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Actualités - CHRONOLOGIE

Société - La guerre garde ses secrets Mission quasi impossible pour la commission chargée du dossier des personnes disparues

Un millier de dossiers qui résument la guerre et ses séquelles et que personne ne parvient à classer, pour ne pas avoir à tourner la page. La commission pour les personnes disparues a hérité d’un terrible fardeau, une responsabilité empoisonnée que tout le monde préfère enfouir sous la paperasse insipide de la bureaucratie. De six mois en six mois, elle prolonge le délai de ses activités mais, au fond, nul n’ignore que son travail a peu de chances d’aboutir. Ses membres gardent le silence car, disent-ils, s’il y a encore un espoir, il ne peut se concrétiser que loin des médias. En attendant, pour les proches, c’est l’impossible travail de deuil et l’attente presque insensée. Recenser les personnes disparues pendant la guerre et essayer de connaître leur sort, telle est la mission quasi impossible que s’était fixée la commission officielle formée par le gouvernement Hoss en 1998 et regroupant les responsables des services de sécurité libanais. Elle avait alors reçu plus de 10 000 demandes de recherches et au bout d’un an d’investigations, avait abouti à la conclusion suivante : toute personne disparue depuis plus de dix ans doit être considérée comme morte, au moins sur le plan juridique. Il avait d’ailleurs fallu du courage aux membres de cette commission pour aboutir à une telle conclusion. Mais les proches des personnes disparues s’étaient vivement opposés à cette décision. Pour eux, il était impossible de tirer un trait sur un être cher, sans la moindre information, comme s’il s’agissait d’un banal dossier que l’on décide de classer. Les médias se sont mobilisés et le patriarche maronite Mgr Sfeir a adopté la cause, l’évoquant dans chacune de ses homélies. Beaucoup de dossiers, mais peu d’éléments Pour calmer les protestations et tenter de gagner du temps, le gouvernement forme une seconde commission, présidée cette fois par un ministre, de surcroît maronite et proche du patriarche, M. Fouad es-Saad. Mission déclarée : rechercher celles, parmi les personnes disparues, qui pourraient être encore en vie, car il n’est pas question d’investiguer sur les morts. Plus difficile à dire qu’à faire. Pendant des mois, les membres de la commission reçoivent des proches désireux de connaître le sort de l’un des leurs, disparu en pleine tourmente. Chacun remplit un formulaire qui atterrit auprès des responsables des divers services de sécurité, membres de la commission. Au total, près de huit cents dossiers, dont un tiers est écarté d’office, car ceux qui les présentent savent que la personne recherchée est morte, mais espèrent obtenir une indemnisation. Or tel n’est pas le rôle de cette commission. D’autres cas sont quasiment désespérés, mais comment le dire aux proches ? Selon une source qui suit cette affaire, il est clair en lisant certains dossiers que la personne recherchée a été liquidée par les milices de l’époque. Mais lorsque celles-ci ont été relancées par les proches, elles auraient répondu : « Oui, nous avons capturé telle personne, mais nous l’avons remise aux Israéliens » (ou aux Syriens, tout dépend du secteur de la capitale où a eu lieu la disparition). Une manière de se décharger de toute responsabilité, mais un espoir vivace pour les proches qui se raccrochent à cette éventualité et ne veulent plus rien entendre d’autre. Comment essayer de leur faire comprendre qu’il n’y a aucune raison pour que leur proche soit encore entre les mains des Israéliens et des Syriens, alors que le terrible journal de la guerre montre que toutes les personnes arrêtées ce jour-là et dans ce lieu ont été liquidées, sans autre forme de procès ? La commission est confrontée à cette insupportable mission et comme elle ne peut fournir de preuves à des familles nourries de faux espoirs, elle se contente de gagner du temps, en essayant petit à petit de pousser les proches à se rendre à l’évidence. Cynisme ? Certainement pas, précise la source précitée. Mais y a-t-il un autre moyen ? Car, le principal obstacle aux investigations est l’absence d’archives chez les milices. Les personnes arrêtées n’ont jamais été recensées, en tout cas, les documents n’ont pas été communiqués aux services officiels et, à part Walid Joumblatt, aucun ancien chef de milice n’a eu le courage de s’adresser aux Libanais pour avouer que toutes les personnes emprisonnées chez ses services ont été liquidées. En entretenant le doute, on entretient l’espoir, sans le moindre égard pour les souffrances des familles qui s’épuisent dans une attente stérile. De plus, quand on ne dispose pas de preuves tangibles, comment convaincre des familles que la personne qu’elles recherchent inlassablement depuis des années est morte ? Comment les convaincre aussi que ceux qui leur ont vendu des informations, jurant avoir vu leur proche dans telle ou telle prison, leur mentaient pour des raisons purement mercantiles ? La mission est réellement difficile et la commission préfère là aussi gagner du temps dans l’espoir que certains faits apparaissent et permettent à la vérité d’éclater. Même si, la classe politique est généralement convaincue qu’il n’y a plus de détenus chez les milices, pour la bonne raison que celles-ci ont été dissoutes et que les organisations encore armées n’ont aucune raison de garder des prisonniers libanais, arrêtés depuis des années, chez elles. Une attente insoutenable Restent quelques dossiers où des faits troublants favorisent le doute. C’est le cas notamment de certaines personnes dont on a perdu la trace en Syrie. Leurs familles affirment leur avoir rendu visite dans la prison pendant des années, et puis, soudain, ce fut le silence, sans la moindre explication. Il y a aussi des cas similaires en Irak, mais ils sont, au plus, une dizaine. Les familles de ces personnes sont convaincues que leurs proches sont encore en détention et exigent des précisions, plaçant l’État devant un grave dilemme. Il y a vingt mois, le président syrien a décidé de relâcher tous les détenus libanais en Syrie. En remettant aux autorités libanaises le dernier lot de 65 prisonniers, les responsables de sécurité syriens auraient déclaré : « Nous n’avons plus personne, mais si vous voulez des détenus syriens, on peut vous en envoyer. » Une façon de dire que, pour la Syrie, ce dossier est clos. Mais comment convaincre les familles libanaises qui ont attendu vainement leur prisonnier, auquel elles rendaient régulièrement visite, que c’est fini, il n’y a plus personne ? Comment surtout réclamer la réouverture de ce dossier épineux, à une époque où la Syrie est soumise à des pressions internationales et où elle n’a sûrement pas besoin d’un problème de plus à régler ? Certains politiciens estiment qu’il vaut mieux traiter ce dossier dans la plus grande discrétion, car si les autorités syriennes ont voulu le fermer, pourquoi garderaient-elles des détenus chez elles ? Le mieux serait donc, aux yeux de ces politiciens, d’en parler avec les responsables syriens, loin des pressions médiatiques et en toute confiance, pour ne pas avoir l’air d’exploiter un climat international hostile à la Syrie. En attendant, la commission remplit ses fiches et prolonge son mandat. Quant aux familles, elles continuent d’espérer des révélations qui dissiperaient enfin l’insoutenable doute. Leur attente pourrait se prolonger, l’heure du deuil n’a pas encore sonné et même finie, la guerre continue de faire des ravages. Scarlett HADDAD
Un millier de dossiers qui résument la guerre et ses séquelles et que personne ne parvient à classer, pour ne pas avoir à tourner la page. La commission pour les personnes disparues a hérité d’un terrible fardeau, une responsabilité empoisonnée que tout le monde préfère enfouir sous la paperasse insipide de la bureaucratie. De six mois en six mois, elle prolonge le délai...