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Actualités - OPINION

Notre raison d’être

« En général, aucune civilisation n’est détruite du dehors, sans s’être tout d’abord ruinée elle-même, aucun empire n’est conquis de l’extérieur, qu’il ne se soit préalablement suicidé. Et une société, une civilisation ne se détruisent de leurs propres mains que quand elles ont cessé de comprendre leur raison d’être, quand l’idée dominante autour de laquelle elles s’étaient naguère organisées leur est redevenue comme étrangère. » Ces lignes de l’historien René Grousset éclairent notre présent et expliquent une partie de notre passé. Nous sortons d’un long coma idéologique où nous a égarés la Nakba. Notre erreur a été d’intérioriser cette défaite comme si elle était nôtre. Mais nous n’avions pas à déplacer vers la Nakba ce moment fondateur où le Liban a décidé d’exister. C’est cette erreur de perspective, ou de mise au point, pour utiliser un vocabulaire photographique, qui nous a égarés durant ces dernières décennies, et qui est en partie à l’origine de la guerre au Liban et des malentendus successifs qui ont marqué son histoire. La raison d’être du Liban est la convivialité. On y a substitué, et on essaie toujours, en ce moment, d’y substituer un autre modèle, un modèle guerrier. Des Libanais se sont donné pour mission la libération de la Palestine. Mais la raison d’être du Liban, l’idée centrale autour de laquelle chrétiens et musulmans ont organisé le Liban, ce n’était pas la libération de la Palestine, ni la défaite du sionisme. Quand le Liban est né, ces faits historiques ne s’étaient pas encore produits. Il faut donc en revenir à l’esprit de 1943, quand les Libanais ont décidé d’être quelque chose en soi, pas un appendice d’un monde. Un pont, une médiation, une volonté de vivre en commun, en dépit des différences. Le dialogue des civilisations est notre vocation et substituer quoi que ce soit à la véritable raison d’être du Liban, c’est le vouer à disparaître. Notre véritable vocation, c’est d’être fidèles à la vérité que nous avons, une fois pour toutes, connue. « Ne crains ni ne doute », dit le poète, « car le doute est stérile et la crainte est servile». Notre véritable vocation, c’est d’être ce pont, cette harmonie au carrefour de civilisations dont nous prenons le meilleur et rejetons le pire. Notre vocation, c’est le dialogue, c’est la volonté de dialogue. Deux négations ne font pas une nation seulement quand les deux volontés oublient ce à quoi elles ont renoncé pour exister. Le Liban est antérieur à la Nakba. Il n’a pas à l’assumer comme un destin. Car son véritable destin est ailleurs. Il ne faut pas laisser le marchand et le guerrier étouffer le saint et le sage, car alors, le Liban perdrait sa raison d’être et, avec elle, son avenir. On essaie de nous tirer vers d’autres idéaux : apporter la justice au cœur de l’immense drame de la Palestine ou, pire, former une société de loisirs, être consommés par une armée de touristes. Non pas que le commerce ou le tourisme, que l’honneur et la gloire, ne sont rien. Mais il ne faut pas leur permettre de se substituer à la véritable raison d’être du Liban. Elles ne sauraient en constituer l’identité, le projet central. Ce n’est pas pour faire du commerce que les chrétiens et les musulmans du Liban se sont décidés à vivre ensemble. Pas plus qu’ils ne se sont unis pour libérer la Palestine. Aussi centrale que soit cette dernière cause, elle l’est moins que le pacte national, ce « consentement mutuel » à former une nation, une société politique, conclu en 1943. Au cas où la cause palestinienne met en péril le pacte, au cas où la Palestine met en péril le Liban, c’est elle qui doit passer en second, et non lui. C’est la grande vérité oubliée qui nous a valu la guerre et bien d’autres épreuves. L’histoire a voulu que, chacun voulant imposer à l’autre sa vision des choses, les Libanais se soient entretués. Mais la forme a survécu au contenu. La volonté de vivre ensemble, au vécu concret. C’est cette vérité que les Libanais sont invités à retrouver et, qu’ils le veuillent ou pas, c’est l’esprit du dialogue entre deux civilisations, musulmane et chrétienne, qu’ils vont retrouver. C’est la vocation que l’histoire a choisi pour le Liban. En choisissant d’être ensemble, les Libanais n’ont pas seulement choisi le dialogue, ils ont choisi d’habiter le dialogue. Un dialogue nerveux, vif, hors duquel il n’y a pas de Liban, mais des comptoirs et des boîtes de nuit. Et des fosses communes. Et un dialogue qui, s’il est victorieux, marquera le triomphe de l’esprit et la défaite de la haine. Fady NOUN
« En général, aucune civilisation n’est détruite du dehors, sans s’être tout d’abord ruinée elle-même, aucun empire n’est conquis de l’extérieur, qu’il ne se soit préalablement suicidé. Et une société, une civilisation ne se détruisent de leurs propres mains que quand elles ont cessé de comprendre leur raison d’être, quand l’idée dominante autour de...