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Actualités - INTERVIEWS

Rencontre - Le bâtonnier de l’Ordre des avocats se bat pour la justice et les libertés Raymond Chedid : Je n’ai pas les moyens de mes ambitions pour mon pays(photo)

Que le bâtonnier soit un homme de principes, cela devrait être évident. Mais qu’il soit aussi strict et peu enclin au compromis, c’est rare, or c’est le cas de Raymond Chedid. Élu il y a moins d’un an, malgré – ou à cause – de son franc-parler et de son attachement aux libertés, ses nouvelles responsabilités n’ont pas altéré sa franchise et son côté militant. Il sait qu’à lui seul, il ne peut pas changer grand-chose, mais « au moins, dit-il, en tant que bâtonnier, je peux me faire entendre et je ne compte pas me taire ». Même et surtout parce que tout lui semble aller plutôt mal au pays des Cèdres. Adopter une politique de la porte ouverte, n’est pas chose simple avec les avocats, car ils ont toujours un problème à soulever, une aide à solliciter ou un avis à donner. Au point qu’avec Raymond Chedid, le bureau du bâtonnier est devenu une sorte de Mur des lamentations. Cela ne dérangerait pas M. Chedid, s’il avait les moyens de répondre à toutes les sollicitations. Mais c’est son impuissance qui l’irrite, face aux avocats, et surtout face à ses concitoyens. Ce patriote, comme il se définit lui-même, souffre de voir son pays dans cet état, les jeunes – dont son fils – en train d’émigrer. Pas de compromis sur les questions nationales À ceux qui le critiquent, comme ce fut le cas récemment au cours d’une réception dans une ambassade, à cause de ses positions jugées trop politiques et extrémistes, il répond qu’il ne s’occupe pas de politique, mais refuse de transiger sur les questions nationales. Le communiqué publié par l’Ordre des avocats de Beyrouth, à la suite de « l’affaire Abou Obeida », s’inscrit dans ce cadre et M. Chedid explique qu’il ne pouvait que s’indigner lorsque des criminels recherchés par la justice négocient avec les autorités la livraison d’un autre criminel. « Tout ce que je souhaite, c’est d’avoir toujours la capacité de me révolter contre l’injustice et la violation des lois », dit-il. C’est d’ailleurs le même souci qui l’a poussé, toujours avec les autres membres du conseil de l’Ordre, à condamner le jugement de la Cour de cassation militaire concernant le Dr Toufic Hindi et ses compagnons. Selon lui, un jugement ne peut être basé sur des enquêtes préliminaires controversées et la jurisprudence qui veut que l’acte d’accusation couvre les irrégularités de l’enquête préliminaire ne vaut que dans la justice civile, où, au-delà du juge d’instruction, il y a toujours un recours, celui de la chambre des mises en accusation. Mais devant la justice militaire, un tel recours est impossible. D’ailleurs, le bâtonnier souhaiterait que les compétences de la justice militaire soient réduites et il milite pour que le projet de réforme élaboré en ce sens soit de nouveau à l’ordre du jour du Parlement. Une justice unique pour tous est une garantie de la démocratie et la démocratie, c’est le grand thème du bâtonnier. S’il reconnaît que, depuis quelque temps, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer les libertés et la souveraineté, M. Chedid n’en est pas moins conscient que les résultats demeurent médiocres. « Il existe désormais une marge que les gens utilisent à fond, mais le problème, c’est le cadre dans lequel nous sommes enfermés », déclare-t-il. Ce cadre, c’est l’accord de Taëf, auquel le bâtonnier s’était opposé depuis le début. « Je veux bien admettre qu’aujourd’hui, il soit devenu un fait accompli, mais pourquoi ne l’applique-t-on pas ? Il y a ainsi de nombreuses injustices, notamment au sujet du désarmement des milices libanaises et étrangères et au niveau de la demande de comptes à une partie seulement des Libanais. De même, il y a un développement déséquilibré. Certains projets sont accélérés dans certaines régions, et ralentis dans d’autres. Les factures d’électricité ne sont pas payées par tous les Libanais, même chose pour les téléphones. Les carrières continuent à défigurer certains sites, les biens-fonds maritimes sont exploités à tort et à travers et les citoyens paient pour la négligence des gouvernements successifs. Le centre-ville, jadis cœur économique et financier de la région, n’est plus qu’un lieu de loisirs, Solidere a acheté à 500 et 800 dollars le mètre et aujourd’hui, elle le vend à 5 000 et le gouvernement multiplie les impôts pour cacher son gaspillage. Il parle de privatisation, comme s’il s’agissait de vendre les biens de l’État sans bénéfice pour ce dernier. Pourquoi a-t-on annulé le quitus du registre foncier qui rapportait des fonds au Trésor ? Afin de faciliter la vente de terrains ?... » Le bâtonnier est intarissable sur le thème des irrégularités et comme il le dit lui-même, cela le fait souffrir. « J’ai la responsabilté de plus de 7 000 avocats, dont certains ne travaillent pas, et malgré cela, le gouvernement a décidé de calculer les impôts sur base d’un chiffre d’affaires de 40 000 dollars par an ». La grande bataille du bâtonnier est actuellement autour de la loi sur la régulation fiscale. Avec les autres Ordres des professions libérales, le conseil de l’Ordre des avocats a préparé un amendement à cette loi. En dépit des pressions, la commission de l’Administration et de la Justice l’a approuvé et il attend le verdict de la commission des Finances avant d’être soumis au vote de l’Assemblée. Si celle-ci votre contre le projet, le bâtonnier s’inclinera, « puisque nous exigeons le respect de la loi et la démocratie, nous ne pouvons agir autrement. Mais cela ne nous empêche pas d’essayer de changer les choses ». L’Ordre des avocats a ainsi organisé un colloque sur la cour pénale internationale. Mais malgré l’approbation du chef de l’État, le gouvernement n’a pas accepté que le Liban signe le traité fondateur de cette cour. « L’argument invoqué porte sur le souci de la souveraineté du Liban que la signature du traité entamerait. N’est-ce pas risible ? Même chose pour le médiateur de la République, qui attend toujours le mécanisme de sa désignation. » Le bâtonnier pourrait parler encore longtemps, tant il en a gros sur le cœur. Mais il préfère évoquer la prochaine ouverture, avant la fin de l’année, du nouveau bâtiment de l’Ordre des avocats qui comportera une gigantesque bibliothèque et un centre d’informatique juridique, avec une banque de données de deux sources, latino-germanique et anglo-saxonne, afin que les avocats puissent connaître toutes les jurisprudences et l’évolution de la doctrine. « Je me console avec ce que je peux faire, mais c’est bien triste de ne pas avoir les moyens de ses ambitions, surtout lorsqu’elles sont nationales. Mon but, c’est de préserver l’Ordre des avocats, qui suscite tant de convoitises, afin qu’il reste une oasis de liberté. » Scarlett HADDAD
Que le bâtonnier soit un homme de principes, cela devrait être évident. Mais qu’il soit aussi strict et peu enclin au compromis, c’est rare, or c’est le cas de Raymond Chedid. Élu il y a moins d’un an, malgré – ou à cause – de son franc-parler et de son attachement aux libertés, ses nouvelles responsabilités n’ont pas altéré sa franchise et son côté militant....