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Actualités - ANALYSE

Un article de loi qui permet toutes les exactions

Il a fallu la décision du tribunal des imprimés pour que les Libanais se souviennent de l’existence de l’article 68 de la loi électorale de 2000. Un article tellement peu conforme au principe de la liberté de la presse, que l’on se demande comment il a pu être adopté par la majorité des députés, généralement très sensibles à tout ce qui touche aux médias. Que dit donc cet article ? « Il est interdit à tous les médias audiovisuels ainsi qu’à la presse écrite et même aux publications non politiques de faire de la publicité politique électorale tout au long de la durée de la campagne électorale (...) Les médias qui ne respectent pas cette disposition sont passibles de fermeture totale par une décision prise par le tribunal des imprimés, réuni en chambre de conseil ». En choisissant de fermer la MTV et RML, le tribunal des imprimés respecte donc l’esprit de la loi, même si sa décision a surpris la plupart des milieux politiques et journalistiques. Et le fait que le jugement ait été pris à deux voix contre une, l’assesseur Ghada Aoun s’y étant opposée, face au président du tribunal, Labib Zouein, et à l’assesseur Georges Rizk, ne lui enlève rien de son côté légal. D’autant que, comme le relèvent les magistrats dans le jugement, l’article 68 a prévu une procédure exceptionnelle, dite gracieuse et préventive, qui se veut rapide, pour éviter les violations en pleine campagne électorale et qui, par conséquent, se déroule à la manière d’un procès par défaut, sans audition des inculpés, ni de la défense, et surtout dans le secret total, puisqu’il s’agit d’une délibération. Mais le jugement émis par le tribunal, réuni en chambre de conseil, est un jugement gracieux, passible d’un recours devant la même instance. Il faut toutefois noter que l’article 68, adopté en 2000, n’avait jamais été appliqué avant cette date. Il a fallu la partielle du Metn, en juin dernier, pour que les autorités concernées se souviennent de son existence. Se doutant que ce point serait soulevé dans les médias, le jugement du tribunal relève que cette instance n’a pas le pouvoir de mettre la procédure en œuvre. Elle se contente de statuer sur les dossiers qui lui sont transmis. C’est ainsi que, selon les propos du procureur général près la Cour de cassation, le directeur de la Sûreté générale avait envoyé au parquet, en juillet dernier, six vidéocassettes et deux bandes audio, diffusées par la MTV et RML en pleine campagne électorale et considérées comme violant l’article 68. Toujours selon Addoum, il avait alors joué un rôle de postier, remettant au parquet de Beyrouth les pièces qui lui ont été remises. Débordé, ce dernier a pris son temps pour visionner les cassettes et écouter les bandes audio et finalement, le 10 août, il a déféré le dossier devant le tribunal des imprimés. Dès lors, la MTV et RML ont commencé à flairer le « coup dur ». Bien qu’ayant une autre affaire sur le dos, celle de l’émission Plébiscite, animée par le Dr Ziad Noujeim, la chaîne sentait que le danger pour elle viendrait de la campagne du Metn. Effectivement, alors que la procédure engagée contre Plébiscite suit son cours devant le premier juge d’instruction de Beyrouth – qui a fixé le rendez-vous de la prochaine comparution du Dr Noujeim au 11 septembre –, le tribunal des imprimés a publié hier son jugement gracieux. L’assesseur Ghada Aoun – qui s’est opposée au jugement – a précisé, dans une annexe, qu’elle est d’accord avec le tribunal sur l’existence d’une violation de l’article 68, mais que, selon elle, celle-ci n’est pas suffisamment grave pour justifier la fermeture définitive de la chaîne. Elle aurait donc préféré une fermeture provisoire. Les principaux attendus Que dit le jugement ? En 23 pages manuscrites, le jugement s’emploie à expliquer la procédure gracieuse, telle que prévue par l’article 68 de la loi électorale. Il précise ainsi que l’objectif du législateur en adoptant cette procédure d’exception est de faire vite, afin d’empêcher la poursuite des violations en pleine campagne électorale. Mais cela ne signifie pas qu’il pose un délai pour l’actionnement de la procédure. Selon le jugement, le fait que la Sûreté générale ait envoyé les cassettes et les bandes bien après la fin de l’élection partielle ne rend pas la procédure irrecevable, puisque l’objectif final est de sanctionner les violations et d’agir de façon préventive pour l’avenir. Suit la définition de la publicité électorale prohibée, selon l’article 68. Selon le jugement, il n’est pas nécessaire que le nom du candidat soit cité explicitement, il suffit que l’allusion soit suffisamment claire pour qu’il soit identifié et la publicité incriminée doit faire la promotion d’une opinion donnée et favoriser un candidat précis, dans le but d’influencer l’électorat. Elle peut se faire par le biais d’un clip, ou à travers une émission, dans laquelle l’aspect propagandiste prend le dessus sur l’information. Le jugement rappelle que la contrepartie financière n’est pas un élément direct de la publicité prohibée. L’article 68 n’interdit pas la publicité électorale, il interdit l’utilisation d’un média pour favoriser un candidat au détriment des autres. Surtout si le candidat possède ou est actionnaire d’un média et profite de cette situation pour diffuser gratuitement des publicités en sa faveur. Sur base de cette définition et après avoir visionné les cassettes et écouté les bandes audio, le tribunal ne peut que constater la violation par la MTV et RML de l’article 68. À ce stade, le jugement reprend le contenu des enregistrements, qu’il s’agisse des clips ou d’extraits des émissions de Élie Nacouzi et Ziad Noujeim, entre autres, et relève le matraquage médiatique, en faveur d’un candidat, au détriment des autres. Pour toutes ces raisons, il choisit de fermer la MTV et RML, tout en rappelant qu’il s’agit d’un jugement gracieux et par conséquent, susceptible d’un recours devant la même instance. Le côté juridique étant bouclé, place désormais à la politique. Si le timing vise à paver la voie à la publication du jugement du Conseil constitutionnel relatif au recours en invalidation de l’élection partielle du Metn, la tempête ne risque pas de se calmer. Le plus utile serait sans doute de modifier cet article qui permet les plus graves atteintes à la liberté de la presse. S.H.
Il a fallu la décision du tribunal des imprimés pour que les Libanais se souviennent de l’existence de l’article 68 de la loi électorale de 2000. Un article tellement peu conforme au principe de la liberté de la presse, que l’on se demande comment il a pu être adopté par la majorité des députés, généralement très sensibles à tout ce qui touche aux médias. Que dit...