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Actualités - REPORTAGE

Violon d’Ingres...Samir Tabet : « Je suis le plus inutile des chimistes !»(photo)

Ses éprouvettes de laboratoire se sont, comme par alchimie, transformées en verre, vase, masque, nature morte. Et des fonds blancs et froids de ses lieux de travail, Samir Tabet les a transposées, comme par enchantement, sur les fonds noirs de ses toiles consentantes. ’esprit demeure, ordre, classicisme, équilibre, une pointe d’humeur – humour, déséquilibre contrôlé, pour relever l’ensemble, rendre la vie et les toiles plus belles, plus drôles, et puis la blouse blanche, inséparable compagnon et témoin silencieux des angoisses et des exigences de notre artiste. La blouse a pris des couleurs, taches d’émotion multicolores, et Samir Tabet de l’expérience, mais ce n’est jamais assez… « Il faut une vie pour être peintre », affirme-t-il, la moustache approbatrice. Le docteur Tabet aurait bien voulu y consacrer sa vie entière, « la peinture se fréquente. Je n’ai que quarante ans d’expérience ! » Des années d’un amour inconditionnel, plaisirs qu’il a expérimentés dès l’âge de « huit, neuf ans, aussi jeune que possible. J’ai maintenu l’envie de peindre tout au long de ma carrière », dira-t-il encore. Sa carrière débute dans le brouillard anglais, « J’y ai passé six ans et obtenu licence, magistère, doctorat, le bazar classique. J’ai beaucoup appris de la grande Angleterre, la discipline, la rigueur, le courage. J’ai vécu sous les bombes là-bas, j’ai pu constater comment le peuple – admirable – se tenait. Je leur dois beaucoup, en portrait également. » Samir Tabet, devenu alors docteur Thabet, traîne une année dans les laboratoires Curie à Paris, « je voulais surtout retarder l’affrontement avec la vie ». Il retrouve le Liban en 1951 sur invitation de Kamal Joumblatt qui lui demande d’analyser un échantillon d’argile. Le séjour d’une semaine dure encore… Bien qu’il se trouve « le plus inutile des chimistes, je ne suis même pas fichu d ’enlever une tache d’encre », il entre dans l’enseignement un peu comme on entre en religion, fréquentant secrètement et timidement dame peinture, la Renaissance italienne surtout. « Je suis fou de cette période, il y avait alors une combinaison d’amour scientifique, de peinture, de géométrie, d’optique et d’architecture. Et puis cette humilité. » Professeur, chef de département, doyen, vice-président, président de l’Université américaine et, toujours, « au fond de moi, je voulais faire de la peinture ». En 1985, le 7 janvier très exactement, le Dr Thabet présente sa démission et démarre une nouvelle vie. « J’ai tourné la page, aspiré le h de mon nom et me suis fait pousser la moustache ! Surtout, je me suis mis à peindre des heures, tous les jours », dans son atelier du bonheur. « Doctor Tabet et mister Samir » Le chimiste sage, sa phrase à peine achevée, se transforme en artiste fou dès que l’on approche son atelier. Sur la porte, en grand et en couleur, « Danger, risque d’engueulade ! » Il nous aura prévenus. Attention, car en ces lieux sacrés, Samir Tabet vit à la fois ses moments de bonheur intense et ses plus grandes angoisses. « Voyez le bâton ! », renchérit-il. On voit le bâton, en effet, mais aussi la mise en place, trois jours déjà que le cadre, le masque et la boule sont posés là, sur le drap noir, en attente de l’approbation de mister Samir. « Pour moi, la souffrance, c’est la préparation du motif. » Il y a également le pain, abandonné près de la composition qui s’impatiente, « j’ai oublié de nourrir les oiseaux hier », les portraits inachevés d’êtres imaginés ou d’êtres chers, le père, Khalil Tabet Bacha, « un grand bonhomme, fils de paysan illettré devenu grand patron de la presse et sénateur en Égypte», les amis, les petits-enfants et les prophètes, « mes prophètes », esquisses en cours pour une église. « Les portraits m’ont toujours fasciné, saisir l’expression, l’éclat dans l’œil. Il faut être vrai. Il y a des gens qui s’offrent, ils sont rares ; mais quand je réussis un portrait, c’est bon, mon Dieu que c’est bon ! » Faute de nombreux modèles consentants, Samir Tabet se rabat sur les natures mortes. Mise en place, interrogation, et le combat commence. « Je suis carré, je n’arrondis pas les angles. Détruire, c’est ma vengeance. J’en ai assassiné des toiles, c’est mieux qu’un ulcère ! » Mais il ne peut s’empêcher d’ajouter: « En peignant, c’est l’exaltation, la délectation. On a envie de se mettre à genoux… J’espère surtout faire passer ce plaisir à ceux qui regardent. » Et le plaisir passe, lors des nombreuses expositions que Samir Tabet fait presque malgré lui, les mondanités, ce n’est pas vraiment son fort, au profit de bourses scolaires et autres associations caritatives, il passe enfin lorsque le guide qu’il devient s’amuse, critique, à faire avec vous le tour du propriétaire et de ses toiles accrochées dans une petite pièce de la maison, à l’abri des regards indiscrets et du sien, d’abord. « Mon œil a changé, je ne peux plus voir certaines anciennes toiles. L’œil s’éduque. » Plaisir de voir mais aussi de partager ce moment privilégié avec un interlocuteur bavard et exigeant, comme sorti du passé, de la Renaissance sans doute, période dans laquelle il ne cesse d’errer pour oublier la laideur des villes qui l’agresse encore, avant de rejoindre sa toile, fidèle et heureux. Un dernier souhait, monsieur Tabet ? Il répond : « Avant mes 80 ans, mon Dieu, un peu de talent ! » Ce jour-là, toutes ses toiles seront invitées à applaudir son talent et confirmer à leur manière que Dieu est très attentif et que, surtout, il partage son sens de l’humour ! Carla HENOUD
Ses éprouvettes de laboratoire se sont, comme par alchimie, transformées en verre, vase, masque, nature morte. Et des fonds blancs et froids de ses lieux de travail, Samir Tabet les a transposées, comme par enchantement, sur les fonds noirs de ses toiles consentantes. ’esprit demeure, ordre, classicisme, équilibre, une pointe d’humeur – humour, déséquilibre contrôlé,...