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Actualités - OPINION

Au non de la loi

Il est agaçant à la fin le bon peuple, qui voit des machinations partout, qui doute de tous et de tout, même des institutions les plus prestigieuses chargées de veiller nuit et jour au strict respect des lois. Pour un peu en effet, il se féliciterait d’avoir eu raison sur toute la ligne ce coquin de peuple qui, dès l’introduction d’un recours en invalidation des résultats du scrutin partiel du Metn, vous en annonçait péremptoirement la fatale, l’inévitable issue. Face à tant d’assurance, une assurance qui frisait la mauvaise foi, on pouvait toujours invoquer, au risque de passer pour un attardé, la tradition d’indépendance de la justice, le sacro-saint huis clos entourant les délibérations ; mais c’était seulement pour s’entendre rappeler, avec la plus grande irrévérence, les errements passés d’un pouvoir judiciaire à géométrie variable devenu au fil des ans terriblement vulnérable aux pressions du pouvoir tout court. Le vent de la liberté ne souffle plus sur notre pays ? Il est d’autres courants d’air désormais, qui se jouent des portes supposées être hermétiques entre toutes. Le plus curieux, c’est que la subtile brise opère dans les deux sens : comment expliquer autrement, en effet, les savantes fuites survenues ces dernières semaines, quant aux conclusions du Conseil constitutionnel ? Le jugement était devenu en réalité secret de Polichinelle, tout se passant – délicate attention – comme si l’on se souciait un tant soit peu, tout de même, de préparer l’opinion au choc d’une invalidation réclamée en haut lieu, programmée, quasiment annoncée. D’autres se chargeront d’évaluer objectivement, au strict plan de la conformité juridico-légale, les arguties, finasseries et autres contorsions auxquelles a dû se livrer le Conseil constitutionnel pour statuer sur l’élection partielle du 15 juin. On se bornera ici à en déplorer l’effet désastreux sur le moral des citoyens et sur la perception qu’ils ont de l’État jusque dans ses rouages théoriquement les moins sujets à suspicion, c’est-à-dire la Justice. Ce que l’opinion publique sait depuis longtemps, c’est d’abord que cette Justice, tenue d’opérer à l’aveugle derrière son fameux bandeau, considère en réalité les choses d’un seul œil et qu’elle a une fâcheuse propension à se montrer hautement ( ?) sélective dans l’administration de ses rigueurs. À titre d’exemple Samir Geagea, seul de tous les chefs de milice, a été embastillé parce qu’il se refusait à rejoindre le troupeau bêlant des inconditionnels de Damas, dont certains déclinaient d’ailleurs un passé de guerre encore plus chargé que celui du chef des Forces libanaises. La chaîne MTV a été fermée pour violation de la loi électorale, mais nul n’a entrepris de sanctionner la très officielle Télé-Liban qui, lors des législatives de l’an 2000, avait mené une campagne de diffamation particulièrement ordurière contre Rafic Hariri. Nulle instance, par ailleurs, ne s’est hasardée à proclamer en temps dû, c’est-à-dire avant l’élection partielle du Metn, l’irrecevabilité de la candidature de Mme Myrna Murr Aboucharaf, que commandaient absolument pourtant ses charges municipales. Dans le même ordre d’idée, aucune autorité judiciaire n’a même songé à dénoncer l’hérésie constitutionnelle commise par l’apprenti ministre de l’Intérieur Élias Murr lorsqu’il s’avisa de supprimer l’usage obligatoire de l’isoloir lors des opérations de vote. Étrange léthargie d’un appareil capable de se montrer à l’occasion des plus tatillons, et que l’on avait pu observer déjà à propos de l’affaire des quatre magistrats abattus en plein tribunal à Saïda... Voilà pour le passé... et on en passe. Pour le moment, ce que nous offre le jugement rendu hier, c’est le surréaliste tableau que voici : un vainqueur au finish ( du moins déclaré tel, bien qu’à contrecoeur, par le ministre Murr lui-même ) qui se voit dessaisi de son siège parlementaire ; une blackboulée fantôme, bien tardivement déclarée inéligible et qui se trouve être par hasard l’auteur (mais alors à quel titre ?) du recours en invalidation ; et un « élu » dont la carrière consacrée à la défense des droits de l’homme mérite certes le plus grand respect, mais qui n’a récolté après tout que deux pour cent des suffrages exprimés le 15 juin. Et la volonté populaire dans tout cela ? Elle n’a jamais pesé bien lourd dans le Liban de Taëf, mais du moins bénéficiait-elle d’une caisse de résonance – la liberté d’expression – et d’un suprême recours, la primauté de la loi. Que l’une et l’autre soient bafouées de la sorte par une république qu’affole sa propre faillite illustre la fin d’un mythe tenace : celui d’une démocratie libanaise toute relative et approximative, et qui se voit interdire maintenant jusqu’à l’illusion de la normalité. Issa GORAIEB
Il est agaçant à la fin le bon peuple, qui voit des machinations partout, qui doute de tous et de tout, même des institutions les plus prestigieuses chargées de veiller nuit et jour au strict respect des lois. Pour un peu en effet, il se féliciterait d’avoir eu raison sur toute la ligne ce coquin de peuple qui, dès l’introduction d’un recours en invalidation des résultats...