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Actualités - CHRONOLOGIE

Sélim Azar : « Les lois valent ce que valent les hommes »(PHOTO)

«Nous sommes des esclaves qui ont été affranchis mais qui gardent plus que jamais dans leur âme les vestiges de l’esclavage ». C’est un constat cruel que dresse le juge Sélim Azar, ancien membre du Conseil constitutionnel, en dénonçant l’attitude du citoyen libanais au cours de l’élection partielle du Metn. Un peuple civilisé n’aurait pas toléré les multiples hérésies et abus qui ont ponctué ce scrutin, estime l’ancien magistrat, qui insiste à dire que nous avons les institutions que nous méritons. Réputé pour son franc-parler, le juge Azar ne ménage personne. Selon lui, ce qui s’est produit lors de cette consultation a achevé de discréditer le pouvoir judiciaire et de compromettre les pouvoirs exécutif et législatif. Énumérant une par une les violations accumulées à cette occasion, il dénonce la « mascarade » qui s’est achevée par l’annonce faite par Michel Murr du retrait de sa fille, Myrna, à la suite d’un second compromis, « tout aussi irrégulier que le premier », portant sur « l’erreur » de Kaakour. « Sur quelle base Michel Murr a-t-il fondé la renonciation de sa fille ? », s’interroge-t-il. « Tant que M. Murr persistait à considérer Myrna Murr comme victorieuse, elle ne pouvait pas se désister. Il aurait fallu qu’elle démissionne et que l’on procède à de nouvelles élections. Elle n’avait pas le droit de se retirer comme elle l’a fait », dit-il. Une aberration de plus qui vient s’ajouter à une longue série du genre rendant par là les décisions prises, à chaque étape, « nulles et non avenues ». Néanmoins, estime Sélim Azar, l’unique certitude qui ressort de cette chaîne d’erreurs, est le rapport de la haute commission électorale, donnant la majorité des voix à Gabriel Murr. À ce niveau, le raisonnement juridique est infaillible, dit-il. Non seulement il s’agit du premier rapport émis par une instance qui équivaut à la cour d’appel, mais c’est bel et bien le seul rapport dont le public a eu connaissance. Me Azar rappelle que le ministre de l’Intérieur et son père avaient tous deux affirmé qu’il existait un second rapport dans lequel Myrna Murr est proclamée élue. « Or, nous n’avons jamais vu ce rapport. Tout ce que l’on sait c’est que la haute commission avait déjà pris une première décision, qui est d’ailleurs irrévocable ». Sur base de ce premier rapport, le ministre aurait dû proclamer Gabriel Murr victorieux. Si la candidate malheureuse n’est pas d’accord avec cette décision, elle peut intenter un recours en invalidation devant le Conseil constitutionnel. Au lieu de quoi, que s’est-il passé ? Le premier rapport est parvenu au ministre de l’Intérieur qui s’est empressé d’exploiter « l’erreur » qui l’entachait. C’est-à-dire l’affaire de l’urne de Hemlaya. « À partir de là, nous ne savons pas ce qui s’est produit», ajoute Sélim Azar. Or, dit-il, rien n’habilite le ministre à reconsidérer les résultats établis par la haute commission. « Il n’est qu’un simple porte-parole qui doit rendre public – et non pas annoncer, car c’est la haute commission qui annonce – les résultats rendus publics la première fois ». Par la suite, c’est à une véritable volte-face de la part de la haute commission que l’on a assisté. Après avoir soumis au ministre de l’Intérieur deux rapports contradictoires en lui demandant de trancher – pour ou contre l’élimination de l’urne de Hemlaya –, un quatrième rapport est envoyé par cet organisme, donnant Myrna Murr vainqueur. « La décision de trancher n’est même pas du ressort du ministre», insiste l’ancien magistrat. Élias Murr renvoie la balle dans le camp de la commission compétente, pour qu’elle prenne elle-même la décision. « Celle-ci avait vraisemblablement compris le message », commente l’ancien juge. Il n’écarte pas la possibilité d’une pression politique qui aurait été exercée sur les juges, « ce qui rend d’ailleurs nulle et non avenue la seconde décision prise par la haute commission (donnant la majorité des voix à Myrna Murr) ». Plus grave encore est la décision de rendre l’isoloir facultatif, « un outrage » sur lequel les parquets, le Parlement et les ministres ont gardé le silence. « Il ne suffit pas de dénoncer, en disant que ce comportement est contraire à la loi », affirme l ’ancien juge. Selon lui, le procureur général aurait dû poursuivre en justice les contrevenants, en l’occurrence les chefs de bureaux qui ne sont pas censés ignorer la loi. « Or, le procureur n’a pas reçu des instructions de l’Exécutif pour agir, comme il en a l’habitude. Il s’est donc contenté de se murer dans le silence », accuse Sélim Azar. Mutisme également du côté du président de l’Assemblée, resté dans l’ombre tout au long du conflit. Maintenant que le mal est fait, y a-t-il moyen de prévenir de futures violations similaires ? L’élargissement des prérogatives du Conseil constitutionnel, en lui accordant notamment un pouvoir d’autosaisine, peut-il être une solution? « On pourrait, théoriquement, introduire une telle modification, mais il s’agit d’une solution dangereuse pour le Liban, étant donné le manque d’indépendance des magistrats au sein de cette instance », affirme Sélim Azar. Qui conclut : « Les lois ne sont plus tellement importantes à ce niveau. Ce qui compte, ce sont les hommes qui les appliquent. Or nos institutions valent ce que valent les hommes ». Jeanine JALKH
«Nous sommes des esclaves qui ont été affranchis mais qui gardent plus que jamais dans leur âme les vestiges de l’esclavage ». C’est un constat cruel que dresse le juge Sélim Azar, ancien membre du Conseil constitutionnel, en dénonçant l’attitude du citoyen libanais au cours de l’élection partielle du Metn. Un peuple civilisé n’aurait pas toléré les multiples...