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Actualités - OPINION

L’histoire locale émaillée d’accords qui ont mal tourné

Si tu veux lire ton avenir, scrute ton passé. S’inspirant de cette maxime para-freudienne, un dignitaire religieux constate, avec autant d’inquiétude que d’amertume, la constance des déconvenues libanaises en matière d’accords internes. Phénomène historique qui s’explique par le fait que, le plus souvent, les arrangements se trouvent imposés à l’une ou l’autre partie. Qui, contrainte et forcée par les circonstances du moment, les accepte à contrecœur. Pour les dénoncer à la première occasion. Ou pour se retrouver, comble de disgrâce, confrontée elle-même à un refus d’application par le camp d’en face la plongeant dans la peur, la discrimination, la marginalisation. Ainsi, dès la proto création du pays sous le label de Grand Liban, une partie s’y est opposée, pour des motifs idéologico-religieux. Ce qui a laissé une empreinte durable par la suite, en termes de confessionnalisme. Puis le pacte de 43, qui a entraîné l’évacuation des forces françaises, a été conclu sous la devise « ni Est ni Ouest ». C’est-à-dire ni la domination occidentale ni l’union avec la Syrie. En somme, une acceptation réciproquement conditionnelle de l’indépendance. La bipolarité consacrée de la sorte établit donc, forcément, un rapport de forces. Dont les fluctuations obéissent aux données conjoncturelles locales, régionales et internationales. Selon les variations des périodes, on verra dès lors chaque composante de la mosaïque prendre une coloration distincte. Se rallier à un tel thème d’actualité ou s’y opposer. Quitte à changer vite d’avis, comme le caméléon change d’habit. Une habitude nationale illustrée d’abord par les vicissitudes du milieu des années cinquante. L’émergence, la montée en puissance de la pensée nassérienne ont provoqué une cassure intérieure. Une violation du principe neutraliste fondateur de 43. Car une partie s’est résolument tournée vers la Syrie, plus précisément vers la République arabe unie (RAU, née de l’union avec l’Égypte). Tandis que l’autre se rabattait sur le camp occidental, plus précisément sur le trio antinassérien États-Unis, Angleterre et France. Le clivage était aggravé par les ressentiments de la première partie, écartée du pouvoir effectif. Le chef du gouvernement prenait en effet figure, selon les protestataires, de simple « bâch kâteb », clerc d’office. Tandis qu’à leurs yeux le président de la République était un véritable monarque. C’est depuis ce temps-là qu’a pris corps la campagne pour la révision constitutionnelle menée au nom de la « participation ». Il y a eu ensuite, la décennie suivante, l’affaire de la présence armée palestinienne. Qui a fait voler en éclats la fragile unité intérieure. Les uns étaient pour la solidarité totale avec les Arabes, plus particulièrement avec leur fer de lance palestinien, dans leur lutte contre Israël. Les autres rappelaient les limites imposées par le respect de la souveraineté, consubstantiel à l’existence même du Liban. Bref, même la convention du Caire de 1969, d’ailleurs jamais appliquée par l’OLP, n’y a rien fait. On en est venu à la guerre de 75, via les événements de 73. L’État libanais a failli disparaître corps et biens. Et après des affres interminables, l’on est parvenu aux accords de Taëf. Conclus essentiellement pour faire taire le canon, mais bâclés sur le fond politique. En effet, le système qui en a découlé produit un pouvoir fatalement affaibli de son intérieur même. Tout en empêchant la formation d’une opposition solidement structurée, comme cela se voit dans les pays démocratiques. En d’autres termes, le paysage politique local manque de centre de décision, à l’ombre du flou entretenu sur la répartition des prérogatives entre les pouvoirs. D’où l’impossibilité d’une libre autonomie nationale, dirigeants et opposants se heurtant pareillement aux fameuses lignes rouges. Ce qui signifie que les critiques tombent à plat, tournent à vide, du moment que le pouvoir n’est pas vraiment décisionnel. Pour le dignitaire religieux cité, il est clair que le problème de fond ne tient pas seulement à la nécessité de réformes, ni même aux interrogations existentielles et identitaires. Mais aussi, mais surtout, à son avis, à l’absence d’un État véritable. Lacune dont le premier effet pervers est, bien évidemment, de fausser la vie politique nationale jusqu’à la tuer. Ainsi se retrouve-t-on devant ce dilemme : quand on agit de l’intérieur, pour essayer de réformer, on se retrouve inévitablement le bec dans l’eau, puisque le statu quo est un mot d’ordre émanant d’en-haut. Et quand on agit de l’extérieur du système, on est évidemment blackboulé, neutralisé, même par l’opposition. Le magma reste de la sorte indiscernable. On ne voit pas bien la différence de fond entre loyalistes et opposants. Tandis que le pays peut continuer à pleurer son indépendance, sa souveraineté, sont autonomie de décision. À cause de ses divisions. Émile KHOURY
Si tu veux lire ton avenir, scrute ton passé. S’inspirant de cette maxime para-freudienne, un dignitaire religieux constate, avec autant d’inquiétude que d’amertume, la constance des déconvenues libanaises en matière d’accords internes. Phénomène historique qui s’explique par le fait que, le plus souvent, les arrangements se trouvent imposés à l’une ou l’autre...