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Actualités - INTERVIEWS

Rencontre - L’évêque affirme qu’il n’est pas une voix isolée et qu’il ne compte pas se taire Mgr Grégoire Haddad : Il n’y a qu’une entité absolue, Dieu, tout le reste est relatif(photo)

Ceux qui voulaient le faire taire ont totalement raté leur objectif. Jamais celui qui fut surnommé dans les années 70 « l’évêque des pauvres » n’a été aussi présent dans les médias que depuis l’agression dont il a été victime. Grégoire Haddad a rapidement compris l’avantage qu’il pouvait tirer du soudain intérêt dont il fait l’objet pour faire avancer son grand projet: la création d’un courant de la société civile au Liban, unique rempart, selon lui, contre cette maladie chronique qu’est le confessionnalisme. À bientôt 78 ans, il est plus combatif que jamais, sûr de ses convictions et prêt à tous les débats. Cela ne l’empêche pas d’être conscient que le courant réformiste au sein de l’Église – dont il est l’un des représentants – ne peut que se heurter à une violente opposition. « C’est une vieille lutte, dit-il, qui existe dans le monde entier. Il ne faut pas croire que je suis seul... » En plein synode, les portes de l’archevêché de Raboué sont fermées aux visiteurs. Mais Mgr Grégoire Haddad ayant donné un rendez-vous, elles s’ouvrent comme par miracle, l’évêque longtemps mis à l’écart étant désormais intouchable. Il fait ensuite son entrée, petit, vif, rayonnant d’énergie et de foi. Même si sa foi à lui ne ressemble pas à celle des autres, qui, selon lui, se réfugient dans les dogmes et les certitudes, craignant le doute et le questionnement. Mgr Haddad, qui a passé ces sept dernières années dans une quasi-retraite à prier, méditer et écrire des livres, préfère éviter aujourd’hui les questions théologiques. Il est tout à son projet de créer un courant de la société civile, couvrant tous les plans, éducatif, social, culturel, écologique, afin de favoriser le développement décentralisé. « C’est un mouvement laïc, installé au 185, rue Badaro, avec un conseil exécutif de neuf membres, unis dans la même volonté de travailler. Notre premier projet est d’acheter des médicaments à bas prix et de les revendre aux 760 dispensaires ouverts sur le territoire libanais. J’en ai d’ailleurs parlé avec le président de la République qui m’a reçu ce matin (hier) et je compte envoyer un projet détaillé à toutes les personnalités qui m’ont témoigné de la sympathie ces derniers temps. Il ne suffit pas de condamner devant les médias, il faut aussi agir. » La laïcité n’est pas l’athéisme Selon Mgr Haddad, le Liban est malade du confessionnalisme et tout le monde est responsable de la propagation de cette maladie. « C’est pourquoi nous lançons ce courant et nous voulons y faire participer tout le monde, même les partis politiques, mais dans une étape ultérieure, car, à ce stade, ils feraient échouer le projet. » Pourquoi insiste-t-il tant sur la laïcité ? « Ce n’est pas de l’athéisme. Je suis croyant et laïc, dans le sens que je prône une autonomie du monde, ses valeurs et ses institutions par rapport aux valeurs et aux institutions religieuses. C’est une attitude de neutralité positive. » Est-ce cette laïcité qui a provoqué la colère de ceux qui l’ont agressé ? « En fait, Télé-Lumière m’a demandé de préparer des émissions consacrées à un dialogue sur la religion. Nous en avons fait dix et des choses que j’ai dites ont choqué certaines personnes. Elles ont d’ailleurs envoyé des lettres de protestation à Télé-Lumière, mais aussi au Vatican. » Qu’est-ce qui a choqué ? « Je dis qu’il y a une entité absolue, Dieu, et tout le reste est relatif. Toute expression se rapportant à cette entité est relative. Il n’y a donc pas de vérité absolue. Je dis aussi qu’il n’y a pas d’enfer et de satan. Le diable, c’est chacun de nous, mais Dieu est amour et par conséquent, il ne peut accepter que ses fils souffrent pour l’éternité. » N’est-ce pas un encouragement à être mauvais, en sachant qu’il n’y a pas d’enfer en fin de compte ? « À mon avis, il vaut mieux être mauvais librement que bon par peur. De plus, je suis convaincu que l’homme tend vers l’absolu, même si le chemin qu’il emprunte est relatif. » Au cours de ces émissions à Télé-Lumière, Mgr Haddad a aussi déclaré que Mahomet est un prophète. Ce qui a aussi grandement déplu à ceux qui l’ont par la suite agressé. Pour eux, en disant « Viendront après moi de faux prophètes », Jésus faisait allusion à Mahomet. Or, Mgr Haddad estime que ce dernier est bel et bien un prophète dans le sens où il attiré plus d’un milliard de personnes vers Dieu. Même chose pour la Vierge Marie, qui, selon lui, est aussi une femme, sans que cela ne diminue sa valeur sacrée. « Tout dépend du sens que l’on donne aux mots. Mais certains chrétiens sont figés dans des traditions qui n’ont rien à voir avec la foi. Il faut comprendre que certaines choses ne sont pas des vérités absolues et il faut admettre l’existence d’opinions différentes. » L’ouverture et le dialogue pour combattre la peur Ces idées ne sont pas nouvelles chez Mgr Haddad. Elles lui ont déjà causé des problèmes dans les années 70. L’Église du Liban, comme toutes les Églises dans le monde, abrite des courants divergents, l’un figé et l’autre moderniste. Il y a eu en France Mgr Lefèvre et Mgr Gaillot, chacun représentant l’un et l’autre des deux courants. Pour Mgr Haddad, le débat ne peut qu’enrichir l’Église. Et il salue frère Nour, le fondateur de Télé-Lumière, qui a eu l’idée de ces émissions et qui, avec Jacques Kallas (un des principaux financiers de la chaîne), a refusé de les arrêter. « J’ai été même sollicité pour une nouvelle série d’émissions sur le dialogue des religions. » Mgr Haddad mise beaucoup sur les jeunes, qui sentent le fossé grandir entre eux et leur Église. « Nous voulons leur redonner le sens de la foi et de l’action. » Pour lui, ceux qui l’ont agressé ne sont pas des fondamentalistes, « car ce serait merveilleux de revenir aux fondements de la religion. Ils reviennent seulement à certaines traditions et les érigent en vérités absolues ». L’évêque, qui a été l’un des premiers hommes de religion à s’investir autant dans le social, est très critique envers ceux « qui ont fait de la société chrétienne une société fermée, par peur des musulmans. Mais ceux-ci ont aussi leur part de responsabilité dans ce phénomène, puisqu’ils n’ont pas réussi à rassurer les chrétiens ». Aujourd’hui, Mgr Haddad propose que l’enseignement religieux soit donné dans les écoles par des laïcs, comme un élément de culture, afin que chrétiens et musulmans apprennent à mieux connaître leurs religions. Il projette aussi de créer un « club pour les écoles secondaires ». Dix écoles ont déjà été choisies, et le 5 juillet, elles enverront chacune dix élèves qui choisiront des activités sportives et culturelles à faire ensemble, afin de mieux se connaître. « Connaître l’autre », c’est d’ailleurs le maître mot de l’évêque qui dénonce les milieux fermés, la peur et l’ignorance. « L’ouverture est toujours bénéfique et on n’a pas peur de ce qu’on connaît. » Ne craint-il pas, après ce qui s’est passé, qu’on ne cherche à le faire taire ? Déjà, les condamnations des diverses communautés ont été assez timides. « Timides ? Vous êtes gentille. En fait, il existe un fort courant contre moi. Mais on ne peut pas me faire taire. D’autant que je ne suis pas une voix dans le désert. C’était un cri dans le silence, mais nous sommes en train de nous multiplier. Nous deviendrons un orchestre et tout le monde nous entendra. Seulement, je préfère au lieu des débats théoriques que l’on passe à l’action et il y a tant à faire. » Scarlett HADDAD
Ceux qui voulaient le faire taire ont totalement raté leur objectif. Jamais celui qui fut surnommé dans les années 70 « l’évêque des pauvres » n’a été aussi présent dans les médias que depuis l’agression dont il a été victime. Grégoire Haddad a rapidement compris l’avantage qu’il pouvait tirer du soudain intérêt dont il fait l’objet pour faire avancer son...