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Actualités - INTERVIEWS

Francophonie - Les Libanais du Mali, un modèle d’intégration et de réussite Amadou Toumani Touré : Aider certains pays dans le processus de démocratisation(photo)

Élu en mai 2002 au suffrage universel à la présidence du Mali, Amadou Toumani Touré se présente comme un homme de démocratie, de dialogue et de développement. Ayant joué un rôle de premier plan dans la chute du dictateur Moussa Traoré, en 1991, il cherche, en tant qu’instaurateur des libertés publiques et à travers son appartenance à la famille francophone, à développer les relations du Mali avec le Liban, mais aussi à donner une autre image de l’Afrique, positive, active, en bonne voie de démocratisation. Au terme du IXe Sommet de la francophonie, Amadou Toumani Touré exprime sa satisfaction quant à la voie politique prise par la francophonie. Question : Pensez-vous que le thème de dialogue des cultures était approprié au IXe Sommet de la francophonie ? Réponse : Le thème de dialogue des cultures était parfaitement approprié. D’ailleurs c’est bien au Liban qu’il fallait en parler, et comme je l’ai dit dans mon discours, le Mali se sentait lui aussi très concerné par ce thème. Car nous sommes, un peu comme le Liban, un carrefour des civilisations et des cultures de notre région. Q : Ce sommet a-t-il répondu aux attentes du Mali ? R : Ce sommet a parfaitement répondu aux attentes du Mali. J’ai, à titre personnel, été très honoré d’y participer pour la première fois en tant que président de la République, mais aussi de venir au Liban pour la première fois. De plus, le Mali a été désigné par ses pairs pour prononcer le discours de l’Afrique et a été élu rapporteur de la conférence. Quant au résultat du sommet, nous voulions une francophonie plus engagée et nous avons eu une francophonie plus politique. Les conclusions auxquelles nous avons abouti ont débouché sur des positions plus courageuses et plus franches qui nous ont permis de sortir d’une francophonie purement culturelle et d’aborder une francophonie ayant une dimension politique. L’élection du nouveau secrétaire général, Abdou Diouf, en est la meilleure preuve. Q : Ce sont donc là les prochains défis de la francophonie, d’être plus politique, plus courageuse, plus engagée ? R : Parfaitement. Je pense qu’avant ce sommet, la francophonie était juste une agence culturelle. Aujourd’hui, face à notre pendant qui est le Commonwealth, qui prend des positions politiques courageuses, il fallait réagir. Boutros-Ghali a donné à l’agence sa dimension politique, en se penchant sur tous les grands dossiers africains et en prenant une part active, dans le cadre de la médiation internationale, aux dossiers concernant les pays francophones. Aujourd’hui, la francophonie prend une direction politique claire, certes, à l’initiative de Boutros-Ghali, mais qui découle de la volonté des chefs d’État. C’est pourquoi nous pouvons dire que le Sommet de Beyrouth est un tournant particulièrement important, à plus d’un titre. D’une part, c’est la première fois que cette conférence se déroule en terre arabe. D’autre part, elle s’est tenue au Liban, pays pionnier de la francophonie, ce qui constitue une récompense pour lui. De plus, durant ce sommet, d’importantes prises de position politiques ont été adoptées et des sujets internationaux qui touchent l’ensemble de la planète ont été abordés. Bamako, une synthèse Q : Que pensez-vous de la relance de l’application de la convention de Bamako ? R : Tout le monde est d’accord sur le fait que la Déclaration de Bamako est un bon document. C’est un peu la synthèse de plusieurs symposiums, tels que celui de Cotonou par exemple. Il y a quand même eu des réserves de la part de quelques pays comme le Laos, le Vietnam et la Tunisie. Certes, il y a un soubassement universel à la démocratie, dans lequel tout le monde se reconnaît, mais j’avoue que nous devons aujourd’hui aider certains pays dans le cadre du processus de démocratie. L’un des défis qui se posent à ces pays d’Afrique en voie de démocratisation est l’organisation des élections. La responsabilité de la francophonie réside dans le choix des thèmes, dans les symposiums et réunions concernant les affaires politiques. La réunion de Bamako a donné d’excellents résultats, mais je pense qu’on doit laisser à chacun son rythme, en tenant compte de ses réalités propres. Q : Qu’apporte la francophonie au Mali ? R : Nous avons avec la francophonie une relation privilégiée dans plusieurs domaines. Le symposium de Bamako, l’une des plus grandes conférences que la francophonie ait organisées ces cinq dernières années, a été un honneur pour le Mali. Au Sommet de Beyrouth, nous avons été touché d’avoir été désigné pour prononcer le discours de l’Afrique et pour être rapporteur de la conférence. D’autre part, la coopération entre le Mali et la francophonie est très fructueuse, notamment dans le domaine de l’éducation, de la culture, ainsi que de la modernisation et de la restructuration de la justice dans notre pays. Le Mali a, de même, bénéficié, sur le plan politique et institutionnel, de l’expertise de la francophonie dans le cadre de la rédaction des textes de base. Président de la Confemen, conférence des ministres de l’Éducation nationale, le Mali attend néanmoins de la francophonie qu’elle s’implique beaucoup plus sur les thèmes essentiels qui avaient été retenus à Lomé et notamment la francophonie face aux défis des nouvelles technologies. L’utilisation des nouvelles technologies ne constitue pas un simple moyen, elle représente pour nous un raccourci dont nous pourrions tirer parti. Q : La francophonie a-t-elle été salutaire dans le problème de l’analphabétisme au Mali ? R : On ne peut réellement parler d’analphabétisme dans un pays où existe le pluralisme linguistique. Certains dialectes maliens sont aujourd’hui écrits, comme le bambara, le peul ou le tamacheq. La difficulté fondamentale réside plutôt dans le nombre d’enfants scolarisés. Sur dix enfants, moins de quatre vont à l’école. Avec l’aide de la francophonie, mais aussi d’autres pays, nous voudrions renforcer la scolarisation. Un de nos défis majeurs est d’augmenter cette proportion dans des limites raisonnables, d’ici à cinq ans. Par ailleurs, il existe une disproportion entre l’éducation des filles et celle des garçons, que nous espérons corriger. Au Mali, comme il est de coutume, on prépare la fille au mariage plutôt que d’investir dans son éducation. Avec les maigres moyens dont on dispose, on investit davantage dans la scolarisation des garçons. Certes, dans ce domaine, la francophonie y met du sien, mais l’aide de la Banque mondiale est tout aussi précieuse. De même, le Mali doit redoubler d’efforts, en développant l’éducation communautaire, pour que la population prenne en charge l’éducation des enfants. Le Mali se trouve aujourd’hui face au défi que représente l’éducation pour tous, décision prise à Dakar et dont l’application a été fixée à l’an 2015. Malheureusement, nous sommes encore énormément en retard. Le français, langue officielle Q : Qu’apporte le Mali à la francophonie ? R : Le français est la langue administrative de notre pays. Il est, à la limite, une des langues officielles de communication. Le Mali, un des carrefours de civilisations et de cultures africaines, présente un potentiel culturel extrêmement important. La culture malienne est une des cultures africaines les plus répandues, notamment grâce aux chants, à la musique, à la peinture et surtout à l’art malien, dogon ou bambara. Nous apportons tout cela dans la corbeille de la francophonie, ce qui n’est, certes, pas négligeable. Q : Quels sont les rapports et les échanges entre le Mali et le Liban ? R : La communauté la plus intégrée en Afrique est la communauté libanaise qui mène la même vie que les Maliens et dont les enfants partagent les mêmes bancs d’école que leurs camarades maliens. Cette communauté libanaise, qui est particulièrement importante, gère une bonne part de l’industrie et du commerce maliens. Elle est prospère et riche et apporte beaucoup à la communauté malienne. J’ai d’ailleurs tenu à venir au Liban accompagné de deux opérateurs libanais, les frères Achkar. En fait, j’ai moi-même grandi au sein d’une famille libanaise, les Geagea, avec lesquels mon père travaillait durant mon enfance. Nous restons encore aujourd’hui très liés avec les membres de cette famille, disséminée à travers le Mali, la Côte d’Ivoire et le Liban. Le consul général du Mali à Beyrouth, Ahed Baroudy, occupe ses fonctions depuis trente-huit ans. Cela prouve l’étroitesse des relations privilégiées que le Liban entretient avec le Mali. Par ailleurs, j’ai rencontré le président de la République libanaise, auquel j’ai transmis les vœux du peuple malien et exprimé ma gratitude et celle de mon peuple à l’égard des Libanais, qui par leur travail ont contribué à l’essor du Mali. J’ai de même, grâce à l’aide du consul, rencontré des hommes d’affaires, le président de l’Association des industriels, ainsi que quelques opérateurs industriels et économiques libanais avec lesquels j’ai eu des échanges, et que j’ai invités à une tournée de prospection au Mali afin d’étudier une éventuelle coopération. Le Liban a parfaitement réussi la promotion de la valeur ajoutée. Nous sommes un pays agro-pastoral et nous sommes intéressés à transférer chez nous l’expérience et le savoir-faire libanais dans le domaine. Nous voulons partager avec les Libanais l’expérience de la petite industrie de transformation qui réussit si bien chez vous, tout en leur garantissant toutes les facilités pour une coopération réussie. De même, nous envisageons d’envoyer au Liban des opérateurs maliens privés qui sonderaient le marché pour étudier les modalités de coopération et de rapprochement entre les deux pays. Le rendez-vous est prévu pour le premier trimestre 2003. Répercussions négatives du conflit ivoirien Q : La langue officielle du Mali est le français. Une langue véhiculaire risque-t-elle de prendre la place du français ? R : Le bambara risque fort de prendre un jour la place du français. En effet, cette langue parlée et écrite est largement répandue en Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Sénégal, en Gambie, en Guinée et évidemment au Mali. Certaines écoles expérimentales dispensent d’ailleurs des cours en bambara et en français. Sur le plan scientifique, le français restera longtemps indispensable en Afrique, à l’instar de l’anglais qui est la langue de l’informatique. C’est pourquoi je suis persuadé que le français a encore beaucoup d’années à vivre au Mali. Q : Le Mali a-t-il un rôle à jouer dans la résolution du conflit ivoirien ? R : La situation en Côte d’Ivoire nous préoccupe. Nous avons tenu à le dire dans notre discours, invitant la francophonie à se pencher sur ce problème douloureux. Aujourd’hui, près de 2 500 000 Maliens vivent en Côte d’Ivoire. Nous partageons une large frontière et des populations appartenant à la même ethnie vivent de part et d’autre de cette frontière. 70 % de nos importations et exportations passent par ce port d’attache. Nous sommes obligés de trouver des ports d’attache de remplacement, ce qui nous fait 1 000 km de plus, et risque d’augmenter le prix des matières de première nécessité. Nous nous sommes engagés à titre personnel, mais également au sein d’un groupe de contact groupant divers pays d’Afrique, à trouver une solution politique au conflit. Q : Le Liban se représente l’Afrique comme étant un continent où sévissent les famines, les guerres, les maladies et les dictatures. Quelle image du Mali pouvez-vous aujourd’hui donner aux Libanais ? R : Le nombre de Libanais vivant au Mali est extrêmement important. Ce sont eux qui connaissent le mieux le pays. Certes, une certaine presse ne voit que la famine, le sida, les conflits, les dictatures. Mais il y a une autre Afrique, comme il y a un autre Liban, autre que celui dont l’image a été véhiculée par les médias pendant la guerre. Il y a une Afrique sans sida, qui donne au monde sportif de grands athlètes, une Afrique de démocraties naissantes, qui bouge, qui a un potentiel économique et des richesses minières. Cette Afrique s’est réveillée. D’ailleurs, le Liban est la meilleure leçon pour l’Afrique. Propos recueillis par Anne-Marie EL-HAGE
Élu en mai 2002 au suffrage universel à la présidence du Mali, Amadou Toumani Touré se présente comme un homme de démocratie, de dialogue et de développement. Ayant joué un rôle de premier plan dans la chute du dictateur Moussa Traoré, en 1991, il cherche, en tant qu’instaurateur des libertés publiques et à travers son appartenance à la famille francophone, à...