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Actualités - INTERVIEWS

Interview - L’ambassadeur du Japon évalue pour « L’Orient-Le Jour » la visite de Hariri au Japon Les difficultés financières de Tokyo se poseraient en obstacle devant l’aide souhaitée par Beyrouth(photo)

Le Liban s’efforce de réussir un véritable tour de force qui consiste à obtenir la tenue de Paris II dans les meilleures conditions possibles au milieu d’un climat international défavorable. Si, à Beyrouth, les officiels tiennent pour pratiquement acquise une réunion des bailleurs de fonds appelés à aider le Liban à alléger le poids de sa dette publique et assurent que « le climat autour de cette conférence est positif », dans certains milieux diplomatiques occidentaux sollicités pour participer à Paris II, on fait montre de scepticisme. Car des contraintes économiques inhérentes à chaque pays ou des considérations politiques internationales liées essentiellement aux rapports libano-américains se poseraient en autant d’obstacles devant la réussite d’un éventuel Paris II. Le Japon, où le chef du gouvernement, Rafic Hariri, doit effectuer incessamment une visite de travail, n’échappe pas à ce schéma à cause de la gravité de la crise financière et économique qui le secoue. Son ambassadeur à Beyrouth, Naoto Amaki, met l’accent sur l’ampleur de la tâche qui attend M. Hariri, tout en assurant le Liban du soutien sans faille de son pays. Le chef du gouvernement doit notamment tâcher de convaincre ses interlocuteurs nippons de l’opportunité d’une souscription aux eurobonds émis par le Liban, alors que le Japon croule sous le poids d’une dette de près de 70 milliards de dollars. « Le Japon soutient le Liban mais dans le même temps, nous avons besoin de davantage d’informations sur Paris II », déclare M. Amaki à L’Orient-Le Jour, affirmant qu’il a déjà envoyé à son gouvernement toutes les données relatives à cette conférence. « Certains points doivent encore être élucidés comme le timing de ces assises et son agenda », poursuit-il, en rappelant que depuis son arrivée à Bey-routh en février 2001 plusieurs dates ont été annoncées pour Paris II. « Mais il y avait d’importants préparatifs, comme les négociations avec le FMI, les efforts de compression budgétaire, la réforme financière et administrative, la privatisation. Nous avons besoin de savoir si une date définitive a été fixée pour cette réunion, que ce soit en novembre ou en décembre. Car nous n’avons pas suffisamment de temps pour nous préparer. » Mais même si une date est fixée pour Paris II, il n’est pas dit que Tokyo répondra aux vœux du Liban, en souscrivant à concurrence d’un milliard de dollars aux bons du Trésor en devises. Cette restriction trouve sa raison dans la crise financière qui secoue depuis des années le Japon dont l’économie est rongée par la déflation et minée par les mauvaises créances des banques tandis que la Bourse de Tokyo enregistre des baisses successives. « Mauvais timing pour la visite » M. Hariri se rend au Japon « à un mauvais moment, malheureusement », fait remarquer le diplomate, en soulignant l’importance des problèmes financiers de Tokyo qui se démène pour maintenir à flot son système bancaire et son économie en général. « C’est le volet le plus grave de notre crise et c’est malheureusement le pire moment pour M. Hariri de solliciter l’appui de notre gouvernement et de nos banques commerciales car notre économie souffre d’une énorme stagnation qui dure depuis douze ans et qui est due essentiellement aux créances douteuses accumulées. Jusqu’à 1989, notre Bourse était toujours en hausse et les Japonais pensaient que cette tendance allait se maintenir. Individus et sociétés avaient énormément emprunté pour investir, sans que les banques ne vérifient leur solvabilité. Lorsque les actions boursières ont chuté, tout ce qui était resté, c’était une dette énorme. Les compagnies qui n’avaient pas pu rembourser avaient fait faillite et les banques croulaient sous le poids d’une dette énorme. Elles espéraient cependant qu’une reprise de la Bourse allait arranger les choses, mais malheureusement les actions continuaient de chuter. Au cours des trois premières années, notre gouvernement espérait pouvoir sauver les banques provisoirement en leur injectant des fonds. Il a donné de l’argent aux banques pour qu’elles puissent tenir. » Selon le diplomate, la dette accumulée du Japon plafonne à quelque 70 milliards de dollars. Au cours des deux dernières années, les Japonais ont de nouveau perdu de l’argent lorsque les actions boursières ont perdu 80 % de leur valeur, explique M. Amaki, ce qui signifie que les Japonais, qui ont entre-temps investi, ont encore perdu 80 % de leurs avoirs. Il relève qu’il a déjà eu l’occasion de discuter avec le chef du gouvernement de la possibilité que les sociétés commerciales et financières nippones souscrivent aux bons du Trésor émis par le Liban, faisant valoir que ces dernières hésiteraient à prendre ce genre d’initiative à cause du facteur de risque. « Les Japonais ont des avoirs disponibles qui correspondent à quelque 200 000 dollars pour chacun. Curieusement, ils les déposent dans les banques japonaises qui ne donnent pas d’intérêts, sachant que s’ils souscrivent aux bons en devises, ils peuvent au moins avoir 6 % ou 7 % d’intérêt. Voilà pourquoi M. Hariri espère que les compagnies japonaises souscriront aux émissions obligataires du gouvernement. Mais voyez dans le même temps la situation en Argentine ou au Brésil. Si l’économie de certains pays qui émettent des bons du Trésor s’effondre, les gens ne pourront plus s’attendre à récupérer leur argent des banques. En d’autres termes, les banques ont des difficultés à vendre sur le marché les obligations de pays comme l’Argentine, le Brésil ou le Liban. Nous faisons confiance à l’économie américaine ou peut-être à l’économie suisse ou européenne. Les Japonais ont tendance à acheter les bons du Trésor américains même avec des intérêts de 3 % », explique M. Amaki, soulignant qu’à l’exception de quelques individus spéculateurs, les gens ont peur d’investir dans d’autres pays. Des garanties Selon lui, le succès de la mission Hariri au Japon dépend surtout des garanties qu’il proposera à ses interlocuteurs. Le chef du gouvernement compte aussi demander aux pays sollicités pour prendre part à Paris II de donner à leur tour une sorte de garantie pour que leurs banques souscrivent aux bons du Trésor libanais émis en devises, selon les explications du diplomate. M. Amaki souligne cependant que ce genre de décision n’est pas facile à prendre « non seulement pour le Japon, mais pour d’autres États aussi, en raison du rique qu’il y a à prendre ». « Dans le cas du Japon, ajoute-il, si notre gouvernement donne des garanties à nos banques commerciales pour qu’elles souscrivent aux eurobonds émis par le Liban, on peut se demander pourquoi il ne leur accorde pas des garanties afin qu’elles puissent elles-même émettre des bons en devises. Elles seront contentes de bénéficier d’une garantie du gouvernement pour contracter des prêts sur les marchés internationaux. » Depuis qu’il a été nommé au Liban en janvier 2001 et qu’il a suivi de près les efforts d’assainissement économique du Liban, M. Amaki, qui plaide en faveur d’un rapprochement libano-japonais et d’une consolidation des relations bilatérales « en raison, entre autres, du potentiel des peuples des deux pays », a toujours mis l’accent auprès des autorités de Tokyo sur le fait que le Liban est « un pays sûr où les gens sont parfaitement capables et dont l’économie est en voie de redressement ». « Mais malheureusement, les experts financiers ne retiennent pas facilement mes commentaires et mon jugement personnel car ils ont les leurs, fondés sur des critères plus scientifiques pour calculer les risques », ajoute-t-il. L’intérêt de la visite de M. Hariri à Tokyo, estime-t-il, réside surtout dans le fait qu’elle permettra au chef du gouvernement de donner à son homologue nippon, Junichiro Koizumi, des explications précises sur l’état de l’économie locale et de procéder avec lui à des échanges sur les moyens de réduire la dette publique et de relancer l’économie. « J’espère que notre Premier ministre aura une impression positive de ce que M. Hariri lui expliquera », poursuit le diplomate, rappelant que le règlement de la crise financière et économique nippone est la principale mission confiée au gouvernement de Koizumi, qui a accédé au pouvoir en avril 2001. M. Hariri doit aussi avoir un entretien avec le ministre des Finances, Masajuro Shiokawa. Aide nippone substantielle au Liban En dépit de ses problèmes financiers, le Japon a jusqu’aujourd’hui accordé une aide financière substantielle au Liban, que ce soit à travers son aide au développement dont bénéficie les ONG libanaises à travers le « Grass root program » ou à travers les accords de prêts conclus pour le financement de projets de développement. En 1996, Beyrouth et Tokyo ont signé un accord en vertu duquel la Banque japonaise pour la coopération internationale avait accordé au Liban un prêt bonifié de 120 millions de dollars, dont le remboursement est étalé sur 25 ans avec un taux d’intérêt de 2,5 % seulement, destiné au financement d’un projet de lutte contre la pollution du littoral et le développement du réseau des eaux usées. Une partie de ce prêt a été utilisée par le Liban qui obtiendra la deuxième partie l’année prochaine en principe. Depuis la fin de la guerre jusqu’aujourd’hui, l’aide nippone au Liban n’a pas cessé d’augmenter et elle s’est exprimée par de nombreux projets de coopération dans les domaines technique surtout, culturel et touristique aussi. M. Amaki, qui s’emploie à renforcer les relations bilatérales, relève que son pays ne vient pas en aide à un autre État pour des considérations politiques, mais parce qu’il est convaincu que la deuxième puissance économique mondiale qu’est le Japon doit soutenir les pays en voie de développement ainsi que les États qui s’efforcent le mieux, comme le Liban, d’améliorer leur situation économique, parce qu’il s’attend à une rentabilité économique bénéfique pour l’économie internationale. « Chaque pays a sa propre philosophie mais je pense, en tout état de cause, qu’il faut venir en aide au Liban, étant donné son importance aussi pour l’établissement d’une paix régionale. La stabilité économique du Liban est importante pour tous », renchérit-il. Même s’il ne peut pas souscrire aux bons du Trésor émis par le Liban, le Japon, deuxième bailleur de fonds du FMI après les États-Unis, ne peut-il pas assumer un rôle quelconque auprès de cette instance pour que le Liban puisse avoir accès à des prêts aux taux appliqués sur les marchés internationaux et qui varient entre 3 et 5 % ? Le Liban, rappelle-t-on, souhaite convertir des prêts commerciaux à taux élevés en d’autres moins chers en vue de réduire le service de ces obligations. En moyenne, il paie actuellement des intérêts de 12 % qui alourdissent le poids du service de la dette publique. Le diplomate répond en soulignant que l’économie de chaque pays est toujours évaluée « suivant une série de critères précis par des experts neutres du FMI ». « Nous respectons les décisions prises par les experts neutres du FMI. Le succès de Paris II ne dépend pas seulement d’une décision de cet organisme du moment que des pays comme les États-Unis, la France et le Japon sont également sollicités à titre individuel d’agir en association avec les institutions financières internationales », pour aider le Liban à régler le problème de sa dette publique. Beyrouth souhaite obtenir à travers Paris II cinq milliards de dollars, un milliard du Japon, deux de l’Union européenne et deux des pays du Golfe. M. Amaki met l’accent sur l’appui soutenu du président Chirac au Liban. « Au Japon, nous attachons une attention particulière au président américain d’abord, puis au président français. Durant le Sommet euro-asiatique de Copenhague, le mois dernier, le président Jacques Chirac avait expliqué à M. Koizumi qu’il comptait convoquer une conférence de soutien au Liban et que M. Hariri pourrait se rendre au Japon pour en discuter avec lui. » Le diplomate japonais a eu aussi l’occasion de discuter, à Bey-routh, avec l’ancien ambassadeur américain, David Satterfield, de la prise de position de Washington par rapport à Paris II. Selon M. Satterfield, il s’agit pour les États-Unis d’une question technique et non pas politique, se souvient M. Amaki. Le diplomate US lui avait dit que son pays « laissera le FMI évaluer l’économie libanaise et nous respecterons ses propositions ». Le facteur politique ne peut quand même pas être occulté surtout quand on sait l’influence des États-Unis sur la politique économique du FMI dont il est le principal actionnaire. C’est une mission titanesque qui attend donc le chef du gouvernement en prévision de Paris II. M. Hariri prendra cet après-midi l’avion pour Tokyo en compagnie du ministre des Finances, Fouad Siniora. Il fera une escale de quelques heures, jeudi matin, à Kuala Lumpur où il discutera également avec le président Mahatir Mohammed des préparatifs de Paris II, avant de reprendre l’avion pour Tokyo, où il arrivera jeudi à 17h. Tilda ABOU RIZK
Le Liban s’efforce de réussir un véritable tour de force qui consiste à obtenir la tenue de Paris II dans les meilleures conditions possibles au milieu d’un climat international défavorable. Si, à Beyrouth, les officiels tiennent pour pratiquement acquise une réunion des bailleurs de fonds appelés à aider le Liban à alléger le poids de sa dette publique et assurent que «...