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Actualités - CHRONOLOGIE

« La solidarité est très importante, mais la souveraineté passe avant tout », affirme à « L’Orient-Le Jour » le ministre tunisien des AE Habib ben Yéhia appelle à une plus large coopération Sud-Sud

Le ministre tunisien des Affaires étrangères s’appelle Habib ben Yéhia. Et c’est lui qui a présidé la délégation de son pays aux réunions de la Conférence ministérielle de la francophonie, ainsi qu’à celles des chefs d’État et de gouvernement. Habib ben Yéhia est un brillant diplomate, et comme ses autres grands homologues, il sait user et abuser de la langue de bois. À la seule différence que la sienne a un côté particulièrement intéressant : elle laisse souvent sourdre quelque chose – une réflexion, un constat, un jugement – d’assez inattendu. La preuve : le long entretien accordé à L’Orient-Le Jour, quelques heures avant l’ouverture du IXe Sommet. Une certitude d’abord. Pour la Tunisie – un des partenaires arabes naturels du Liban – la rénovation, le dépoussiérage de l’institution francophone « ne passe pas uniquement par sa politisation ». Il y a quelque chose d’essentiel pour Habib ben Yéhia : la langue et la culture, qui « cimentent » la francophonie. Et il est hors de question de « se départir de cet élément de base de solidarité ». Langue et culture donc, mais aussi coopération, et le réseau d’interconnexions « ne se fait pas uniquement au niveau des ministres », mais devrait englober, bien plus souvent qu’il ne le fait aujourd’hui, le privé (les hommes d’affaires), l’universitaire, la jeunesse. D’autant plus que dans une Tunisie parfaitement bilingue, le français, cette « langue-véhicule », est une langue « d’ouverture ». Et il faut « exploiter à fond » cet élément catalyseur interculturel qui dépasse tous les paramètres géostratégiques. Abdel-Aziz Bouteflika pourrait d’ailleurs s’inspirer de ce constat... Quant au dialogue des cultures, il ne se limite pas uniquement, insiste le chef de la diplomatie tunisienne, aux séminaires et autres forums. Depuis que le culturel est devenu éminemment politique, depuis le 11 septembre 2001, la Tunisie est effarée par les amalgames, qui demeurent bien ancrés au sein d’une partie non négligeable des populations occidentales, entre terrorisme et arabité ou islam. « Il y a un travail très important à faire dans l’espace francophone où résident un très grand nombre de francophones musulmans. Il faudrait que l’éducation soit un moyen d’apprendre à nos enfants la tolérance, l’ouverture, et non pas l’extrémisme. Il faut que cesse cet amalgame qui, définitivement, nuit au dialogue. » Comment faire pour que cette institution francophone soit plus présente sur l’échiquier politique international ? « Ça ne peut pas se faire par un coup de baguette magique. Si on fait œuvre utile, si l’on se concentre sur ce qui nous rapproche, si l’on privilégie la solidarité, la compréhension, si l’on évite de donner des leçons, nous pourrons avoir notre place au soleil. » À bon entendeur... Et de rappeler, comme un leitmotiv, que la bataille pour le français a été importée aux Nations unies. La Tunisie a ses priorités. Et Habib ben Yéhia de souligner qu’en ce qui concerne le politique, on est « au commencement. Boutros Boutros-Ghali a pensé à cela, il a multiplié les consultations pour rapprocher les prises de position. Cette politisation va prendre du temps. Mais il y a de l’espoir, notamment en ce qui concerne ce centre sur la diplomatie préventive. La décision est prête. Il faut créer des instruments nouveaux, être plus crédibles, plus influents ». Vous ne pensez pas que les pays du Sud devraient également repenser leur façon de voir et de concevoir la francophonie ? « Bien sûr. Ne pas se contenter de faire de la francophonie une œuvre de charité, mais une œuvre d’avenir. Je suis pour une augmentation de la coopération Sud-Sud. On a la chance d’avoir cet élément catalyseur – la langue – qui facilite les échanges, notamment au niveau de la coopération universitaire. » Et les prises de position un peu tonitruantes de la Tunisie en ce qui concerne certains points de la Déclaration de Beyrouth ? « C’est vrai qu’il y a eu beaucoup de bruit autour de notre position. Mais la Tunisie n’a pas froid aux yeux, et si on vient à ce sommet comme des béni-oui-oui, ça ne sert à rien. Nous souhaitons plus de contexte pratique pour la diversité culturelle. Qu’on l’applique d’abord entre nous-mêmes », a-t-il dit. Faisant référence à la diversité d’opinions autant qu’à celle des cultures. En ce qui concerne les droits de l’homme et l’application de la Déclaration de Bamako, la réponse de Habib ben Yéhia se passe de tout commentaire : « Ce n’est pas du café instantané : c’est un long processus. » Le pouvoir en Tunisie, rappelons-le, s’était particulièrement raidi au cours de l’année 2001, et a été la cible de très vives critiques pour sa gestion de la démocratie et des droits de l’homme. « La Tunisie a mis de l’ordre dans sa maison, elle a enclenché de profondes réformes, a adopté le multipartisme. Voilà pourquoi nous avons préparé la reconduction du président ben Ali. D’autant plus que 80 % de la société appartient aux classes moyennes, que les statistiques de la Banque mondiale et du FMI sur la stabilité de la Tunisie sont fortement encourageantes, et que l’émancipation de la femme a fait de larges bonds en avant. Et ce n’est pas terminé. Nous venons d’amender la Constitution en vue d’une plus grande démocratisation : deux Chambres, un Conseil constitutionnel, etc. Alors, que l’on cesse de regarder l’arbre qui cache la forêt, que l’on passe à côté des défis majeurs, des génocides en Afrique, etc. » Soit. Quid de la proposition de constituer un comité directoire, à l’instar de celui du Commonwealth, et qui serait constitué d’une douzaine de pays ? « Nous y réfléchissons. Nous pesons le pour et le contre. Cela peut être une bonne chose, mais il ne s’agit pas que cela se transforme en Conseil de sécurité. Il faut que chaque pays membre soit concerné par ce comité, que tous y contribuent d’une façon ou d’une autre », a soutenu Habib ben Yéhia. Et l’Irak ? « La Tunisie appartient au monde arabe, et elle a décidé, comme tous les autres pays arabes, au cours du Sommet de Beyrouth, de ne cautionner aucune guerre déclenchée contre un quelconque pays arabe. La solution à la question irakienne doit se trouver dans un plus grand dialogue entre Bagdad et les Nations unies, en vue de l’application des résolutions onusiennes. Et la Tunisie a travaillé pour la reprise de ce dialogue. Qui est un processus de maturation : cela peut prendre quelques heures, quelques jours, quelques mois, voire même quelques années. » Ce dialogue peut se faire tant que Saddam est au pouvoir ? « Ce dialogue peut se faire avec l’Irak. D’ailleurs, la communauté internationale n’a pas à choisir son interlocuteur. » Pour Tunis, les inspecteurs doivent retourner au travail, et la solution pacifique est la seule envisageable, puisqu’une autre guerre « impliquerait de graves tremblements de terre ». Et la solidarité arabe avec les Palestiniens ? Une kyrielle de slogans, de vœux pieux ? « Il y a un élan de solidarité suffisamment important : un soutien fianncier, une aide humanitaire, un soutien politique. Que peut-on faire de plus ? Aux Nations unies, lorsque la Tunisie était membre du Conseil de sécurité, on a fait ce que l’on a pu pour assurer une protection internationale du peuple palestinien. C’était la proposition du président ben Ali, mais elle a été refusée. Il n’empêche, aujourd’hui, la légalité internationale est en notre faveur. » La paix est possible avec Yasser Arafat ? « C’est au peuple palestinien de décider cela. » Une grande majorité des Libanais n’en peut plus de la présence et de la tutelle syriennes au Liban. Et demande l’applciation stricto sensu de l’accord de Taëf qui avait été cautionné par l’ensemble du monde arabe, dont la Tunisie. « Cela concerne le Liban et la Syrie. Si le Liban pose ce problème au niveau de la Ligue, tous les pays arabes peuvent contribuer à ce que les relations entre pays arabes soient harmonieuses. Vous savez, nous avons besoin, en ce moment, de solidarité pour faire face à tous les défis. Mais il va sans dire que la souveraineté passe avant tout », a conclu Habib ben Yéhia. Tout est dit. Ziyad MAKHOUL
Le ministre tunisien des Affaires étrangères s’appelle Habib ben Yéhia. Et c’est lui qui a présidé la délégation de son pays aux réunions de la Conférence ministérielle de la francophonie, ainsi qu’à celles des chefs d’État et de gouvernement. Habib ben Yéhia est un brillant diplomate, et comme ses autres grands homologues, il sait user et abuser de la langue de...