Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Interview - Les propos d’Élias Murr concernant les musulmans sont « choquants » Samir Frangié dénonce « l’ahbachisation de la vie politique »(photo)

Le ministre de l’Intérieur, Élias Murr, a joint sa voix lundi au concert de voix qui accusent le Rassemblement de Kornet Chehwane (KC) de tous les maux, dans une interview-fleuve accordée au quotidien as-Safir. La diatribe de M. Murr est venue jeter encore plus d’huile sur le feu à l’heure où la « cellule Hamad » (Rencontre nationale islamique) affichait déjà son intention d’organiser une contre-manifestation, jeudi, pour faire face au mouvement de Kornet Chehwane. Samir Frangié n’y va pas par quatre chemins pour accuser les « responsables d’organiser les conditions d’une confrontation communautaire ». « C’est du jamais-vu. Ils sollicitent un discours et des positions confessionnelles contre l’opposition, suggérant ensuite l’organisation de contre-manifestations. Pour dire ensuite que le climat est confessionnel et qu’il faut interdire toute action », affirme-t-il. Pour M. Frangié, cette campagne orchestrée par le pouvoir contre Kornet Chehwane a été motivée par deux facteurs. Le premier est d’ordre local : la gêne du pouvoir devant « la volonté de changement manifestée par les Libanais dans le cadre de la partielle du Metn ». Le second facteur dépend directement de la situation régionale. Évoquant les circonstances actuelles sur le plan régional – risques de guerre en Irak, politique israélienne d’élimination de l’Autorité palestinienne, menaces qui planent sur le Liban-Sud, manifestations au Koweït et au Qatar ou encore assassinat du diplomate américain en Jordanie –, M. Frangié affirme : « Le pouvoir au Liban est totalement étranger à ce qui se passe dans la région. Il pratique une politique “provinciale”. Dans l’impossibilité de participer aux décisions politiques qui engagent l’avenir du pays, lesquelles sont aux mains de la Syrie, il se rabat sur des querelles de clocher. En plus, il est obnubilé par cette crainte que l’opposition ne sorte renforcée d’un changement régional. Il entend, par un coup préventif, l’empêcher de profiter d’un tel changement à venir. » En résumé, « au lieu de faire l’union entre les Libanais en cette période de crise, le pouvoir diabolise l’opposition et sème la discorde confessionnelle ». La « milicianisation » du pouvoir Ce que Samir Frangié veut dénoncer par-dessus tout, c’est l’entreprise d’« ahbachisation » de la vie politique. « Il faut que plane en permanence la menace d’utiliser des couteaux et des haches », accuse-t-il. Il en veut pour preuve les propos d’un député, accusant KC de « s’être réuni avec l’émissaire américain William Burns, qui nous aurait demandé d’organiser une manifestation ». « C’est le genre d’accusations qui devait prévaloir dans les années 50 et qui pouvait conduire à la potence en Irak, quand la justice était aux mains de Mahdaoui. Lequel condamnait les gens à mort avant de rechercher les motifs d’accusation. Ces néoahbaches ne représentent personne », souligne Samir Frangié. Et de revenir aux propos du ministre Élias Murr à as-Safir , en évoquant « la milicianisation du pouvoir politique ». Ironique, M. Frangié estime que grâce à cette interview, Élias Murr a gagné sa place au panthéon des politologues et que sa déclaration mérite d’être enseignée à sciences-po. « S’adressant aux chrétiens, M. Murr leur dit : “Vous ne pouvez pas vous plaindre que nous sommes en train d’user de mesures arbitraires contre vous, parce que nous faisons la même chose à l’encontre des musulmans”. Et il trouve qu’à partir du moment où la loi n’est appliquée ni aux chrétiens ni aux musulmans, tout va bien .» Samir Frangié s’indigne aussi des propos de M. Murr selon lesquels il aurait fait arrêter des musulmans, par villages entiers, aux lendemains du 11 septembre : « C’est monstrueux. C’est soit de l’inconscience, soit l’expression d’une mentalité de milicien. Arrêtez des villages entiers parce qu’ils sont musulmans ! Où est la différence avec ce que font les Israéliens en Palestine ? Surtout lorsqu’il raconte qu’il “n’a pas de sang chrétien sur les mains”. Cela signifie-t-il qu’il a du sang non chrétien sur les mains ? Ou encore, quand il dit que “l’État devait se défendre contre l’opposition qui a gagné les élections”. Mais l’État n’a pas à se défendre. Il doit appliquer la loi ! C’est la loi qui défend les gens... » « Ce jeune homme n’a aucune conception de l’État. D’ailleurs, je me demande pourquoi il est à ce poste. En fonction de quel critère a-t-il été choisi ? Il n’est pas député, encore moins chef de parti. Sa dernière expérience politique remonte à sa gestion du journal al-Joumhouriya, à l’époque d’Élie Hobeika. Je n’ai plus entendu parler de lui ensuite. » Un dialogue sur condition À partir de là, Samir Frangié plaide pour un dialogue entre les gens qui « pourraient avoir une certaine représentativité, en l’absence d’élections libres », estimant « qu’il existe dans le camp loyaliste des personnes incontournables, mais qui sont noyées par une série de créatures fabriquées de toutes pièces par les services de renseignements ». « Or, au lieu de ce dialogue, nous allons vers une milicianisation du pouvoir et la formation d’un nouveau front communautaire : des groupes multiconfessionnels se défont pour se diviser en groupes confessionnels, tels que le Rassemblement parlementaire de concertation. Paradoxalement, nous, à Kornet Chehwane, groupe formé de chrétiens, nous voulons participer à la remise sur pied d’un État multiconfessionnel. D’où nos appels répétés au dialogue », ajoute-t-il. S’agissant justement de dialogue, M. Frangié met en exergue la volonté de KC de reprendre langue avec le chef de l’État « pour préparer le pays aux changements régionaux, à condition que la MTV se remette à émettre ». « Le pouvoir, à travers sa politique actuelle, n’a pas été dans le sens des intérêts libanais ou syriens. Quel intérêt la Syrie aurait à relancer de cette manière le conflit syro-libanais ? Nous ne demandons pas la lune. Juste la MTV, victime d’une injustice », indique-t-il. Il rappelle par ailleurs que KC n’est que l’un des éléments d’une opposition très vaste, au sein de laquelle chacun s’exprime à sa manière. « La grande majorité des Libanais sont dans l’opposition », dit-il. Et d’ajouter : « Mais je suis pour une transition en douceur, pas pour un changement radical. C’est cela que nous proposons au pouvoir et à la Syrie. » Manifester, un acte de foi Mais, pratiquement, que peut faire Kornet Chehwane, qui a déjà demandé à plusieurs reprises la démission du ministre de l’Intérieur, sans résultats ? « Aucune bataille ne se gagne facilement. Notre stratégie, c’est de dire aux Libanais que nous donnons la priorité à l’union face aux dangers. Et il y a des pressions énormes sur l’islam libanais, dont les porte-parole actuels ne sont pas les vrais représentants. Nous voulons reconquérir l’autonomie de la société. Or les gens aujourd’hui ne sont pas différents : ils sont concernés par ce qui se passe : au niveau de la société, il n’y a pas de loyalistes. Il n’y a que des opposants .». Et si on interdisait à KC de manifester, jeudi ? « Il n’est pas question que nous cessions de manifester par tous les moyens à notre disposition jusqu’à la réouverture de la MTV. Il s’agit d’une question de principe sur laquelle nous n’allons pas tergiverser. S’ils interdisent cette manifestation, on en fera une autre. » La manifestation de jeudi pourrait-elle aboutir à quelque chose de concret, pour la MTV ? « Nous avons tout essayé avec le pouvoir. La réponse du ministre de l’Intérieur était assez éloquente. Il s’en est pris directement au patriarche. Il est difficile de s’entendre avec la logique milicienne. S’il se permet de s’en prendre au patriarche maronite, comment trouver un terrain d’entente avec lui ? Faut-il s’adresser directement aux Syriens parce que le pouvoir libanais est inapte à prendre une décision ? Avec ce jeune homme, je ne vois vraiment pas comment trouver un modus vivendi. » Pour finir, Samir Frangié appelle les Libanais à « assumer leurs responsabilités aux côtés de KC ». « La participation à la manifestation est un acte de foi en ce pays. Si elle est interdite, c’est partie remise pour la prochaine. Et ainsi de suite. Nous allons continuer, quelles que soient les difficultés, à réclamer notre droit. Ceux de tous les Libanais, chrétiens et musulmans », conclut-il. Michel HAJJI GEORGIOU
Le ministre de l’Intérieur, Élias Murr, a joint sa voix lundi au concert de voix qui accusent le Rassemblement de Kornet Chehwane (KC) de tous les maux, dans une interview-fleuve accordée au quotidien as-Safir. La diatribe de M. Murr est venue jeter encore plus d’huile sur le feu à l’heure où la « cellule Hamad » (Rencontre nationale islamique) affichait déjà son...