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Actualités - CHRONOLOGIE

MASSACRE - Un planton endetté tue huit personnes et blesse 5 autres à la mutuelle des enseignants près de Mazraa Ahmed Mansour sème la mort pour une poignée de livres libanaises(photos)

Les mains derrière le dos, la tête basse, Ahmed Mansour commence à réaliser l’ampleur de son acte. À l’officier qui lui demande pourquoi il boite et s’il a envie d’un thé, il répond, la voix à peine audible et les yeux larmoyants : « Cela ne sert plus à rien. C’est trop tard. » Il est quatorze heures à la caserne Hélou et la police judiciaire a entamé son interrogatoire sous la supervision du premier juge d’instruction, Hatem Madi, et du procureur de Beyrouth, Joseph Maamari. Quatre heures auparavant, Ahmed Mansour avait tué huit de ses collègues et blessé cinq autres, au siège de la caisse d’indemnités du corps enseignant dans les écoles privées. Un massacre sans précédent dans les annales libanaises, mais qui, selon les premières conclusions de l’enquête, aurait un mobile purement personnel. La journée la plus chaude de l’année commence calmement, à la rue Mama, près de la corniche de Mazraa. Pourtant, au siège de la Caisse des indemnités du corps enseignant dans les écoles privées, au troisième étage de l’immeuble Omaiss, la trentaine d’employés ont beaucoup de travail. C’est la fin du mois et de nombreux enseignants viennent toucher leurs indemnités. L’un d’eux, qui doit aussi de l’argent à la caisse, se fait remettre un chèque par Mohammed Naamani qui lui demande de l’encaisser à la banque puis de revenir lui payer. Il est dix heures et Naamani ne sait pas encore qu’il vient de sauver la vie de l’enseignant. Ahmed Mansour, 46 ans, est employé à la caisse depuis 25 ans. Mais depuis une semaine, les problèmes ne cessent de s’accumuler. Il avait contracté un emprunt de 18 millions de livres, et en même temps, pour tenter de le rembourser, il avait encaissé ses indemnités. Mais, apparemment très dépensier et ayant une femme et quatre enfants à nourrir, il ne parvient pas à gérer son budget et la directrice de la caisse, Mme Rachel Rahmé Saadé, lui réclame avec insistance le remboursement de sa dette. Il a été contraint de vendre sa voiture et s’il ne payait pas une partie de la somme d’ici à la fin du mois, la justice pouvait mettre la main sur sa maison à Loubié (village près de Tyr). Ahmed Mansour se sent acculé, mais, surtout, il se sent atteint dans sa dignité, puisque nul au bureau n’ignore sa situation et que, depuis une semaine, il entend chaque jour le même refrain. Selon des témoins, il aurait même eu des altercations avec la directrice, contre laquelle il aurait proféré des menaces. Les fusils dans un cartable Ce mercredi 31 juillet, il doit absolument rembourser une partie de la dette, mais il n’a pas trouvé l’argent. Il a donc décidé de réagir. En empruntant un taxi-service à Loubié pour se rendre à son travail, il porte à la main un cartable usé, qui pourrait contenir de l’argent, mais qui, en fait, contient deux mitraillettes, une grenade et un revolver. Arrivé au bureau, avec deux heures de retard, il salue comme d’habitude l’agent de la sécurité de faction et monte directement chez la directrice, dans l’aile droite. Il sort calmement ses armes de son cartable et tire plusieurs balles, la tuant sur le coup. Attirés par le bruit, d’autres employés accourent et Ahmed tire sur tout ce qui bouge. Le troisième étage de l’immeuble ressemble à une boucherie. Partout du sang et des gémissements. Affolés, les employés se cachent sur les balcons pour échapper aux tirs. Mais l’un d’eux sera tué devant la balustrade du balcon, avec sa collègue, qui se cachait avec lui. Un enseignant venu encaisser ses indemnités en compagnie de son jeune fils racontera à la police : « J’ai jeté mon fils à terre et je me suis couché sur lui, en attendant la mort. » Mais, heureusement, ils survivent tous les deux. Huguette Féghali n’aura pas cette chance. Venue elle aussi toucher ses indemnités avant de prendre l’avion pour la Turquie pour quelques jours de vacances, elle est tuée sur le coup. Selon des témoins, Ahmed Mansour croise deux de ses collègues, qui le supplient de les épargner, puis deux sœurs, Sahar et Aya, auxquelles il demande de quitter les lieux. Affolées, elles se réfugient chez la voisine du premier étage, qui donnera elle aussi sa déposition à la police. Un responsable de la caisse, Talal Jaafir, venu en visite ce jour-là parce qu’il travaille dans une autre branche, sera épargné, mais il est trop effondré pour pouvoir s’exprimer. Les secours l’emmènent. Le concierge de l’immeuble, Amine el-Ali, qui se trouvait par hasard au troisième étage au moment du massacre, alerte les forces de sécurité toutes proches. Celles-ci débarquent rapidement sur les lieux, prêtes à livrer bataille pour arrêter le meurtrier. Selon des témoins, elles n’auront pas besoin de le faire. Ahmed Mansour a vidé son premier chargeur et fume une cigarette. Il aurait regardé les forces de l’ordre avec une sorte d’indifférence, en tout cas avec un calme étonnant. Il aurait immédiatement reconnu sa culpabilité et n’aurait pas opposé de résistance. La douleur des proches Il est près de dix heures vingt et la nouvelle du massacre a commencé à s’ébruiter. Toute la rue est bouclée et les forces de l’ordre empêchent quiconque d’entrer dans l’immeuble. Seuls les secours parviennent à atteindre le troisième étage et commencent par dégager les quatre blessés. Pour les huit morts, cela prendra plus de temps, car il faut attendre l’arrivée du médecin légiste. Les proches des victimes arrivent aussi sur les lieux. Mais les forces de l’ordre préfèrent leur éviter le terrible spectacle. Le président du syndicat des enseignants, Georges Saadé, et son fils sont parmi les premiers arrivés. Rachel Rahmé Saadé est leur bru et épouse. Les deux hommes sont effondrés et s’étreignent longuement comme pour se soutenir. La jeune directrice de la caisse est une avocate aimable et compétente, qui traite ses dossiers avec humanité. Elle était appelée à un brillant avenir, mais Ahmed Mansour en a décidé autrement. Personne ne trouve des mots pour les consoler, ni eux ni les autres proches des victimes. Le drame est incroyable et tout le monde est sous le choc. Les secouristes s’essuient constamment le visage, tant larmes et sueur leur brouillent les yeux. Le ministre de l’Intérieur Élias Murr, le ministre de l’Éducation Abdel Rahim Mrad, le ministre d’État Michel Pharaon, le procureur de Beyrouth ainsi que le juge d’instruction et les responsables de la police, tous ressortent des bureaux, le regard comme hanté. « La justice suivra son cours, le coupable sera châtié. C’est un acte individuel »… Des propos qui se veulent rassurants, mais qui restent sans effet sur les survivants du massacre, les proches des victimes et les habitants de la rue. Chacun voudrait comprendre comment le drame a pu se produire, sans que nul n’ait pu le prévoir. Un des survivants s’écrie : « Comment peut-on nous dire qu’il s’agit d’un acte individuel ? Huit morts et quatre blessés, ce n’est pas un massacre cela ? Combien faut-il de victimes pour qu’on parle d’acte collectif ? » « À moitié soulagé » Colère, peur, révolte, il y a tout cela dans le regard des survivants. C’est ce qui pousse Mgr Camille Ziadé, secrétaire général des écoles catholiques, à dire : « Nous devons faire quelque chose. Dans le regard des victimes, il y a une interrogation insoutenable : pourquoi ? et que faites-vous pour nous ? Un tel crime ne peut passer comme un fait divers. » Dans son désarroi, Georges Saadé se demande si le criminel ne bénéficie pas d’appuis politiques et affirme qu’il compte présenter sa démission, choqué par ce drame incroyable. Ses amis et membres du syndicat cherchent à le calmer et l’entraînent vers sa voiture. Les réunions et les communiqués pleuvent, mais l’énigme demeure entière : comment un homme apparemment ordinaire, travaillant comme planton depuis 25 ans au même endroit, où il connaît tous ses collègues, et rentrant à peine d’un voyage d’agrément en Égypte avec son épouse, en attendant que se termine la construction du troisième étage de sa maison à Loubié, peut devenir brusquement un criminel ? À la caserne Hélou, où il passe la nuit, Ahmed répond laconiquement aux questions des policiers. Vêtu d’un polo rayé bleu et blanc et d’un pantalon bleu, il n’a apparemment aucun signe distinctif. Et le premier commentaire sur son acte devant ceux qui l’interrogent est encore plus déroutant. « Je suis à moitié soulagé, même si je sais que ce que j’ai fait est mal. » Pour l’instant, ni regrets ni remords, il ne semble pas réaliser l’ampleur de son crime. Mais lorsque le juge et le procureur l’interrogent, il commence à comprendre. Sa voix s’affaiblit et ses yeux commencent à briller d’une sorte de fièvre malsaine. Il baisse la tête. Le voyant au bord de l’effondrement, les policiers veulent l’aider, mais lui regarde le juge : » C’est trop tard », dit-il. Pour lui, mais surtout pour ses victimes, qui n’ont pas compris pourquoi elles sont mortes. Scarlett HADDAD
Les mains derrière le dos, la tête basse, Ahmed Mansour commence à réaliser l’ampleur de son acte. À l’officier qui lui demande pourquoi il boite et s’il a envie d’un thé, il répond, la voix à peine audible et les yeux larmoyants : « Cela ne sert plus à rien. C’est trop tard. » Il est quatorze heures à la caserne Hélou et la police judiciaire a entamé son...