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Actualités - OPINION

Boomerang

Le couperet est tombé. On s’y attendait, on ne se faisait pas d’illusions, l’intéressé lui-même s’y était déjà préparé. On reste quand même pétrifié face à cette froide détermination, époustouflé par cette campagne systématique qui annihile l’opposition, lui barre toute voie de recours. « Montage juridique », « mascarade » : pour Gabriel Murr, le verdict du Conseil constitutionnel est de toute évidence entaché de vice. Arrivé en troisième position aux élections de juin dernier au Metn, avec 1 700 voix seulement, Ghassan Moukheiber se voit ainsi catapulté au devant de la scène parlementaire. Élu non par la volonté des électeurs mais par décision des magistrats, il peut difficilement prétendre à une légitimité populaire. L’avenir dira ce qu’en pensent les habitants du Metn. Il reste qu’en invalidant l’élection de Gabriel Murr, le Conseil constitutionnel consacre la politique d’exclusion suivie depuis bien longtemps par l’État et paraît ainsi légitimer le boycottage observé à l’encontre du Rassemblement de Kornet Chehwane. Et pourtant, le Liban, dans son essence, dans sa fabrication même, oserait-on dire, devrait être soudé à la démocratie, à l’expression libre. Il s’y soustrairait qu’il en perdrait son âme, sa raison d’être. Et c’est précisément vers cet abîme, ce reniement de soi que nous entraînent maintenant les ardents partisans de l’exclusion, ceux-là mêmes qui pourrissent le pouvoir et qui effritent, chaque jour un peu plus, les structures du Liban, celles de la mixité et du droit à la différence. Tout au long de l’histoire tumultueuse du pays, et même aux pires moments des guerres, la recherche de compromis mettant fin à la saignée a été incessante, ininterrompue. Alors même que les milices se livraient des batailles sans merci, en coulisses, les tractations se poursuivaient pour parvenir à des solutions acceptables, préservant les caractéristiques de chaque communauté. Et c’est dans cet esprit d’ailleurs que le fameux compromis « ni vainqueurs ni vaincus » a été élaboré et a mis fin aux hostilités en 1958 et que le non moins fameux accord de Taëf a vu le jour en 1989. Mais aujourd’hui, treize ans après, la désillusion est grande. La réconciliation nationale a été reléguée au placard et une large fraction de la population marginalisée, exclue des affaires de l’État. Au dialogue, seul susceptible de rétablir l’équilibre politique, s’est substitué un discours à sens unique, une pensée fossilisée, gangrenée. Résultat (ô combien répétitif) : l’opposition est quasiment mise hors la loi, « morte et enterrée » aux dires des fossoyeurs attitrés de la République, les manifestations interdites, les sit-in dispersés à coups de matraques, les télévisions et radios récalcitrantes fermées… et cerise sur le gâteau, les résultats de la partielle du Metn invalidés. Mais ne nous leurrons pas, le pire est encore à venir et tant que des voix discordantes continueront à s’élever, l’œuvre d’équarrissage se poursuivra. *** « Le pays souffre d’un déséquilibre politique qui divise les Libanais en groupes confessionnels. Cela est dû à un manque de respect des valeurs morales et des droits de l’homme (…) De nombreux Libanais ont le sentiment d’être marginalisés sur le plan politique. Il faut espérer que le Liban recouvrera rapidement sa liberté, sa souveraineté et sa dignité. » Ces propos « séditieux », ce sont les patriarches catholiques d’Orient qui les ont récemment tenus. Pour avoir lancé ce même cri d’alarme quelques semaines plus tôt, les ténors de l’opposition ont été accusés d’attiser les dissensions internes et d’œuvrer pour le renversement du régime… Faut-il donc croire que Bkerké et tous les patriarches catholiques d’Orient participent au même complot ? ! C’est dans cette atmosphère délétère, empoisonnée, que le Liban se prépare au rendez-vous de Paris II, au cœur de l’Europe des droits de l’homme. Il s’y rend sans états d’âme, voulant se convaincre qu’au bout du chemin c’est l’Eldorado qui l’attend : un pactole de milliards de dollars qui libérera les Libanais de leurs soucis financiers et remettra le pays sur la voie du redressement économique. Mais c’est aller malheureusement un peu vite en besogne. En fait de milliards, c’est d’une monnaie de singe qu’il pourrait s’agir : la dette de 30 milliards de dollars ne sera point gommée, mais étalée dans le temps. Elle serait tout bonnement léguée à nos enfants et petits-enfants, un cadeau empoisonné dont se débarrassera notre grand argentier et que les générations futures auront bien du mal à digérer. Châteaux de sable, châteaux de cartes qui s’envoleront à la première tempête venue du désert arabe… ou du Néguev. *** Toute cette digression pour revenir à l’évidence, à l’essentiel : À quoi sert-il de chausser des bottes de sept lieues et de courir le monde si, à domicile, rien n’est fait pour rétablir la confiance ? À quoi sert-il de rechercher, à l’étranger, une crédibilité sans cesse bafouée si, à domicile, tout dialogue est prohibé, toute acceptation de l’autre, dans sa différence, interdite ? À quoi peuvent servir tous les Paris II du monde si le Liban est voué à perdre son âme, l’essence même de son existence : sa pluralité ? Une pluralité qui est notre richesse, notre véritable Paris II et que l’État s’escrime, chaque jour un peu plus, à transformer en damnation. Nagib AOUN
Le couperet est tombé. On s’y attendait, on ne se faisait pas d’illusions, l’intéressé lui-même s’y était déjà préparé. On reste quand même pétrifié face à cette froide détermination, époustouflé par cette campagne systématique qui annihile l’opposition, lui barre toute voie de recours. « Montage juridique », « mascarade » : pour Gabriel Murr, le verdict...