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Actualités - OPINION

L’esprit de Taëf, pacte d’entente, trahi au sein du pouvoir

La Constitution française et Taëf, c’est à peu près la même chose. Mais inversée. La première, établie en 58, ne prévoit pas la cohabitation. Tandis que le document libanais n’envisage rien d’autre. Et tous les deux se trouvent démentis dans les faits comme dans leur essence. Un ancien ministre note ainsi, à l’instar d’innombrables voix raisonnables, que la Constitution issue de Taëf recommande, ordonne même, une coopération et une coordination harmonieuses entre les pouvoirs. Notamment entre les deux têtes de l’Exécutif, le chef de l’État et le Premier ministre. Or il y a de l’eau dans le gaz, et plutôt deux fois qu’une, entre les présidents Lahoud et Hariri. Ce qui est d’autant plus pesant que la Constitution elle-même, dans son immense candeur, leur offre maintes occasions de se chamailler. Car plusieurs de ses dispositions stipulent que le déroulement de procédures déterminées doit se faire par accord entre eux. Leur faisant confiance d’avance, les législateurs n’avaient pas cru devoir préciser ce qu’il faudrait faire si cet accord n’était pas assuré. D’où un riche filon de disputes potentielles d’interprétation. Parmi ces sujets qui prêtent à équivoque, on peut citer : – L’article 33 C (Constitution), relatif à la convocation par le chef de l’État, avec l’accord du président du Conseil, de l’Assemblée nationale pour une session extraordinaire. Si l’un des deux hommes n’est pas d’accord, le décret ne peut pas être pris. Et le travail d’État s’en trouverait paralysé. Il faudrait donc que le droit de convocation soit uninominal. – De même, l’article 52 C indique que le président de la République négocie et ratifie les traités en accord avec le Premier ministre. Il risque dès lors de se produire un conflit s’il y a désaccord par manque de compréhension mutuelle. Et cela peut avoir de fâcheux effets sur les relations internationales du pays. Là aussi, le droit d’opérer doit être réservé à une seule instance. D’autant qu’en ce domaine, le dernier mot appartient juridiquement à l’Assemblée nationale, qui ratifie définitivement ou récuse tout protocole avec l’étranger. – Mais c’est encore l’article 53 C qui présente le plus d’aspérités. Son alinéa 2 stipule que la désignation d’un Premier ministre pressenti par le chef de l’État doit se faire en concertation avec le président de l’Assemblée nationale, évidemment sur la seule base des consultations parlementaires antérieures, puisqu’elles sont impératives. Or le manque d’acuité du texte a ouvert la voie il y a deux ans à des interprétations qui ont provoqué une forte crise politique. En effet, M. Rafic Hariri avait été écarté, comme on sait, parce qu’un certain nombre de députés avait cru pouvoir déléguer leur droit de choix au président Lahoud. Par la suite, tout le monde avait fini par convenir qu’il y avait là un dérapage certain d’extrapolation. Mais le mal était fait. L’alinéa 4 du même article se fonde lui aussi sur l’accord entre les deux présidents pour les décrets de formation du gouvernement, d’acceptation des démissions de ministres ou de leur révocation. La dualité a provoqué, même avant Taëf, de multiples litiges. Il faudrait donc que le pouvoir de rédaction soit réservé à un seul président. De préférence au chef du gouvernement désigné, pour qu’il puisse composer son équipe à sa guise, du moment que c’est sur ses propres épaules que retombe la responsabilité de rendre compte à la Chambre. L’article 11 provoque moins de conflits mais un certain encombrement. Il accorde en effet au président de la République le droit de soumettre au Conseil des ministres des affaires impromptues qui ne sont pas inscrites à l’ordre du jour. De ce fait, la pratique courante fait que ces sujets dits urgents sont largement plus nombreux que les questions prévues dans l’ordre du jour, établi comme on sait par le chef du gouvernement. L’alinéa 12 retombe dans le péché de double signature. Il prévoit en effet que le président de la République peut exceptionnellement, s’il le juge nécessaire, convoquer le Conseil des ministres, mais avec l’accord du Premier ministre. Dans ce cadre, il faudrait que le chef de l’État puisse agir seul, à la condition que l’on définisse le cadre justifiant l’exception à la règle. – L’alinéa 6 de l’article 64 C demande au président du Conseil d’établir l’ordre du jour du Conseil des ministres, mais aussi d’en informer le président de la République. Le vague de cette formulation doit être dissipé. Car beaucoup pensent que le président de la République peut estimer être en droit de biffer des questions ou d’en rajouter d’autres. Comme cela se fait d’ailleurs en pratique, ce qui peut à tout moment provoquer un éclat de la part du chef du gouvernement. Qui peut considérer que l’obligation d’informer préalablement le président de la République ne vise qu’à permettre à ce dernier d’analyser, pour les commenter éventuellement en Conseil, les sujets retenus. – L’alinéa 5 de l’article 65 C est particulièrement épineux. Il prévoit en effet, notamment et en passant trop rapidement sur la question, que les décisions sont prises à l’amiable en Conseil des ministres, ou par vote en cas de mésentente. Or le président de la République, qui ne dispose pas d’une majorité au sein du Conseil, refuse parfois qu’on procède par vote et il préfère que l’on continue à discuter jusqu’à atteindre un consensus. Le Premier ministre soutient pour sa part qu’une fois l’impasse constatée, il faut passer au vote sans report. Il faut donc faire préciser au texte ses intentions, en fixant un horaire ou des limites d’échanges d’arguments à partir desquels le recours au vote s’imposerait. L’ancien ministre cité conclut en regrettant que le vocable d’accord qui émaille la Constitution soit lui-même transformé par les dirigeants en sujet de désaccord. Émile KHOURY
La Constitution française et Taëf, c’est à peu près la même chose. Mais inversée. La première, établie en 58, ne prévoit pas la cohabitation. Tandis que le document libanais n’envisage rien d’autre. Et tous les deux se trouvent démentis dans les faits comme dans leur essence. Un ancien ministre note ainsi, à l’instar d’innombrables voix raisonnables, que la...