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Actualités - INTERVIEWS

Le député du Metn dépossédé de son mandat répond aux questions de « L’Orient-Le Jour » Gabriel Murr : Si c’était à refaire ? Oui, je le referais

L’histoire de Gabriel Murr. Shakespeare ou Corneille s’en seraient profondément inspirés pour parfaire ce qui aurait sans doute été l’une de leurs plus réussies tragi-comédies. Une grande majorité de Libanais désespérait de pouvoir vérifier que David pouvait vaincre Goliath, qu’une opposition lorsqu’elle est unie, lorsqu’elle s’arme de ce qui continue de lui manquer plus que cruellement – un but –, pouvait infliger un revers retentissant à un pouvoir-pieuvre, présumé volontiers invulnérable à force de bafouer, sans états d’âme aucuns, les moindres principes de démocratie et de liberté. Gabriel Murr, qui n’est certes, à l’instar de ses collègues politiques, ni un ange ni un saint, a reçu, grâce à son parcours personnel mais aussi par un sacré concours de circonstances, l’opportunité de porter la victoire du 2 juin. Cet homme est aujourd’hui désincarné. Par les « bonnes œuvres » des dirigeants d’une République encore plus désincarnée, elle. Désincarné donc, parce qu’à moins d’un miracle, d’un sursaut de conscience politique, sa chaîne de télévision, la MTV, restera close, prohibée. Et sa députation confisquée, placée, par on ne sait quels procédés retors, dans les mains d’un candidat aujourd’hui lâché par son seul allié de l’époque, le Bloc national. C’est cet homme, aujourd’hui dépouillé par l’État libanais de tout ce pour quoi il s’est battu ces trois dernières années, qui a répondu hier aux questions de L’Orient-Le Jour. Et si tout cela était à refaire ? Dans un sourire, un peu jaune, Gabriel Murr n’hésite pas. « Je l’aurais refait. » Même si l’on vous avait raconté le dénouement ? « Je ne pouvais pas savoir que ça allait se terminer comme cela. J’avais cru en le Liban, en la démocratie, en l’État de droit, en les libertés. » Vous ne jouez pas au naïf, à sainte Thérèse, un tantinet ? « Non. Pas naïf. Parce que si je cesse de croire en ces valeurs, cela veut dire que le Liban n’existe plus. Mieux vaut alors qu’il fasse partie d’un quelconque pays arabe... » Totalement dépourvu de vision, de prévision ou d’intelligence, le pouvoir, depuis le 4 septembre dernier, vous a offert encore plus de popularité, non ? « S’il y avait eu des élections, les Libanais, qui n’en peuvent vraiment plus, auraient concrétisé, encore plus clairement que la première fois, leur volonté. Malgré tous les obstacles. Voilà pourquoi le pouvoir n’a pas osé une nouvelle partielle. » Même malgré la fermeture de la MTV. Et Ghassan Moukheiber ? Gabriel Murr est serein. « Ghassan Moukheiber est membre de l’ALDE (l’Association libanaise pour la démocratie des élections). Mais de quelle démocratie parle-t-on ? Il est député avec 2 % des voix alors que les deux autres candidats ont réuni plus de soixante-quinze mille. C’est cela la démocratie ? Dans ce cas, mabrouk. Ne me demandez pas de me mettre à sa place. Moi je n’aurais même pas continué jusqu’au 2 juin. » Qui sort gagnant de cette invalidation ? « Personne. Ghassan Moukheiber est désormais en complète contradiction avec la démocratie dont il se prévaut et avec son programme électoral. Le pouvoir et ses comparses ont encore plus perdu. En pensant que ces petits points qu’il marque ne vont pas entacher, d’une façon indélébile, le Liban. Le pouvoir a enterré la justice, il a enterré sa crédibilité. Et quand le droit n’existe plus, un pays se meurt. Et quand une justice ne s’occupe plus que de parcelles de terrain ou de querelles entre voisins, c’est tout de même différent, non ? » Si. « Surtout que le plus grand perdant est le Conseil constitutionnel. Que tous ces grands magistrats se fourvoient à ce point ! » Michel Murr n’est pas le grand gagnant ? On dit que votre frère a juré de vous ruiner et de vous ôter votre fauteuil parlementaire. « C’est le plus grand perdant. Parce qu’il m’a ôté ma députation en utilisant tous les Services de l’État. Le duel aurait été très beau s’il y avait eu des élections, si le peuple avait pu s’exprimer. Mais Michel Murr ne s’est jamais soucié du peuple. En 1993, lorsque je lui demandais d’ouvrir ses portes, il me disait qu’il se moque du peuple, tant que le Syrien reste au Liban. » Et le pouvoir ? Et ses hommes... « On a vu ce que cette réconciliation, ce lavage de cœurs, entre les présidents a donné : la fermeture définitive de la MTV. Personne ne s’étonnera donc, qu’à ce sujet, Rafic Hariri soit aux abonnés absents. Et sans doute que les bénéfices publicitaires de sa Future ont grimpé en flèche. Lui qui a été complètement marginalisé politiquement par une décision régionale, le voilà qui se marginalise encore davantage, en oubliant son discours d’investiture plus que musclé contre les Services. Le voilà aujourd’hui leur complice. Nabih Berry, en ce qui concerne la MTV, est tout aussi silencieux. Lorsque Salah Honein a proposé un projet d’amendement de l’article 68 de la loi électorale, revêtu du caractère de double urgence, le président de la Chambre lui a demandé d’ôter cette double urgence. » Sachant évidemment que seul le Parlement aurait pu permettre la réouverture de la MTV puisque l’amendement de l’article en question aurait bénéficié d’un effet rétroactif, et cela, sans que la justice ne soit humiliée. Et le chef de l’État ? « C’est le garant de la Constitution, il est au-dessus des communautés. » Est-ce que c’est cette fameuse (et très maladroite) lettre que vous lui avez envoyée qui a accéléré la fermeture de la MTV ? « Non. La décision a été prise avant. D’ailleurs, dès 1999, Michel Murr assénait, dans al-Diyar par exemple, qu’il allait tout faire pour fermer la chaîne de télévision. Surtout qu’à ce moment-là, il n’y avait plus Walid Joumblatt ou Ghazi Aridi. C’était avant le lavage de cœurs. Aujourd’hui, on entend les conseils du ministre Aridi. Mais j’aimerais simplement que M. Joumblatt et que ce défenseur des libertés qu’est le ministre de l’Information oublient leurs accusations de traîtrise, qu’ils recommencent à se concentrer sur la défense de la liberté d’opinion. Sérieusement, lorsqu’un pays perd sa justice, et les hommes qui la défendent, que se passe-t-il ? » On dit qu’il reste Paris II. Vous avez rencontré Jacques Chirac au cours du Sommet de la francophonie, vous lui avez parlé ? « Je lui ai serré la main. Mais je ne lui aurais pas dit que la justice libanaise est une justice stalinienne, une justice d’Inquisition. Le plus important était la réussite du Sommet. Et même aujourd’hui, quelques jours avant la tenue de Paris II, je ne lui aurais rien dit. Parce que nous voulons tous que Paris II réussisse. Ce qui ne m’empêche pas de penser que ce n’est pas Paris II, seule, qui va sauver le Liban. Ils ont très bien choisi leur timing, pour la fermeture comme pour l’invalidation, mais malgré cela je reste silencieux. » Et Kornet Chehwane ? Vous comprenez leur position ? « Je l’explique, je ne la comprends pas. Le Rassemblement (très hétéroclite) aurait dû avoir une position immédiate. Kornet Chehwane est très diesel. Il a besoin de pas mal de temps pour démarrer. Et effectivement, ses membres auraient pu mettre un frein aux exactions du pouvoir. En démissionnant, en appelant à la désobéissance civile, que sais-je... Une grande partie des hommes politiques du Metn a peur de la confrontation. » Quoi qu’il en soit, Gabriel Murr ne compte pas quitter, comme n’importe lequel des membres de KC à l’exception d’un Carlos Eddé enclin depuis le début à faire cavalier seul, le principal pôle de l’opposition. Surtout qu’il compte bien, avec eux, s’atteler désormais à voir et concevoir la politique, penser les réactions, « à long terme ». Fort de sa conviction de « ne pas être comme ceux qui sacrifient le Liban au profit d’une tierce partie, juste pour garder leur place ». C’est ce qui lui reste aujourd’hui, et le pouvoir et ses sbires seraient bien diaboliques s’ils arrivaient, aussi, à l’en dépouiller. Ziyad MAKHOUL
L’histoire de Gabriel Murr. Shakespeare ou Corneille s’en seraient profondément inspirés pour parfaire ce qui aurait sans doute été l’une de leurs plus réussies tragi-comédies. Une grande majorité de Libanais désespérait de pouvoir vérifier que David pouvait vaincre Goliath, qu’une opposition lorsqu’elle est unie, lorsqu’elle s’arme de ce qui continue de lui...