre qu’aucun changement de ce genre ne se fait sans l’aval du Dr Bachar et de son équipe, qui conditionnent tout chamboulement par un contexte régional bien précis et un but tout aussi précis. Or, selon les sources en question, rien ne justifie aujourd’hui un changement ministériel. Il suffit de se souvenir que les moutures, récentes, prévoyant un nouveau cabinet à 26 puis à 16, ont été mortes-nées. D’aucuns ramènent également sur le tapis le fait que ce n’est plus Nabih Berry qui donne le la de la politique syrienne au Liban. Que c’est le tandem Frangié-Mikati, auquel l’on peut associer un troisième ministre, Élias Murr, qui rapporte aujourd’hui le ton. C’est d’ailleurs le ministre des Travaux publics (et en même temps principal éventuel futur rival d’un Rafic Hariri en pleine jeunesse actuellement), le même Négib Mikati, qui a affirmé ce week-end, en direct de Tripoli, que « le gouvernement ne bougera pas et que la prochaine étape doit être consacrée aux privatisations ». Quant à Mohammed Abdel-Hamid Beydoun, honni par Nabih Berry depuis qu’il s’est littéralement haririsé, il persifle : « Le président Hariri dit que le gouvernement restera jusqu’à la fin du mandat (Lahoud) et avec la confiance de la Chambre. Le président Berry souhaite que le changement intervienne rapidement. Dans tous les cas, c’est le Parlement qui décide. » Nabih Berry devrait dans ce cas se réunir bien plus souvent avec Rafic Hariri et aller courtiser régulièrement Walid Joumblatt, voire même jusqu’au Hezbollah. Alors coup d’épée dans l’eau, tentative désespérée pour se raccrocher au train, ou possibilité d’imposer ses exigences ? S’il est évidemment trop tôt et trop compliqué pour se prononcer, force est de se souvenir d’un mot du plus sage et du plus avisé des rares hommes politiques dignes de respect : la confiance de la grande sœur syrienne en Émile Lahoud est « illimitée ». Force est également de se rendre compte que le maître mot damascène est aujourd’hui à la tempérance. Que le package est clair : Rafic Hariri se tait sur tout ce qui peut toucher de près ou de loin à la gestion politique purement interne, et il a carte blanche pour l’économique. Il est surprenant, et inhabituel, que (le très roublard) Nabih Berry semble ainsi montrer qu’il nage véritablement à contre-courant. Qu’il n’ait pas compris que face à un Exécutif qui s’entend comme larrons en foire, il est difficile de faire de la résistance. Qu’il n’ait pas compris, aussi, qu’Émile Lahoud aura toujours, jusqu’à nouvel ordre, le dernier mot. Ou alors Nabih Berry a un lapin dans son chapeau. Qui pourrait fort bien ressembler à deux responsables sécuritaires hautement influents, un ex et un nouveau, qui ne s’entendraient pas du tout. Ziyad MAKHOUL
Pierre Hélou, en incontournable routard de la politique locale, n’a certes rien inventé, mais a remis les pendules à l’heure : « La troïka est toujours de service », a-t-il assuré à partir du perron de Bkerké. Entendre : la troïka qui soubresaute, avec ses différentes doïkas (Lahoud-Berry, Lahoud-Hariri, Berry-Hariri) et autres monoïkas (chacun des trois présidents),...