Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

tribune Le miracle de la langue française

Par Pascal Monin* « Ma patrie, c’est la langue française », disait Semprun. C’est donc en langue française que de nombreux écrivains, poètes, penseurs ou artistes ont pu concevoir leur rôle de créateur et de médiateur. C’est « le fruité » de cette langue qui la distingue des autres. « Un fruité profond et simple, un diamant brillant de toutes ses facettes... c’est le miracle de la langue française », selon Salah Stétié. Et c’est grâce à cette langue que nous avons vu naître, se développer et s’épanouir la communauté francophone, autour de valeurs universelles de fraternité, de solidarité, de partage, de pluralité, de démocratie et de paix. Le Liban représente ainsi à lui seul cette admirable synthèse culturelle, cette terre de brassage et d’interaction. Toute l’histoire de ce pays au confluent des civilisations est placée sous le signe du dialogue des cultures. Propagateur de l’alphabet phénicien et centre de l’édition du monde arabe, le pays du Cèdre a porté à l’Occident la sensibilité et la spiritualité orientales et a transmis à l’Orient arabe les hautes valeurs de la civilisation occidentale. Ce rôle de médiateur, le Liban l’assume toujours grâce à son pluriculturalisme, son ouverture aux autres civilisations, son multilinguisme, son économie libérale et sa liberté d’expression, malgré les tentatives d’y porter atteinte. Quel formidable exemple de tolérance et d’ouverture face aux idéologies qui s’estompent, aux intégrismes qui guettent et à la vision simpliste d’un monde unilatéral. La francophonie dans ce pays n’est pas née à la faveur d’une quelconque période coloniale ou du Mandat. Elle est le fruit d’une longue tradition d’échanges entre les deux bords de la Méditerranée. La langue française s’appuie sur un vaste réseau d’enseignement francophone dont l’implantation remonte loin dans l’histoire. Aujourd’hui, le français demeure la première langue étrangère en usage au Liban, malgré de nombreuses difficultés. Selon une récente enquête que j’ai menée avec l’institut Ipsos, 45 % de la population libanaise est francophone. Les anglophones représentent près de 30 % de la population. On assiste à un début de rééquilibrage entre les principales communautés libanaises en ce qui concerne l’apprentissage du français. Le Liban regroupe l’un des plus vastes réseaux d’institutions d’enseignement francophone au monde. Cependant, le gouvernement libanais devra de toute urgence mettre un terme à la prolifération quasi anarchique des institutions universitaires. Quant à la presse en langues étrangères, elle constitue une donnée permanente qui atteste de sa diversité culturelle. La presse francophone a su garder au Liban un grand nombre de lecteurs fidèles et son audience enregistre une progression constante : de 19,5 % en 1996 à 26,5 % en 2000. Mais le français est sérieusement affaibli au niveau de la télévision, radio et cinéma, médias de masse par excellence, et au niveau de la communication publicitaire. La langue française, selon mes recherches, n’est ainsi présente que dans 8 % du temps d’antenne. Pourtant, il semble qu’une grande partie des Libanais soit demandeur de programmes en langue française. Une étude récente que j’ai menée a montré que dans 75 % des cas, la chaîne Euronews est proposée par les centres de distributions collectifs en langue française. Ainsi, le véritable danger que rencontre le français au Liban, comme partout dans le monde, réside dans le peu de place qui lui est laissé dans le cadre de la globalisation des nouvelles technologies de la communication. Dans ces conditions, quelles pourraient être les perspectives possibles pour la francophonie libanaise ? En soutien à la francophonie classique, d’autres vecteurs se sont développés, d’autres chemins sont empruntés pour favoriser l’essor de la culture française au Liban. En voici quelques-uns : – La médecine, son enseignement et sa pratique par la mixité qui les nourrit, dans l’espace et le temps, fournit le terreau d’un échange pragmatique et productif. – La reconstruction des infrastructures, axes routiers, téléphones, distribution d’eau et d’électricité, la création de réseaux d’assainissement, l’amélioration des communications sont aussi des domaines où le génie français peut exercer son talent et par là démontrer la validité de la culture qui alimente sa technique. – Paris et Beyrouth apparaissent comme deux foyers d’une diaspora qui se matérialise principalement depuis un siècle, voire plus en Afrique francophone, et depuis peu, dans des pays anglo-saxons : États-Unis, Australie et Canada, et où la culture française des émigrés libanais leur confère un avantage professionnel et leur permet d’acquérir une position enviée d’intermédiaire et de médiateur enrichis par leur dextérité à agir dans un contexte de brassage culturel. À côté de ses capacités descriptives, la langue française est aussi une langue d’action, de construction et d’aspiration au progrès humain. C’est la langue de la création, de l’esprit, du dialogue, de la paix et de la tolérance. La culture francophone est un rempart contre les excès de la mondialisation, cette nouvelle forme d’hégémonie. Elle est la garantie de la rendre plus humaine et accessible. Chaque francophone libanais est, peu ou prou, la pointe d’un triangle dont les sommets de la base sont la France et le Liban, où qu’il soit. Cette appartenance culturelle, cette francophonie muette n’est pas rampante, elle est l’armature invisible la plus solide sur laquelle se déploient les autres aspects de la présence culturelle française. Je ne pense pas que la meilleure voie pour la francophonie libanaise soit de se contempler à l’ombre des critères français, voire parisiens, mais bien au contraire, ancrée dans sa robuste réalité et la nourrissant plus de ses actes que de sa nostalgie, de créer un nouveau foyer de diffusion en faisant proliférer la langue et la culture française au Moyen-Orient, voire au-delà. Pour N. Tuéni : « À l’égal de l’arabe, le français nous est langue “naturelle” ; l’adopter librement ne veut nullement dire rejeter notre identité libanaise, moyen-orientale et arabe, mais bien au contraire, la consacrer, la magnifier, la rendre plus agissante, en lui offrant vers d’autres mondes, vers tous ceux que lie l’amour des mêmes mots, le moyen de se faire connaître, de prendre et de donner, but profond de toute culture... ». Ainsi, au Liban, la langue française est acceptée et respectée car elle met en valeur la langue arabe dans une sorte d’équilibre et de coexistence qui prennent le pas sur le phénomène de concurrence. Cette imbrication de la francophonie et de l’arabophonie telle qu’elle est vécue au Liban, au niveau de la pratique linguistique et de la créativité culturelle, cette « arabofrancophonie », ce « miracle de la langue française », devraient conférer à ce pays un rôle de promoteur de cette synthèse culturelle. Le Liban pourrait alors redevenir le pivot de ce dialogue des cultures et essaimer à Damas, Amman, Le Caire ou ailleurs, et refaire de ce pays une terre de rayonnement francophone par excellence. * Professeur à l’Université Saint-Joseph, membre du Comité scientifique de l’Observatoire du français et des langues nationales dans le monde.
Par Pascal Monin* « Ma patrie, c’est la langue française », disait Semprun. C’est donc en langue française que de nombreux écrivains, poètes, penseurs ou artistes ont pu concevoir leur rôle de créateur et de médiateur. C’est « le fruité » de cette langue qui la distingue des autres. « Un fruité profond et simple, un diamant brillant de toutes ses facettes... c’est...