Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

INTERVIEW - Deux ans après le retrait israélien, le représentant personnel de Kofi Annan dresse le bilan de la situation De Mistura : « La présence de l’État au Liban-Sud demeure insuffisante » (photos)

Défendre la ligne bleue pour qu’elle ne disparaisse pas si la région s’enflamme. En d’autres termes, jeter continuellement de l’eau sur le feu, en attendant que l’on parvienne un jour à une paix juste et globale au Proche-Orient. Telle est la mission des Nations unies au Liban-Sud. Deux ans après le retrait israélien, les opérations de déminage ont commencé, de petits projets ont vu le jour, l’armée libanaise et les forces de l’ordre patrouillent non loin de la frontière. Dans une interview à « L’Orient-Le Jour », le représentant personnel de Kofi Annan pour le Liban-Sud, Staffan de Mistura, a dressé un bilan de la situation. Mettant en garde contre « le vide au Liban-Sud », le diplomate onusien indique que « l’on ne doit pas attendre une solution régionale pour développer la région ». « On peut favoriser la paix à travers des actions comme le déminage et les projets économiques », dit-il. Il s’est également penché sur la situation à Chebaa, et sur la présence de l’armée libanaise dans la zone anciennement occupée. M. de Mistura se félicite avant tout de voir, qu’en deux ans, la ligne bleue a tenu. « C’est l’une des plus importantes réalisations des Nations unies », juge-t-il. « Comme toutes les lignes, elle est fine et fragile, et le risque qu’elle ne tienne pas existait. Heureusement, à l’exception du cas des fermes de Chebaa, elle a été respectée », relève-t-il en soulignant cependant que « l’on a pu quand même contenir et contrôler cette région afin qu’il n’y ait pas d’escalade ». Certes, au cours de ces deux dernières années, « il y a eu des accrochages, des accidents tout au long de la ligne bleue », note-t-il en relevant cependant que « la situation actuelle est de loin meilleure qu’il y a deux ans, avant le retrait ». « Auparavant, plusieurs dizaines de personnes trouvaient la mort dans la zone frontalière. En deux ans, on n’a compté que douze victimes », explique-t-il. Pour le représentant personnel de Kofi Annan, la ligne bleue a permis de lancer une campagne pour la zone méridionale du pays. « On ne doit pas et on ne peut pas attendre une solution régionale pour développer le Sud », déclare-t-il. « La clé de ce développement réside dans le déminage », poursuit-il. Mais avant de parler des activités en cours sur le terrain, revenons à cette ligne bleue. Est-elle appelée à demeurer une ligne fragile et fine ? Est-ce qu’il y aura toujours un danger, comme c’était le cas, il y a deux mois, d’un débordement dans le secteur du conflit dans les territoires autonomes ? M. de Mistura relève que « ce danger existe, et c’est la raison pour laquelle nous sommes toujours préoccupés quand il y a des attaques et des ripostes à Chebaa ». « Nous sommes dans une région à forte potentialité explosive et la tension est énorme actuellement », estime-t-il. Un cadre régional Comment pourrait-on, dans un futur proche, résoudre le conflit à Chebaa ? « Chebaa s’inscrit dans le cadre du conflit régional. C’est un territoire occupé qui devrait faire partie, plus tard, d’un accord global sur la restitution des territoires occupés, y compris le Golan », relève M. de Mistura en invitant les parties concernées à « soutenir la proposition de paix du prince Abdallah d’Arabie saoudite, approuvée lors du sommet de Beyrouth, et basée sur les résolutions claires et nettes des Nations unies ». Chebaa devrait donc revenir à la Syrie ? Pour M. de Mistura, « c’est une affaire qui devrait être résolue entre le Liban et la Syrie ». Et les Nations unies « n’interviennent jamais entre deux pays qui sont d’accord sur un territoire situé entre deux frontières », rappelle-t-il. On comprend donc que la solution prendra du temps. N’empêche que malgré ce point fragile sur la ligne bleue, la situation explosive d’avril dernier avait été contenue. Rappelons que des éléments palestiniens avaient mené des attaques sur le nord d’Israël à partir du territoire libanais. L’armée avait effectué des patrouilles, non loin de la frontière. Comment se présente la situation actuellement ? Pour répondre à la question, le représentant personnel du secrétaire général de l’Onu rappelle la position prise par le ministre libanais de la Défense. « M. Khalil Hraoui avait annoncé que le Liban ne permettra pas une escalade sur la ligne bleue, et il a tenu sa promesse », indique M. de Mistura, en évoquant également les entretiens qu’il avait eus avec le président de la République, Émile Lahoud. « Les contingents de l’armée libanaise et des FSI, qui étaient basés au Sud, ont été très actifs et très présents sur le terrain ; d’ailleurs on voit le résultat actuellement », relève-t-il. Y a-t-il eu un rééquilibrage des forces sur le terrain entre l’armée libanaise et le Hezbollah ? Pour M. de Mistura, « il ne s’agit pas de cela ». Il préfère parler de « la présence active de l’armée libanaise et des FSI, très mobiles, avec des barrages dans tout le Sud, et même non loin de la ligne bleue ». Et d’ajouter : « C’est la qualité de leur présence (armée et FSI) plutôt que la quantité qui a changé ». « Les résultats sont d’ailleurs excellents », affirme-t-il. M. de Mistura estime également que l’État libanais est davantage présent actuellement dans cette région. Cette présence se traduit par les élections municipales. « Des personnes très motivées ont été élues », note-t-il, en relevant également que « des services ont été restaurés sur le plan de l’infrastructure, comme l’eau et l’électricité ». Mais, pour le représentant personnel de Kofi Annan, « cette présence demeure insuffisante ». « Le Liban-Sud mérite beaucoup plus d’investissements, pour diverses raisons », note-t-il. Énumérant ces raisons, il relève : « Pour que la population puisse retourner dans la zone méridionale du pays, elle a besoin de sécurité. Sur ce plan, le déminage a commencé, mais il faut également générer des revenus et des rentrées économiques ». Une zone fragile Le Liban, pays endetté, peut-il investir et reconstruire seul ? Pour le diplomate onusien, « le Liban-Sud devrait être considéré comme une opportunité pour l’État et non comme un problème ». « De plus, pour la communauté internationale, la zone méridionale est fragile et elle a droit à des compensations », ajoute-t-il. Et de poursuivre que le Liban-Sud « mérite une attention particulière. Le Liban a la possibilité de pouvoir obtenir des secours. Les aides des Émirats et du Koweït en sont des exemples ». Est-ce que la communauté internationale est prête à investir au Liban-Sud actuellement, malgré la tension dans la région et sans que des accords de paix ne soient signés ? Sans hésiter, M. de Mistura répond par l’affirmative et cite l’engagement de l’Union européenne, les projets en préparation de la Banque mondiale, la visite de l’ambassadeur américain au Liban-Sud, ainsi que les aides émiratie, koweïtienne, française, anglaise et italienne. Mais les programmes financés par les pays européens ne constituent que des projets pilotes, avec des investissements relativement peu importants. « Tout commence avec de petits projets pilotes, qui devraient avoir un effet boule de neige », selon lui. « L’État libanais a besoin de prouver sa volonté de reconstruire le Sud. Il devrait donc utiliser les ressources dont il dispose et mettre en place des projets pilotes », ajoute-t-il. Tout donc réside dans la volonté du gouvernement libanais de reconstruire le Sud. Le représentant personnel du secrétaire général des Nations unies déclare : « Si la communauté internationale voit que le Liban, malgré son manque de moyens, fournit un effort spécial, s’agissant d’un territoire deux fois libéré, une fois avec le retrait israélien et une autre avec le déminage, on trouvera beaucoup de donateurs », dit-il. Le Liban-Sud est-il devenu une zone sûre pour des investissements ? « La zone ne sera pas tranquille si la paix régionale n’est pas instaurée, mais il n’y a aucune raison pour remettre à plus tard les choses importantes et urgentes en attendant la paix », souligne le représentant personnel de Kofi Annan. Et d’ajouter : « On peut justement favoriser la paix à travers des actions, comme le déminage et les projets économiques ». Notant que « le vide est toujours dangereux », il relève que « si on laisse le vide économique et social s’instaurer, la tentation de transformer ce territoire en champ de bataille deviendra beaucoup plus forte ». Et ce vide devrait être rempli par le gouvernement libanais ? Pour M. de Mistura, deux ans après le retrait israélien, le vide créé au Liban-Sud devrait être « rempli par des activités économiques financées par le Liban et par la communauté internationale. Une initiative en encouragera une autre ». « Le déminage était utilisé comme alibi ; il bloquait toute activité. Maintenant, que l’on a entamé le déminage, il n’existe aucune raison pour que cela ne bouge pas », souligne-t-il. Financé par un don s’élevant à 50 millions de dollars des Émirats arabes unis, le projet de déminage a été lancé l’année dernière, conjointement avec ce pays, le Liban, et les Nations unies. Mais ce grand projet, lancé à grand bruit l’année dernière, n’a-t-il pas tardé à être mis en place ? « Quatre cent mille mines ont été plantées dans un territoire de 184 kilomètres », relève M. de Mistura, en soulignant que « normalement, dans des conditions tendues, comme c’est le cas au Proche-Orient, on aurait pu attendre dix ou quinze ans avant de voir les résultats d’un éventuel déminage ». « Il y a quelques mois, les experts parvenaient à extraire trois mines par jour. Actuellement, nous sommes arrivés à une moyenne de 220 mines, et cela sans les machines qui arriveront cette semaine », poursuit-il. On a commencé par analyser le terrain et malgré l’apport de moyens sophistiqués, « le déminage est fait par les hommes, ce sont ceux qui analysent les terrains », explique-t-il. Travail dangereux Qualifiant le travail de « dangereux », le représentant permanent de Kofi Annan pour le Liban-Sud indique que « trois démineurs, depuis le 20 avril, ont déjà été blessés ; le déminage est un travail dangereux et long ». Et de poursuivre : « On pourra extraire 100 000 mines en un an et demi. Le travail a été entamé et c’est ce qui compte ; le rythme du déminage est rapide en comparaison avec d’autres pays, notamment l’Angola et l’Afghanistan ». « Les 50 millions de dollars que les Émirats arabes unis ont versés ont été utilisés à bon escient : c’est grâce à cet argent que le matériel des opérations et les compagnies de déminage ont été payés », rappelle M. de Mistura, qui souligne encore, dans le cadre du retard enregistré pour entamer le projet, que « le déminage est donc une opération qu’il faut bien préparer ». « Pour réussir cette opération, il faut, en premier lieu, disposer de cartes des terrains minés », indique-t-il. Les Nations unies ont dû attendre pour les avoir. Et de relever qu’il « est nécessaire également d’analyser le terrain et le type de mines qui y sont plantées. Il fallait se préparer afin que le travail soit effectué dans des conditions de sécurité maximale ». Une trentaine de types de mines ont été détectées au Liban-Sud. Chaque genre de corps piégé a besoin d’une machine différente pour être traité. Douze types de corps piégés, douze types de mines et douze types de mines antichar, ainsi que plusieurs dizaines de genres d’obus et de grenades, qui n’ont pas explosé, ont été détectés dans la zone. « Dans un an et demi, on aura déminé des zones. Pour l’heure, il est important de générer des activités économiques car sur le terrain nettoyé, des activités économiques, notamment l’agriculture, devraient voir le jour », selon lui. « Le programme de déminage a commencé, et pour le Liban c’est le moment de l’action, le moment de démontrer sa capacité à pouvoir gérer les choses et résoudre les problèmes », conclut M. de Mistura. Lancement officiel hier de la deuxième phase de déminage Pour marquer le deuxième anniversaire du retrait israélien du Liban-Sud, les Nations unies ont invité hier la presse et les donateurs de fonds à inspecter les terrains déminés de la zone anciennement occupée. Le déminage de cette région a été lancé l’année dernière, à la même date, grâce à une aide des Émirats arabes unis, s’élevant à 50 millions de dollars. Le projet rassemble trois partenaires principaux, les Nations unies, l’État libanais et les EAU. Hier, la deuxième phase du projet a été officiellement lancée. Rappelons qu’au cours de la première phase, les cartes des mines ont été préparées et les terrains analysés. Actuellement, c’est le véritable travail (qui consiste à extraire les mines antipersonnel du sol du Liban-Sud) qui est en cours. C’est un groupe d’une cinquantaine de personnes qui est arrivé le matin à Tyr pour inspecter les terrains où le déminage a été entamé dans les villages de Barachit et de Beit Yahoun ( caza de Bint Jbeil). Il avait à sa tête le représentant personnel de Kofi Annan pour le Liban-Sud, Staffan de Mistura, le ministre émirati de l’Information, le prince Abdullah Ben Zayed, et le ministre libanais de la Défense, Khalil Hraoui. Les représentants des chancelleries des pays donateurs étaient également au rendez-vous. Citons parmi les diplomates présents, les ambassadeurs des États-Unis, Vincent Battle ; de Grande-Bretagne, Richard Kinchen ; de Russie, Boris Bolotine ; du Japon, Naoto Amaki ; et des Pays-Bas, Jan Piet Kleiweg de Zwaan. Le chef de délégation de la Commission européenne, Patrick Renauld, et le représentant permanent du Pnud, Yves de San, se sont également déplacés jusqu’à Barachit, où deux entreprises internationales, Mine-Tech et Bac Tec, qui avaient déminé des terrains dans plusieurs anciennes zones en conflit, notamment au Kosovo, en Albanie, au Mozambique et au Zimbabwe, sont en charge de rendre viables les terres de Beit Yahoun et de Barachit. Des banderoles rendant hommage aux Émirats arabes unis, principaux donateurs, ont poussé ici et là sur la route menant aux villages de la zone anciennement occupée. À l’arrivée de la délégation officielle, les habitants de la localité ont égorgé une chèvre. Et, sous un soleil de plomb, le représentant personnel de Kofi Annan pour le Liban-Sud, le ministre libanais de la Défense et le ministre émirati de l’Information ont coupé un ruban symbolique marquant le lancement de la deuxième phase du déminage. Prenant la parole, M. Haroui a indiqué que « la deuxième phase du projet devrait durer deux ans ». « Sans le don des Émirats arabes unis, cette opération aurait pris dix ans », a-t-il dit. M. de Mistura a, pour sa part, indiqué que « le travail se poursuivra jusqu’à ce que le Liban-Sud soit entièrement déminé ». « Actuellement, a-t-il souligné à L’Orient-Le Jour, nous procédons au déminage des zones habitées, les mines plantées à proximité de la ligne frontalière devraient être extraites plus tard ». Quant à l’émir Abdullah Ben Zayed, il a déclaré que son « pays continuera à soutenir le Liban et pas uniquement dans le cadre du déminage ». Et puis, c’était le moment de diverses démonstrations. Pour déminer le Liban-Sud, où 400 000 mines ont été plantées, l’on a fait appel aux machines capables de passer le sol au tamis, aux chiens dressés pour détecter les explosifs sans se blesser, et aux hommes, qui sont certes les plus importants de l’opération mais aussi les plus fragiles : en l’espace de quelques semaines, trois démineurs ont perdu leurs doigts ou leurs mains. À partir de la fin de la semaine, les entreprises internationales, financées par le don des Émirats arabes unis, restitueront des terrains entièrement déminés aux habitants de Beit Yahoun et de Barachit. Don de l’Arabie saoudite Dans le cadre des dons accordés au Liban pour le déminage du Liban-Sud, l’armée a reçu hier une aide de l’Arabie saoudite. Le royaume wahhabite a remis au Liban un matériel spécial qui sera utilisé pour le déminage de la zone anciennement occupée. Patricia KHODER
Défendre la ligne bleue pour qu’elle ne disparaisse pas si la région s’enflamme. En d’autres termes, jeter continuellement de l’eau sur le feu, en attendant que l’on parvienne un jour à une paix juste et globale au Proche-Orient. Telle est la mission des Nations unies au Liban-Sud. Deux ans après le retrait israélien, les opérations de déminage ont commencé, de petits...