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Actualités - OPINION

Tribune Les obstacles psychologiques à l’État de droit

Rien n’empêche, en droit et en vertu des assises constitutionnelles, juridiques et administratives de notre pays, que cette « Deuxième République » devienne le fameux « État de droit et des institutions », appelé de tous les vœux des rejetons de Taëf, et plus particulièrement du chef de l’État qui en fait une rengaine, si ce n’est la pratique du pouvoir par ses tenants. Les faits sont là, criards, déjouant tous les souhaits et toutes les promesses. Le ver est dans le fruit ; l’État est miné par des obstacles internes, essentiellement d’ordre politico-psychologique, à savoir la représentation du pouvoir par les responsables, la perception de soi du parlementaire, la structure confessionnelle de la nation, la conscience civique du citoyen dans ses rapports aux autorités publiques et l’endémie de la corruption dans la gestion d’un État, bientôt sexagénaire, notamment celle de l’administration, comme celle du corps judiciaire. Aussitôt intronisés, les responsables de l’exécutif deviennent victimes de l’inconscient du politique (Pierre Kaufmann, 1979) qui détermine leur action en fonction de la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes et de la représentativité de leur communauté confessionnelle d’appartenance. Ils se veulent d’emblée omnipotents, alors qu’ils se savent fragiles, leur autorité émanant d’un diktat exogène, arrogant et humiliant. Leur pouvoir ne se situe jamais dans une perspective nationale d’envergure, mais dans le registre étroit de services à rendre à leur communauté, malgré toutes les déclarations contraires qu’ils profèrent « urbi et orbi », sans trop y croire, du reste. Il faut aussi y ajouter, parce que c’est une évidence qui n’échappe à personne, que chacun s’adonne à la défense de ses intérêts personnels les plus sordides. Cette situation est dangereusement aggravée par les parlementaires eux-mêmes, du moins la majorité de ceux issus de la loi électorale inique qui a prévalu en l’an 2000 et dont on connaît la paternité. En l’absence de partis politiques véritables aux programmes définis, le parlementaire est assujetti à ses électeurs à qui il veut rendre service, de même qu’il est privé de toute liberté de pensée par rapport à un Exécutif à qui il doit sa honteuse « élection-nomination ». Est-il normal que, dans une Assemblée de 128 députés, il n’y ait pas plus de 8 élus capables de tenir un discours libre et indépendant et de soutenir un point de vue critique en refusant de voter, contrairement aux autres suiveurs aveugles, un projet qu’ils ont largement mis en question ? Beaucoup de nos parlementaires ne sont que des démarcheurs d’emplois et de fonctions ; ils sont aux antipodes de ce que l’on peut attendre d’un législateur éclairé, contrôleur de l’action du gouvernement. Ne devons-nous pas à l’actuel numéro 2 de la République l’enflure ruineuse de la MEA en employés et l’état de délabrement de cette institution, qui fut pendant des décennies un sujet d’orgueil et de fierté pour notre pays ? La déficience de la vie parlementaire vide de son sens la démocratie et réduit la Chambre, d’une manière perverse, à une instance soumise, comme jadis les Assemblées dans les Démocraties populaires ou les Parlements de pays voisins qui approuvent toujours tout à l’unanimité. Comment expliquer cette veulerie des élus sinon par la peur de ceux qui les créent, qui les placent et qui ne sont pas leurs électeurs ? Le lien entre le citoyen et ses députés doit être également considéré comme un obstacle de taille pour l’instauration des notions de droit et d’obligation. Le citoyen, dans la grande majorité des cas, reste rivé à la mentalité de l’appartenance affectivo-féodale, très loin de la conscience civique qui instaure l’esprit démocratique dans une société civile responsable. L’exemple le plus notoire est celui du leader druze Walid Joumblatt qui bénéficie d’une allégeance quasi sacrale d’une partie de sa communauté qui le suit sans aucune distance critique dans ses options aléatoires et versatiles, alors qu’il est censé, en tant que chef d’un parti socialiste appartenant à des instances internationales reconnues, conduire ses électeurs et ses partisans à plus de conscience démocratique. En fait, ce que le citoyen demande à ses élus les maintient dans la boucle infernale du service étroit et personnalisé, plutôt que dans l’esprit d’une construction nationale élargie. Si cet ensemble d’états de fait est possible c’est bien à cause de la structure confessionnelle du pays, du moins telle qu’elle est toujours comprise, moins comme une fédération d’appartenances diverses, riches de leurs différences, que comme des groupements antagoniques sur fond d’adversité et de lutte. Notre pays n’aura jamais été aussi confessionnellement polarisé que durant ces dernières années, faisant suite à la non-application des accords de Taëf eux-mêmes bancals ; par ce gel d’exécution, le navire prend eau de toute part et cesse de fendre les flots, en attendant de sombrer. Prenons le confessionnalisme et remontons la filière ; tous les autres facteurs en dépendent en amont : le citoyen, le parlementaire, le responsable politique, l’ensemble de l’Exécutif. En aval, nous aurons la corruption, celle de l’Administration publique, qui sévit dans notre pays depuis la nuit des temps, tacitement acceptée, au vu et au su de tout le monde. Tous les mandats présidentiels et toutes les législatures ont prétendu s’attaquer à la réforme administrative. Un portefeuille ministériel a été créé à cet effet dans certains gouvernements, sans résultat aucun. Certains fonctionnaires véreux furent limogés avec fracas, puis réhabilités sans vergogne. Nous savons bien qu’il n’existe nulle part au monde une administration irréprochable et qu’un certain taux de corruption est toléré dans beaucoup de pays, qu’il est même considéré comme facteur positif du développement économique, sans toutefois bénéficier d’aucune impunité. Une administration qui ne fonctionne qu’à coups de pots-de-vin, une justice vulnérable parce que soumise au pouvoir politique ou à la tentation de l’argent, tels sont les grands axes de la corruption dont la motivation première est de sauvegarder ou de protéger les intérêts de telle communauté confessionnelle face aux autres. Ainsi tout se tient et tout contribue à ce que le citoyen se trouve dans l’impossibilité d’intégrer objectivement la loi et qu’il en fasse, indépendamment des personnes et hors des circonstances particulières, un régulateur interne pour sa conduite et pour son habitus politique. Si, plus que tout, la nation est volonté délibérée de vie commune et adhésion à des valeurs partagées, avouons que nous en sommes très loin et que nous tombons dans le cercle vicieux de la nation avant l’État ou l’État avant la nation, pour la constituer. Après de longues années de pratique démocratique et malgré leur comportement actuel arrogant sur le plan planétaire, les Américains peuvent se dire : « We are a nation of nations », comme indiqué sur le fronton du musée ethnologique de Washington. Le travail à faire dans une perspective d’intégration est certainement difficile à réaliser. Aucun gouvernement, depuis 1943, n’en a délibérément fait sa préoccupation première. Dans ce domaine, une interaction positive entre les décisions, les initiatives des instances étatiques et le peuple est indispensable. La fonction pédagogique de l’État consiste justement à mettre en place un programme de reconstruction nationale qui donnera naissance à la conscience et à la maturité politiques du citoyen ou qui le confirmera dans son sentiment d’appartenance à une nation où il sent que son existence, dans toutes ses dimensions, peut prendre racine. S’il est interdit de désespérer, il n’est nullement défendu de rêver et de vouloir promouvoir enfin cet État de droit et des institutions qui naîtra moins des propos incantatoires du président de la République et de tous ceux qui manient merveilleusement la langue de bois, que de la volonté de tous, mobilisée pour une juste cause par des responsables politiques intègres et crédibles. Pr Mounir Chamoun Vice-recteur à la recherche de l’USJ
Rien n’empêche, en droit et en vertu des assises constitutionnelles, juridiques et administratives de notre pays, que cette « Deuxième République » devienne le fameux « État de droit et des institutions », appelé de tous les vœux des rejetons de Taëf, et plus particulièrement du chef de l’État qui en fait une rengaine, si ce n’est la pratique du pouvoir par ses...