Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Jisr : « Je ne suis pas d’accord avec le ministre de l’Intérieur » Élias Murr désavoué par les juristes

Le ministre de l’Intérieur, Élias Murr, peut donner l’interprétation qu’il veut de l’article 49 de la loi électorale sur le mécanisme de vote, même celle qui va à l’encontre du bon sens et de toute logique. Aux yeux des juristes, dont le ministre de la Justice, Samir el-Jisr, le texte de loi est on ne peut plus clair et ne tolère sûrement pas l’interprétation que lui donne le ministre : voici ce qu’un des alinéas de l’article en question stipule « (...) L’électeur est tenu d’entrer dans l’isoloir installé pour le dissimuler aux regards et de déposer dans une enveloppe les noms des candidats de son choix. (...) Le chef du bureau de vote doit s’assurer que l’électeur s’est conformé aux dispositions de cet article et qu’il s’est enfermé dans l’isoloir sous peine de l’empêcher de voter » en cas d’infraction. En affirmant qu’un électeur peut voter publiquement, sans avoir à se tenir derrière le rideau vert de l’isoloir pour glisser son bulletin de vote dans l’enveloppe, le ministre de l’Intérieur a donné une interprétation non pas juridique du texte, mais politique, correspondant à ses intérêts électoraux dans la bataille du Metn. « Il ne fait pas de doute que je n’approuve pas le ministre et que je ne partage pas son point de vue. Au contraire, le secret du vote est fondamental », a déclaré M. Jisr, samedi, au cours d’un séminaire. « Même un enfant de dix ans sait que le ministre a enfreint la loi », en publiant samedi une circulaire dans laquelle il revient à la charge au sujet de l’isoloir, renchérit un éminent juriste qui a cependant requis l’anonymat. Rappelons qu’au cours d’une interview à la LBCI, M. Murr avait indiqué qu’un électeur n’est pas tenu de se tenir dans l’isoloir avant de déposer son bulletin de vote dans l’urne, en se référant à un jugement du Conseil constitutionnel fondé sur l’ancienne loi électorale (1996) ne faisant pas mention de l’isoloir. Dans une mise au point consécutive au tollé soulevé par les propos de M. Murr, une source du ministère a indiqué samedi que le ministre fonde son argumentation sur un jugement du Conseil constitutionnel qui avait rejeté le 8 décembre 2000 un recours en invalidation des résultats des législatives présenté par un candidat malheureux, Kassem Abdel-Aziz, contre son rival Jihad Samad. Le texte du Conseil constitutionnel cité par la source est le suivant : « (...) Attendu que l’isoloir a été installé pour préserver le secret du scrutin, ce qui assure la liberté de la consultation électorale, un électeur peut ne pas dissimuler son soutien à un candidat déterminé. S’il vote publiquement sans entrer dans l’isoloir, rien n’entache son geste, sauf s’il est le résultat d’une pression exercée sur lui afin de l’amener à voter pour un candidat qu’il n’aurait pas choisi s’il avait pu s’isoler ». « Je suis outré par ce qui s’est passé », s’est exclamé ce juriste interrogé par L’Orient-Le Jour. « Le texte sur lequel le ministre s’est fondé est un attendu et non pas un dispositif d’un acte juridique statuant et disposant impérativement. Un attendu n’a aucune valeur juridique, sinon le Conseil constitutionnel aurait annulé ce texte de la loi », a-t-il déclaré en contestant d’ailleurs l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel à l’article 49. « Quoi qu’il en soit, a-t-il poursuivi, tant que l’alinéa relatif au chapitre de l’isoloir n’a pas été annulé expressément, il reste en vigueur ». Et de conclure : « On n’a vu nulle part ailleurs (qu’au Liban) un ministre de l’Intérieur responsable tenir ce genre de discours. C’est scandaleux ». Si le législateur a tenu à stipuler d’une manière qui ne prête à aucune équivoque que l’électeur doit s’isoler pour déposer son bulletin dans l’enveloppe portant le sceau du ministère de l’Intérieur et signée par le chef du bureau de vote, c’est pour une raison bien précise. Explications : « L’anonymat du vote et le secret du scrutin sont des corrolaires indispensables du suffrage universel. On ne doit pas connaître le choix des électeurs qui doivent être munis chacun de deux bulletins de vote au moins, avant de se rendre dans l’isoloir », a déclaré un autre éminent juriste affirmant que les élections ne seraient pas libres au cas où on connaîtrait le choix des électeurs. Lui aussi n’est pas d’accord avec l’interprétation donnée par M. Murr de l’article 49, affirmant qu’il est primordial qu’un électeur puisse avoir la possibilité de s’isoler avant de déposer son bulletin dans l’urne. « C’est indispensable pour sauvergarder le secret du scrutin », a-t-il insisté avant de donner l’exemple de la présidentielle française : « On invitait chaque électeur à prendre au moins deux bulletins de vote, avant de s’isoler ». Et la décision du Conseil constitutionnel jugeant facultatif le recours à l’isoloir ? « C’est un jugement de complaisance et d’opportunité et non pas un jugement rendu en droit », a-t-il asséné sans la moindre hésitation, en soulignant « les limites du Conseil constitutionnel ». « Il ne faut pas s’en remettre à un jugement de complaisance », a ajouté le juriste interrogé. Ancien bâtonnier de Beyrouth, Me Chakib Cortbaoui, va plus loin encore en accusant le ministre de l’Intérieur d’avoir commis un crime. Selon lui, M. Murr « est passible de poursuites judiciaires parce qu’il a enfreint la loi électorale et incité (les électeurs) à la violation de ce texte ». À L’Orient-Le Jour, M. Cortbaoui a aussi affirmé qu’il a pris contact avec le bâtonnier Raymond Chédid à ce sujet. Les propos de M. Murr ont été en outre vivement contestés dans la journée par les ministres Marwan Hamadé et Fouad es-Saad, ainsi que par les députés Farès Souhaid et Boutros Harb. Imperturbable, le ministre Murr réaffirmait dans le même temps qu’un passage dans l’isoloir avant le vote est facultatif, allant même jusqu’à considérer que l’insistance sur la nécessité de l’isoloir cache une volonté de recourir à la fraude électorale !
Le ministre de l’Intérieur, Élias Murr, peut donner l’interprétation qu’il veut de l’article 49 de la loi électorale sur le mécanisme de vote, même celle qui va à l’encontre du bon sens et de toute logique. Aux yeux des juristes, dont le ministre de la Justice, Samir el-Jisr, le texte de loi est on ne peut plus clair et ne tolère sûrement pas l’interprétation que...