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Actualités - CHRONOLOGIE

L’indépendance des médias, une condition sine qua non pour la survie de ce secteur L’affaire de la MTV relance le débat sur les prérogatives du CNA

La décision-choc de fermeture de la MTV, qui vient couronner une série de tentatives visant à assujettir les chaînes « récalcitrantes », suscite de multiples interrogations sur la nature même de la relation qu’entretiennent les médias avec le pouvoir politique dans son ensemble. Elle ouvre également le débat sur la répartition des tâches entre le ministère de l’Information et le Conseil national de l’audiovisuel (CNA), un organisme que d’aucuns considèrent comme inutile. Car au-delà du problème des libertés que soulève cette suspension dont les motivations politiques et le caractère vindicatif ne sont plus à démontrer, les responsables des médias et les experts s’accordent à dire que le problème relève d’abord de la désorganisation d’un secteur que l’on n’a toujours pas réussi à structurer. Ils dénoncent également l’inféodation du secteur audiovisuel aux hommes politiques, qui sont à l’origine de la plupart des chaînes de télévision. L’absence d’un plan directeur pour la distribution des fréquences promis depuis près de six ans et qui n’a toujours pas vu le jour, l’incohérence des lois qui régissent ces médias et la confusion qui existe au niveau de la prise de décision, remettent en question la volonté du pouvoir de mettre de l’ordre dans un secteur aussi sensible. « Ce dossier n’a jamais été traité avec sérieux, ce qui prouve qu’il existe une volonté du pouvoir de perpétuer sa mainmise sur un secteur politisé à outrance », affirme le directeur de Radio Liban libre, Chawki Abou Sleiman. Preuve en est, dit-il, la manière dont ont été « distribuées » les autorisations aux différentes chaînes de TV et aux stations de radio, « sous forme de bonus politique, comme si on ne savait pas déjà à l’époque que le marché ne supportait pas autant de médias en compétition ». Une source proche du CNA affirme pour sa part que le contentieux qui oppose, depuis un certain temps, les médias au pouvoir ne fait que refléter les rapports « contre nature » qu’entretiennent ces médias avec les principaux pôles du pouvoir politique. Ainsi, dit notre interlocuteur, toutes les fois qu’un conflit oppose les présidents entre eux, le règlement de comptes se répercute sur les médias, comme on a pu le voir à travers les procès intentés à la LBC et à la MTV. Cette crise a illustré une fois de plus l’opposition Lahoud-Hariri, chacun s’en prenant au média qui lui était, médiatiquement parlant, « hostile ». « Le problème, c’est que nos ministres siègent au conseil d’administration des institutions médiatiques, en l’occurrence les télévisions. Même si l’affaire de la MTV soulève un problème de violation grave des libertés, cela ne disculpe pas pour autant les responsables de cette chaîne qui, à l’instar des autres médias audiovisuels, s’abrite derrière un bloc politique donné », poursuit-il en rappelant que la MTV avait reçu des mises en garde pour l’affaire des clips électoraux diffusés lors de l’élection partielle du Metn, un avertissement qu’elle a littéralement ignoré. Selon lui, toute cette magouille aurait pu être évitée si le directeur de la chaîne avait pris en compte les directives du CNA. Même chose en ce qui concerne la LBC, qui avait également reçu une note dénonçant l’affaire de la retransmission par cette chaîne de la conférence de presse donnée par David Lévy, en Jordanie, poursuit cette source. La LBC, tout en reconnaissant la faute commise par son journaliste, « s’est appuyée sur ses parrains politiques pour s’en sortir indemne ». D’ailleurs, dit-il « il faut reconnaître que cette protection politique » s’étend à tous les médias sans distinction, notamment à la Future et la NBN, deux chaînes « intouchables » puisqu’elles bénéficient, chacune de son côté, de l’appui inconditionnel des deux présidents, entendre le Premier ministre, Rafic Hariri, et le chef du Législatif, Nabih Berry. « Si la bataille des libertés menée actuellement en faveur de la MTV est justifiée à plus d’un égard, il n’en reste pas moins que ce sont les responsables des chaînes elles-mêmes qui sont à blâmer. Si on avait une information libre au vrai sens du mot, le pouvoir n’aurait jamais pu s’ingérer de cette manière dans ce secteur », dit-il. Et d’ajouter : « Comment pouvons-nous parler de liberté d’information lorsque les bulletins télévisés débutent par des éditoriaux chargés de messages politiques destinés à soulever l’opinion contre tel ou tel responsable et à promouvoir les orientations partisanes de l’une et l’autre chaîne ? On est loin de l’information objective et responsable. » Tout en dénonçant « la violation » commise par la MTV lors des élections, une violation dictée par « des intérêts politiques et partisans », cette source reconnaît toutefois que cette pratique n’est pas l’apanage exclusif de la chaîne en question, mais que pour des raisons politiques évidentes, elle est la seule, du moins pour le moment, à avoir été sanctionnée. Le président du CNA, Abdel Hadi Mahfouz, estime, lui, que la solution passe notamment par l’élargissement des prérogatives de ce conseil, « seul organe neutre à pouvoir trancher entre l’exécutif et les médias «. Trois projets de loi ont été présentés à cet effet, le premier par le CNA, le second par les responsables des médias et le troisième enfin par le député Nasser Kandil. Des propositions qui doivent être soumises prochainement au Conseil des ministres. Détenant un rôle purement consultatif, le CNA ne saurait remplir sa mission tant qu’il ne détient pas un pouvoir exécutif, affirme M. Mahfouz. « Ce qui protège contre l’arbitraire, c’est l’existence d’une instance indépendante et intermédiaire qui prenne en compte l’intérêt des deux parties, à savoir les médias d’un côté et le pouvoir de l’autre, sans pour autant entrer dans les considérations politiciennes », dit-il. D’ailleurs, dans les deux affaires de la MTV et de la LBC, le rôle du conseil – qui aurait pu éviter toute cette crise politique en émettant un avis consultatif sans nécessairement passer par la justice – a complètement été escamoté. De l’avis de M. Abou Sleiman, l’élargissement des prérogatives du CNA n’aboutira jamais, même s’il reçoit l’aval de l’ensemble des responsables des médias de l’audiovisuel. « Pour la simple raison que cela n’arrange personne, et certainement pas le pouvoir. Certaines personnes ont même été jusqu’à demander la suppression de ce conseil, prétextant qu’il ne sert pas à grand-chose ». Un observateur fait remarquer de son côté que la crise soulevée à la suite de la fermeture de la MTV a discrédité aussi bien le ministre de l’Information que le Conseil national de l’audiovisuel. « Finalement, nous sommes tous perdants dans ce jeu et, en particulier, la liberté d’expression », fait-il remarquer. Partout dans le monde, les conseils de l’audiovisuel constituent le seul organe habilité à trancher les questions relatives à ce secteur, dit-il. « Pourquoi pas au Liban ? » Il rappelle toutefois que dans les pays où le conseil de l’audiovisuel détient un pouvoir exécutif, il n’existe plus de ministère d’Information qui est d’ailleurs contradictoire avec le principe des libertés, un ministre de l’Information étant par définition un politique. C’est ce qui pourrait advenir à long terme au Liban, affirme M. Mahfouz, qui considère que le changement des prérogatives du CNA est un prélude à l’annulation du ministère. Un CNA aux prérogatives renforcées pourra-t-il mettre un terme à l’arbitraire ? Non, rétorque la source citée qui considère que ce conseil est lui-même le fruit du système politique, ses membres étant désignés par le Conseil des ministres et par le Parlement. Par conséquent, dit-il, il ne fait que refléter la composition confessionnelle requise. Abdel Hadi Mahfouz n’est pas cet avis. Selon lui, bien que nommés par les deux pouvoirs exécutif et législatif, les membres du conseil sont élus et choisis parmi les experts. La courte histoire de ce conseil a prouvé à plusieurs reprises qu’il est effectivement capable de faire preuve de neutralité face aux tiraillements politiques. La balle est maintenant dans le camp de l’Exécutif, qui doit prochainement trancher sur l’avenir de cet organisme dont le mandat a expiré depuis plusieurs mois. Reste à savoir si, à la lumière de l’affaire de la MTV, les médias audiovisuels, qui reflètent à leur tour la mosaïque politique du pays et, par conséquent, un pluralisme certain, réussiront à se départir de leurs parrains politiques, ou du moins à en limiter les dégâts. Jeanine JALKH
La décision-choc de fermeture de la MTV, qui vient couronner une série de tentatives visant à assujettir les chaînes « récalcitrantes », suscite de multiples interrogations sur la nature même de la relation qu’entretiennent les médias avec le pouvoir politique dans son ensemble. Elle ouvre également le débat sur la répartition des tâches entre le ministère de...