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Actualités - OPINION

Basses fréquences

De deux choses l’une : ou bien la fermeture de la chaîne de télévision MTV n’est qu’un épisode particulièrement dramatique de la « guerre des deux Murr », Michel et Gabriel, qui avait fait rage lors de l’élection partielle du Metn de juin dernier. Ou bien alors elle s’inscrit dans le cadre d’une machination plus vaste visant une fois de plus la mise au pas des médias, dans la perspective de graves développements régionaux et locaux. Dans les deux cas, l’État ne sort guère grandi de cette stupéfiante affaire. Première hypothèse, c’est bien d’une âpre et haineuse querelle de famille qu’il s’agit dans le fond : ladite famille offrant la particularité de s’étendre, mais pas toujours dans l’harmonie la plus totale, jusqu’à la personne du chef de l’État. Il y a deux ans environ, le président mettait au chômage M. Michel Murr, que l’on croyait (et qui se croyait) inamovible, au profit du fils de ce dernier qui se trouvait opportunément être son propre gendre, l’actuel ministre de l’Intérieur Élias Murr. À peine remis du choc, à peine reconstituée l’entente familiale, le mauvais génie du régime subissait un traumatisme au moins aussi terrible avec la défaite électorale de sa fille, face à son frère ennemi Gabriel. Trop, c’est trop ; et Michel Murr, qui du fait de ses amitiés syriennes n’a apparemment rien perdu de son influence, se jurait dès lors de faire invalider le scrutin du Metn, non sans avoir auparavant dépouillé son frère de cette formidable machine politique qu’est la MTV. Que par la grâce d’une loi absolument invraisemblable, et d’une bien tâtillonne interprétation de celle-ci, le tribunal de presse ait fini, trois bons mois après l’élection du Metn, par accéder à l’une de ces deux exigences, est en soi navrant. Doublement scélérate est cette loi en effet, qui habilite les juges à trancher – et de la plus radicale des manières ! – sans se soucier d’entendre les arguments de la défense, et qui de surcroît est invoquée à discrétion : comment les moralisateurs ont-ils pu faire l’impasse, par exemple, sur les déshonorantes, les ordurières campagnes de diffamation menées lors des législatives de l’an 2000 contre M. Rafic Hariri par la très officielle Télé-Liban ? C’est dire qu’à plus d’un titre, les remous de cette lamentable affaire ne manquent pas d’atteindre les plus hauts niveaux de l’État. Qu’en serait-il alors si d’aventure l’affaire Murr Bros n’était que la partie visible de l’iceberg, si les forces occultes projetaient d’autres fermetures, d’autres naufrages provoqués de navires médiatiques ? À moins de deux mois du sommet francophone de Beyrouth, pourquoi s’ingénie-t-on de la sorte à ravaler l’État-hôte au rang des républiques bananières, précisément mises en examen ou en quarantaine par les grandes démocraties de la francophonie ? Au nom de quelle solidarité politique ou morale les secouristes financiers de Paris II s’activeraient-ils en faveur d’un pays où l’on bâillonne les gens après les avoir obligés à se serrer la ceinture ? À l’heure où l’Amérique se pose – abusivement, il est vrai – en champion des libertés et en pourfendeur de la barbarie, pourquoi affubler le Liban de tels oripeaux obscurantistes, en tout point étrangers à ses traditions ? À l’heure enfin où le président Lahoud, après de laborieuses tractations avec le Rassemblement de Kornet Chehwane, se montrait disposé à assumer le rôle qui est absolument le sien, en parrainant un authentique dialogue national, pourquoi cette crise qui vient tout remettre en question ? À toutes ces questions, et c’est là le plus atterrant, il ne se trouve personne parmi les hauts responsables pour apporter des réponses quelque peu convaincantes. Car il y a ceux qui s’emmurent – dans le silence – à Baabda, et il y a ceux qui murmurent à Koraytem et encore, par séides interposés : il y va en effet de la sacro-sainte cohabitation, qui condamne le Liban à balancer continuellement entre crises aiguës et peu dignes compromissions. Il est quand même incroyable que le Conseil des ministres de jeudi, boycotté pour la circonstance par quatre membres du gouvernement, n’ait même pas évoqué l’affaire de la MTV. De démissions point, cependant : quinze funestes années de guerre puis une douzaine d’autres d’une bien décevante après-guerre ont sapé toute culture politique dans notre pays. Qu’un ministre puisse faire de l’opposition active tout en restant vissé à son strapontin est entré dans les mœurs : ce serait bien bête, n’est-ce pas, de laisser la place à la foule de remplaçants potentiels. Avec la patine des ans, de tous ces ans perdus, cette aberration fondamentale s’est, en quelque sorte, parée de normalité. Et puis n’est-il pas vain d’attendre de toutes ces Excellences entrées en politique par la petite porte d’emprunter la grande pour la sortie ? Issa GORAIEB
De deux choses l’une : ou bien la fermeture de la chaîne de télévision MTV n’est qu’un épisode particulièrement dramatique de la « guerre des deux Murr », Michel et Gabriel, qui avait fait rage lors de l’élection partielle du Metn de juin dernier. Ou bien alors elle s’inscrit dans le cadre d’une machination plus vaste visant une fois de plus la mise au pas des...