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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Le Premier ministre du Québec répond aux questions de « L’Orient-Le Jour » Bernard Landry : Que l’on fasse un Kyoto pour la langue et la diversité culturelle(photo)

Lorsqu’on commence par demander à Bernard Landry si, pour qu’elle retrouve cette indispensable seconde jeunesse qui l’empêcherait de péricliter, de se marginaliser, la francophonie devrait se politiser, le Premier ministre du Québec reconnaît que c’est « inévitable ». Que cette politisation est « au cœur » de la chose francophone. « Dans tous les cas, impossible de faire se rencontrer 55 chefs d’État si le politique n’a pas un rôle prépondérant. » Mais, ensuite, le bémol. « Sans minimiser le politique, la base de la solidarité francophone doit se transmettre dans l’action, dans l’entraide. Et par des gestes. Le politique doit soutenir la coopération. » Et la position du Québec est sans ambages : « Si vous voulez tracer une ligne claire entre le politique et la coopération, vous faites fausse route. Il faut que la coopération soit dominante », souligne-t-il, interrogé par L’Orient-Le Jour. Et qu’elle soit particulièrement chouchoutée. Elle ne risque pas d’être marginalisée, insiste Bernard Landry, si et seulement si cette solidarité se développe, se blinde, s’optimise. Il raconte son passage à la Chambre de commerce de Stockholm, comment il a expliqué aux Suédois le combat du Québec, et leur réponse, rire jaune : « Nous, nous sommes les seuls au monde à défendre notre langue. Nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ». En revanche, cette urgence de solidarité(s) n’empêche pas tout un chacun de clamer haut et fort (en agissant en conséquence) que « la diversité et l’identité culturelles sont des thèmes politiques majeurs. Elles sont au cœur du politique ». Avec, en incontournables toiles de fond, toutes les craintes que suscite la mondialisation, « la plus angoissante d’entre toutes étant l’homogénéisation des cultures », rappelle le Premier ministre québécois. Qui, sans aucun complexe (et pourquoi en aurait-il d’ailleurs ?), martèle que « sans cette distinction de langue et de culture, il n’y a pas de francophonie », et que le Québec est « au monde, le lieu où la lutte pour la diversité culturelle s’est le mieux illustrée ». On ne risque pas ainsi, avec cette francophonie-bunker, de frôler l’autarcie, de se replier sur soi ? Bernard Landry sourit. Sûr de lui, de la légitimité de son combat, celui de la survie hier, de la vie aujourd’hui, de son Québec : « Défendre à ce point la diversité culturelle, comme au Québec, est tout sauf de l’autarcie, c’est une ouverture sur les autres ». Soit. La politisation de la francophonie est donc inévitable, confirme le Premier ministre québécois, mais les risques de sa marginalisation ne semblent pas l’inquiéter. « La francophonie commence déjà à être imitée, copiée. Notamment par les hispanophones. La doctrine de la diversité culturelle a été exportée à l’Onu, à l’Unesco », et partout dans les raouts internationaux. Et la volonté de Bernard Landry, certes un tantinet utopique, est belle, et sans doute nécessaire : « Faire un Kyoto pour la langue et la diversité culturelle ». Du nom de ce protocole censé protéger la planète du réchauffement et de l’effet de serre. La métaphore est de circonstance, et les bons signes, les signes tangibles sont là : parce que la francophonie a pris, selon lui, une avance doctrinale, beaucoup d’autres pays, soucieux du développement de leur langue et de leur culture, vont désormais profiter de la francophonie. « Le politique de la francophonie rejoint, là, le politique universel. Et l’entité francophone devient un groupe d’impulsion, aux Nations unies... » Impulsion mais pas pression. Bernard Landry n’aime pas les groupes de pressions, les lobbies. « Les lobbies défendent les intérêts particuliers, alors que nous, nous voulons défendre le bien commun. » Et ce qui est surprenant, c’est que ce côté hyper-Bon Samaritain – cette exception québécoise – dès qu’il s’agit de francophonie n’est même plus agaçant, tellement la conviction du Québec, et de Bernard Landry en l’occurence, est profonde et sincère. Même si clairement sous-tendue de calculs politiques. Et pour la défense de ce bien commun, pour faire contrepoids à la mondialisation, pour rééquilibrer le tout, il faut d’abord « des États-nations forts et structurés ». Ensuite viennent les alliances entre ces différents États-nations. Voilà l’un des buts de la francophonie, dixit Bernard Landry : désanarchiser, humaniser, civiliser et réguler la mondialisation. La question de la diversité culturelle, qui figurera en bonne place dans la Déclaration de Beyrouth, a suscité, on le sait, moult polémiques au cours des réunions de la CMF. La pensée québécoise était simple, claire et nette : « passer de l’exception culturelle, qui a fait son temps, à la diversité culturelle ». Tout comme la volonté de Québec : qu’il n’y ait aucune offre de libéralisation des biens et des services culturels au sein de l’OMC par un pays membre de l’OIF. Bernard Landry veut arriver à ce que soit mis en œuvre un traité international qui réglementerait les échanges culturels « en dehors de l’OMC ». Une sorte de GATT, mais pour la culture. « Et c’est l’intérêt des russophones, des germanophones, qui voient d’un très mauvais œil l’avancée galopante de l’anglais en Russie ou en Allemagne. » Et comme un leitmotiv, cette diversité culturelle « made in Québec » revient sur le tapis : « La différence culturelle est un atout fondamental de développement, et si on veut que cette diversité soit payante, elle se doit d’être ouverte », a encore une fois martelé Bernard Landry. Qui en a profité pour lancer, en réponse à la « francophonie assiégée du Québec (voir L’Orient-Le Jour du mardi 15 octobre dernier) » de Ghassan Salamé, une invitation officielle au ministre de la Culture chargé de la Francophonie, pour aller passer une semaine à Montréal. « Qui est tout sauf assiégée. » Dont acte. Autre point de litige : la Déclaration de Bamako. Le respect de la démocratie, des droits de l’homme, des libertés publiques et de la bonne gouvernance au sein des pays membres. Le Premier ministre québécois reconnaît que c’est une « kyrielle de vœux pieux qui finissent par créer de bonnes ou de mauvaises consciences ». Et lorsque l’on voit quelques pays signataires, dont le Liban, violer à plusieurs occasions leur engagement ? « Violer des accords auxquels on a souscrit peut avoir un effet immédiat ou à terme », indique Bernard Landry, qui, décidément idéaliste, croit encore en la noblesse du politique. « Il y a des accidents, des dysfonctionnements à Bamako, mais le bilan n’est pas totalement négatif. Voyez au Bénin par exemple. » Et pourquoi l’institution francophone n’aurait pas un pouvoir coercitif, à l’instar du Commonwealth par exemple ? « Il faut réagir au cas par cas, certains pays sont gérés d’une façon extrêmement complexe. Et puis on ne veut pas, en sanctionnant, que les populations écopent. Dans tous les cas, la position du Québec est claire : Nous voulons Bamako, tout Bamako. » Et la proposition Salamé-Wiltzer (créer un comité directoire, une sorte de mini-gouvernement de la francophonie), parce qu’on ne peut pas tout faire à 55 ? « On étudie cela avec sympathie? C’est utile pour réagir. » Donc pour politiser... « Lorsque c’est nécessaire, oui. » Comment le Québec, fort d’une conception et d’une praxis très singulière de la francophonie, jauge-t-il la façon dont les autres pays la gèrent – le Liban notamment ? « Ou bien on prêche, ou bien on leur dit regardez-nous, venez constater que la diversité culturelle est un enrichissement exceptionnel, s’il n’est ni chauvin ni fanatique. Quant au Liban... Aurions-nous pu concrétiser le centre de Byblos, le travail avec Arc-en-ciel, les bourses à soixante universitaires libanais, sans la francophonie ? » Et comment convaincre les six cents millions d’hommes et de femmes francophones de l’importance de celle-ci, ou déjà de son existence ? « Il faut que cette francophonie devienne utile, qu’elle soit visible... » La boucle est bouclée. Encore mieux ficelée, peaufinée, lorsque Bernard Landry rappelle à quel point il défend le principe même, et dans sa quintessence, de la souveraineté. Au-delà même de celle du Québec. Que dès qu’il peut le faire – et le Parti québécois, même si dans l’opposition, s’y emploie déjà à Ottawa –, il ne ménage aucun effort, aucun rappel, à l’adresse du gouvernement fédéral, de l’importance et de la nécessité de voir, partout, les peuples « souverains et libres ». Réitérant ses positions centrées sur « la liberté, la dignité, la paix ». Cela impliquerait-il que vous êtes contre la présence syrienne au Liban ? Bernard Landry sourit : « Tirez-en vous même les conclusions. » Voilà qui est fait. Ziyad MAKHOUL
Lorsqu’on commence par demander à Bernard Landry si, pour qu’elle retrouve cette indispensable seconde jeunesse qui l’empêcherait de péricliter, de se marginaliser, la francophonie devrait se politiser, le Premier ministre du Québec reconnaît que c’est « inévitable ». Que cette politisation est « au cœur » de la chose francophone. « Dans tous les cas, impossible de...