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Actualités - CHRONOLOGIE

LIBERTÉS - Les prosyriens sèment la zizanie et la solidarité vole en éclats Le Congrès national pour la défense des libertés tourne court(photos)

C’est une bien triste image qu’offrait hier le siège de l’Ordre de la presse, pendant ce qui était supposé être un congrès pour la défense des libertés. Des journalistes et des politiciens s’insultant allègrement, et parfois en venant aux mains, des claquements de portes, des déclarations tonitruantes et, des deux côtés, une excitation extrême, comme si la haine féroce des deux frères Murr avait déteint sur tous les présents. Face à cet étalage de passions, les tentatives des présidents de l’Ordre de la presse et du syndicat des rédacteurs pour calmer le jeu semblaient terriblement dépassées et le communiqué final résume bien cette impuissance. Mais comment garder dans un cadre professionnel une affaire hautement politique et qui, selon des sources loyalistes elles-mêmes, mettrait en cause les fondements du régime ? L’affaire de la MTV ne serait donc pas une simple affaire de liberté de presse ? Il n’y a plus que MM. Mohammed Baalbacki et Melhem Karam pour affirmer le contraire, tant, avec chaque jour qui passe, sa dimension politique devient de plus en plus évidente. Un face-à-face présageant du pire Au lendemain de la décision du tribunal des imprimés de fermer la chaîne MTV, les ténors de l’opposition, regroupés à Kornet Chehwane, avaient tenu une première réunion, tout en se promettant de se revoir lundi pour prendre les décisions qui s’imposent. Mais ne voulant pas être en reste, et surtout ne voulant pas laisser Kornet Chehwane seule sur la scène des libertés, les membres de la Rencontre consultative ont voulu eux aussi participer à la réunion de lundi. Leurs alliés prosyriens ont choisi aussi d’être là et cela a donné le cocktail explosif d’hier, une image réduite et, hélas, peu flatteuse, de la rue libanaise. Les événements du week-end avaient donné une idée de ce qui pourrait se passer au fameux congrès pour la défense des libertés. Mais certains irréductibles rêveurs continuaient à espérer que la solidarité, la sagesse et la conscience nationale l’emporteraient. Ils ont vite déchanté en voyant les personnalités défiler au siège de l’Ordre, avant même le rendez-vous fixé à 11h. Douze ministres, une dizaine de députés, pour la plupart des membres de la Rencontre consultative et des représentants des partis dits nationaux, les « modérés », comme ils veulent s’appeler désormais, sont donc venus en force. En face d’eux, le député Gabriel Murr, les avocats et les journalistes membres de Kornet Chehwane et une importante représentation de l’Ordre des avocats avec, outre le bâtonnier actuel, Raymond Chédid, ses prédécesseurs Chakib Cortbawi, Michel Lyan et Antoine Klimos, et des représentants des autres ordres professionnels, qui croyaient encore qu’il s’agissait d’une réunion syndicale. Les employés de la MTV sont aussi venus en grand nombre, encore sous le choc de ce qui leur est arrivé samedi soir et le cœur plein de révolte. Toute cette affluence ne laissait rien présager de bon et de fait, ce qui devait être une réunion pour la défense des libertés est devenu un véritable cirque. Gabriel Murr et ses alliés veulent éviter l’adoption d’un communiqué « mou », qui banaliserait la fermeture de la MTV, et les autres veulent, au contraire, empêcher l’adoption de mesures extrêmes qui soulèveraient la rue contre les autorités, préférant se contenter de déclarations de principe en faveur des libertés. Avant même d’entrer dans la salle de conférences, la tension est donc extrême et les positions opposées. À l’intérieur de la salle, l’atmosphère est étouffante, pas un petit mètre de libre, rien qu’une foule gonflée à bloc et prête à tout. Les représentants des divers ordres professionnels prennent la parole en premier, mais ce sont les propos du pourtant très poli bâtonnier de l’Ordre des avocats qui mettent le feu aux poudres. À peine Raymond Chédid évoque-t-il la loi électorale de 1992, dans laquelle figurait déjà l’article 68 et qui avait donné lieu, selon lui, à des élections falsifiées, qu’un rugissement surgit du fond de la salle. Comme des vautours, les députés Nasser Kandil et Assem Kanso fondent sur le bâtonnier, protégé heureusement par la tribune derrière laquelle siégent, comme des témoins malgré eux, Melhem Karam, Mohammed Baalbacki, Gebrane Tuéni, pour ne citer que ceux-là. Aussitôt, la cacophonie est indescriptible. Duel de falsifications Kandil s’insurge vertement contre l’expression «élections falsifiées » et le bâtonnier lui rappelle qu’ayant falsifié ses diplômes, il est effectivement expert en la matière. Assem Kanso proteste vigoureusement et Nasser Kandil hurle des insultes, ce qui lui vaut un lapidaire « Taisez-vous » de la part de l’ancien bâtonnier Klimos. Qui insulte qui ? On ne sait plus. Tout le monde crie à tue-tête. Comme le dira plus tard Gébrane Tuéni : « Pour un lieu censé être un forum de dialogue, le spectacle est affligeant. » Kandil et les bâtonniers sont sur le point d’en venir aux mains et Mohammed Baalbacki cherche désespérément à reprendre la situation en main. Mais ses appels au calme ne sont pas entendus. Et alors que politiciens et avocats échangent des propos vifs, les employés de la MTV hurlent des slogans en faveur de la liberté. C’est alors que Michel Murr junior (fils de Gabriel) voit arriver son oncle, le député Michel Murr. Il essaie d’en informer son père et la nouvelle se propage comme un feu de paille. Le député glisse un œil dans la salle puis se réfugie dans un salon avoisinant. Mais de le savoir sur place attise encore la révolte des employés de la MTV qui hurlent de plus belle leur colère. Des empoignades ont lieu, avec notamment le ministre Nazih Beydoun. Et le député Nader Succar se dispute avec le représentant des FL Jean Aziz. Chacun règle ses propres comptes et les frustrations accumulées sortent au grand jour. La situation risque de déborder et les responsables des lieux demandent un renfort de sécurité. Le ministre Sleimane Frangié parvient enfin à prendre le micro et invite au calme, en rappelant que la liberté suppose que l’on s’exprime et qu’on laisse l’autre le faire. Il ajoute qu’il a lui-même intenté un procès à la LBCI et il l’a perdu. Mais il ne s’en est pas pour autant pris à la justice. Son intervention a le mérite de calmer un peu les esprits. Les conflits gagnent les membres des syndicats La tendance du camp opposé à Kornet Chehwane est donc de laisser la justice suivre son cours et d’empêcher la politisation de l’affaire. Mais le député Gabriel Murr ne peut pas se contenter de si peu. Il a besoin d’une solidarité massive et éclatante pour accélérer le processus et obtenir, comme il le dit lui-même, au moins la suspension de l’exécution du jugement, en attendant la décision finale du tribunal. La salle de conférences se vide et députés, ministres et membres des ordres professionnels se dirigent vers le bureau de Baalbacki pour une réunion informelle. L’occasion pour le bâtonnier Chédid, le député Kandil et le président du PSNS, Gébrane Arayji, d’établir un dialogue posé, parrainé par l’ancien ministre Assaad Hardane et, bien sûr, le ministre de l’Information, Ghazi Aridi. L’échange est franc, toutes les parties étant visiblement horrifiées par ce qui vient de se passer et étant soucieuses de faire rentrer les choses dans l’ordre. D’autant que le congrès a été paralysé et qu’il n’y a plus eu de communiqué final. Les membres de l’Ordre de la presse et du syndicat des rédacteurs décident alors de tenir une réunion pour étudier les mesures à prendre, et Gabriel Murr souhaite y assister. Mais Baalbacki et Karam lui demandent de sortir, lui-même n’étant pas membre des syndicats. Il s’y résout à contrecœur, tout en essayant de pousser les présents à prendre des mesures draconiennes, vu la gravité de la situation. Il raconte ainsi que la magistrate Ghada Aoun (membre du tribunal des imprimés) est partie en voyage et que si on laisse la justice suivre son cours, cela risque de prendre du temps (l’information s’avèrera fausse par ailleurs, mais à ce moment-là, on ne le sait pas encore). Murr sorti, le PDG du quotidien ad-Diyar, Charles Ayoub, prend la parole et réclame une grève générale des médias. Il s’oppose violemment aux autres membres des syndicats et sort en claquant la porte, les accusant d’être « de connivence avec les autorités ». Une fois de plus, la tension est extrême et la situation risque de déraper, alors que Gébrane Tuéni tente de rapprocher les points de vue. Diverses propositions circulent : un jour de grève, boycott des informations officielles, etc. Finalement, c’est le principe d’un placard unifié qui est adopté. Il ne s’agit, en fait, que d’un répit, en attendant de voir l’évolution de la situation sur le terrain. Officiellement, tout le monde est avec la liberté de la presse, mais chacun la comprend à sa manière. Au cœur du problème, le Syria Accountability Act Pour les prosyriens, Gabriel Murr et la MTV ont dépassé les lignes rouges actuelles, en choisissant notamment de couvrir en direct la visite du général Aoun aux États-Unis et les débats du congrès américain au sujet du Syria Accountability Act. Selon eux, si l’opposition interne est tolérée, utiliser un média qui diffuse de surcroît sur satellite pour toucher aux intérêts de la Syrie est inadmissible. D’où le timing de la décision qu’il était urgent de prendre avant le 12 septembre. Les prosyriens ajoutent aussi qu’une conversation entre le général Michel Aoun et le brigadier Nadim Lteif aurait été interceptée, et le général aurait demandé que les jeunes continuent à descendre dans la rue, même si le sang doit couler, car des incidents au Liban renforceraient sa position aux États-Unis. Les proches de Kornet Chehwane pensent au contraire que ces théories sont absurdes et ne visent qu’à entraîner les Syriens dans une affaire interne, voire familiale. Manipulation interne ou affaire aux dimensions régionales et peut-être même internationales ? Dans la fièvre qui semble actuellement embraser le pays, il est sans doute trop tôt pour trouver des réponses. Mais déjà, beaucoup de voix ont mis une sourdine à leurs protestations et, sur le terrain, les manifestants se font de plus en plus rares, alors que les forces de l’ordre n’en finissent plus de se déployer. L’affrontement n’aura-t-il pas lieu faute de combattants ? Et la MTV devra-t-elle changer de mains pour pouvoir de nouveau fonctionner, comme le laissent entendre certaines rumeurs ? Hier, en tout cas, la solidarité a pris un sérieux coup et si les membres des professions libérales se sont comportés comme les gens de la rue, la rue pourrait bien se transformer en un champ de bataille. Scarlett HADDAD
C’est une bien triste image qu’offrait hier le siège de l’Ordre de la presse, pendant ce qui était supposé être un congrès pour la défense des libertés. Des journalistes et des politiciens s’insultant allègrement, et parfois en venant aux mains, des claquements de portes, des déclarations tonitruantes et, des deux côtés, une excitation extrême, comme si la haine...