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Actualités - OPINION

Trépas en tout genre

«La loi, c’est la loi ! ». Si rare est l’occasion de l’entendre proclamer à l’unisson qu’on reste pantois devant la belle unanimité apparue au sein du pouvoir, face à ce fléau écologique qui empoisonne littéralement la vie des Libanais : à savoir la motorisation diesel, ou plus exactement le criminel dévoiement dont cette technique a été l’objet dans notre beau pays. Le diesel équipe pourtant une proportion substantielle du parc automobile européen, y compris les modèles haut de gamme des marques les plus prestigieuses, et nul n’a à s’en plaindre. Grâce aux progrès considérables accomplis par les constructeurs, le diesel n’a plus grand-chose à envier en effet au moteur à essence, qu’il s’agisse de lutte contre la pollution ou de rendement énergétique. Parce qu’en Europe, la loi c’est la loi – à tout instant, en toute circonstance et non seulement quand on se décide à s’en souvenir –, les caractéristiques des moteurs, de même que des carburants, obéissent à des normes incontournables. Au Liban en revanche, et sans doute parce que des intérêts suspects ont fortement pesé dans la balance, on a préféré remonter allègrement le temps. Ainsi, les diesels obsolètes, déclassés, déterrés à la hâte des cimetières d’autos par des importateurs avisés pour équiper taxis-service, minibus et autres véhicules sévissant sur nos routes, sont plus polluants encore que ne l’ont jamais été les moteurs de la première génération, introduits au Liban au milieu des années cinquante. La raison en est que ces engins sont alimentés non point en gazole, mais en vulgaire fuel industriel, à peine toléré pour les générateurs électriques et autres machines lourdes, mais qui nous est fourgué sans discussion possible par la grâce d’une filière très précise. On s’interroge encore aujourd’hui sur les raisons qui ont pu pousser les gouvernements de l’immédiat après-guerre à réhabiliter ces pourvoyeurs de mort lente, de mort sale pourtant bannis depuis des décennies : quels profiteurs cachaient donc les épaisses volutes de fumée envahissant à nouveau nos villes et nos campagnes ? Comment les ministères de l’Intérieur et des Travaux publics ont-ils pu cautionner un tel forfait, inondant de surcroît le marché de licences de taxi ? Comment le ministère de la Santé a-t-il pu, à longueur d’années, tolérer pareille atteinte à la salubrité publique ? Fallait-il donc attendre le troisième millénaire pour se débarrasser de cette terrible nuisance ? Et après les indemnisations considérables qu’est tenu de verser un Trésor déjà exsangue, de quelle majoration du prix de l’essence les citoyens, aux ressources encore plus anémiques, devront-ils payer cette tardive délivrance ? Cela dit, le mazout ce n’est pas tout. De se décider enfin à nous épargner la mort lente ne devrait pas suffire à donner bonne conscience aux responsables : car reste la mort soudaine, brutale, guettant à tout instant quiconque, automobiliste, passager ou piéton, se déplaçant sur les routes. Il est proprement scandaleux que douze ans après la fin de la guerre, dite civile, la civilisation n’ait toujours pas montré le bout du nez dans la jungle de mauvais asphalte concédée aux chauffards par une autorité inconsciente. Douze ans, et le pays ne s’est toujours pas doté du moindre code de la route : limitation de vitesse, priorité de passage, procédure de dépassement, réglage de l’éclairage, ce sont toutes là des notions totalement inconnues de deux générations d’automobilistes libanais, et forcément oubliées des vétérans dans l’anarchie ambiante. Pour comble, les agents eux-mêmes sont les premiers à ignorer les subtilités de la loi, qui se gardent bien d’interférer dans la sarabande effrénée des voitures s’affrontant à tombeau ouvert sur les tronçons d’autoroute ou qui tolèrent volontiers que les pilotes de scooters pétaradants et fumigènes, roulant le plus souvent sans casque et se jetant systématiquement sous vos roues, soient exemptés de feu rouge, de sens interdit et d’autres contraintes. Malgré sa gestion de l’élection partielle du 2 juin, malgré les graves accusations qu’il a lui-même lancées contre son chef de gouvernement, le ministre de l’Intérieur n’a pas eu à tirer les conséquences logiques de sa désastreuse prestation : c’est-à-dire à démissionner, comme continue d’ailleurs de le réclamer l’opposition. Le jeu politique, clanique, tribal étant malheureusement ce qu’il est, grand bien lui fasse. Et tant qu’à le voir demeurer à son poste, c’est sans ironie ou presque qu’on lui souhaite d’oublier quelque peu cette chose politique qui lui réussit si mal pour se consacrer davantage à ses responsabilités premières, consistant à sauvegarder la sécurité des citoyens : sur les routes notamment, sur les routes en particulier. En 21 mois d’exercice du pouvoir, M. Élias Murr a réussi à instaurer le port obligatoire de la ceinture. C’est fort bien ; c’est même admirable, comparé à l’unique réalisation en la matière de son père et prédécesseur à l’Intérieur : qui, lui, n’avait trouvé rien de plus urgent et vital que d’imposer aux automobilistes l’achat... d’un extincteur. Aux portes d’une saison estivale devenue au fil des ans particulièrement meurtrière, le terrain est tout trouvé pour le ministre afin qu’il entreprenne une nouvelle fois de faire ses preuves. Pour le repêché du Metn, la seule voie décemment praticable, la voie du salut, c’est la chaussée en folie. Vivement, les premières leçons de conduite ! Issa GORAIEB
«La loi, c’est la loi ! ». Si rare est l’occasion de l’entendre proclamer à l’unisson qu’on reste pantois devant la belle unanimité apparue au sein du pouvoir, face à ce fléau écologique qui empoisonne littéralement la vie des Libanais : à savoir la motorisation diesel, ou plus exactement le criminel dévoiement dont cette technique a été l’objet dans notre beau...